Les mots du monde d’après Gilles Dal : « Révolution »

... Ça y est ! Je vis dans le fameux “monde d’après”. D’après quoi ? D’après avant, j’imagine. Enfin, il faudrait que je demande. Mais je ne sais pas à qui. Tout est si confus.

PAR GILLES DAL. PHOTO LAETIZIA BAZZONI / Photo by Markus Winkler on Unsplash |

Parmi les multiples mots vieux comme la langue française qui connaissent une nouvelle jeunesse ces derniers temps, “révolution” tient le haut du pavé : pas un jour sans qu’une nouvelle “révolution” ne vienne chambouler les habitudes des consommateurs. Révolution dans le monde des transports, dans celui du car wash, dans le monde du paillasson, dans celui du bouchon, dans le monde du coupe-ongles, du kiwi, du passage à niveau, de l’épilation... Aucun secteur n’est épargné ; tous les biens que nous sommes susceptibles d’acquérir, tous les services qui nous tendent les bras, tous les objets qui nous entourent se doivent d’avoir connu leur tourmente révolutionnaire, leur vent exaltant de modifications radicales, leur passage drastique de l’ordre ancien à une ère nouvelle faisant place nette.

Jusqu’il y a peu, quand j’entendais le mot “révolution”, je pensais à la révolution cubaine de 1959, à la révolution bolchevique de 1917, à la révolution belge de 1830. Enfin, à des événements politiques ayant pour ambition commune de changer en profondeur la vie des gens : nouvelles valeurs, nouveaux principes, nouveau quotidien... Autant d’aspirations bien éloignées des voitures qui se garent toutes seules, des car wash à vapeur sèche, des paillassons ultra- absorbants, des bouchons 100 % recyclables, des coupe-ongles parlants, des kiwis sans pépins ou des rasoirs à micro-oscillation.

On connaît l’adage “Il faut que tout change pour que rien ne change”, et je peux en apporter une preuve définitive : moi qui vous écris, j’ai dû connaître, ces dix dernières années, un bon millier de révolutions autour de moi. Pour vous dire, rien que cette semaine, j’ai acheté une paire de baskets révolutionnaires à semelles connectées, une brosse à dents révolutionnaire qui s’attaque aux impuretés grâce à un système de brossage à 360 °, et un pot de crème glacée révolutionnaire parce qu’elle fond moins vite. Eh bien, croyez-le ou non : malgré tous ces changements en profondeur, je n’ai pas déménagé une seule fois, là où le dissident russe Alexandre Soljenitsyne fut obligé, pour avoir critiqué Staline, de passer huit ans de détention dans un camp de travail pénitentiaire (de 1945 à 1953), suivis de six ans de relégation dans un village du Kazakhstan (de 1953 à 1959), avant d’enfin pouvoir retrouver son domicile... Tout en cela en n’ayant connu, lui, qu’une seule révolution. Vous noterez l’étonnant paradoxe. Là-dessus, je vous laisse : je vais me faire une tartine révolutionnaire.

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