Notre entretien avec Diane von Fürstenberg: son destin unique et sa robe mythique

Mise à l’honneur dès ce 21 avril dans une vaste exposition au musée Mode & Dentelle de Bruxelles, sa ville natale, la créatrice de l’emblématique wrap dress évoque pour nous son destin hors du commun.
 

Par Sigrid Descamps. Photos : Jesse Frohman/Belga Images |

Rendez-vous est pris au Musée Mode & Dentelle à Bruxelles, où se tiendra dès ce 21 avril, Woman Before Fashion. Une vaste exposition dédiée à la fois à un modèle iconique, la wrap dress, célèbre robe portefeuille, portée aussi bien par les plus grandes femmes du monde que par des anonymes, et vendue depuis sa création à plusieurs millions d’exemplaires, et à sa créatrice, la Belge Diane von Fürstenberg.

Pour encore plus de mode : 

Revenir à Bruxelles pour une exposition qui vous est dédiée doit revêtir pour vous un aspect très symbolique…

Complètement. La nuit dernière, j’ai même fait un cauchemar. D’habitude, quand je reviens ici, je loge chez mon frère. Ici, je séjourne dans un magnifique hôtel du centre, plongée dans la profondeur de mon enfance. Soudain, j’ai eu l’impression d’être redevenue la petite fille, un peu perdue, qui se demandait ce que la vie allait lui réserver.

Enfant, rêviez-vous déjà alors d’habiller les femmes ?

Non, je voulais devenir la femme que je voulais, ce qu’on appelle en anglais « A woman in charge ». C’est-à-dire une femme indépendante, qui se prend en charge, qui paye ses factures elle-même. Qui peut avoir en somme une vie de mec tout en étant une femme. Cela n’a rien d’une revendication agressive, c’est pour moi, un objectif à atteindre. Devenir une telle femme, cela implique de transformer sa vulnérabilité, ou ce qui est vu comme tel, en force, ses défauts en qualités… 

Quels ont été vos plus gros défis pour y parvenir ?

Les défis les plus importants ne sont pas nécessairement les plus grands. J’ai connu des hauts et des bas. Ce qu’il faut, c’est savoir sans cesse se réinventer, s’adapter au monde qui change. Et de nos jours, il connait de nombreux bouleversement. J’ai l’impression que le monde actuel ne sait pas où il va ; cela doit être affreux pour les jeunes. Il est donc plus important que jamais que l’on sache qui on est ! 

Parmi les choses qui changent, pensez-vous qu’on assistera un jour à une vraie égalité entre les hommes et les femmes, un combat qui vous tient à cœur depuis toujours ?

On n’y est pas encore, mais oui, on y arrivera un jour. Hélas, il se passe encore trop de choses terribles. Quand on voit qu’aux Etats-Unis, on remet en question le droit à l’avortement, qu’en Afghanistan, ils avaient des femmes ministres et qu’aujourd’hui, les filles ne peuvent même plus aller à l’école… c’est révoltant. Il est important de donner une voix aux femmes ; ce que j’essaie de faire notamment avec les DVF Awards. Je veux mettre en avant des leaders, des héroïnes modernes, qui agissent sur le terrain. Car heureusement, dans ce monde, il existe encore des tas de personnes qui oeuvrent pour le bien de l’humanité et à mon niveau, j’essaie de leur donner de la lumière, pour qu’elles soient de plus en plus nombreuses.

À quoi prêtez-vous attention en décernant ces prix ?

Ils sont décernés à des femmes qui doivent avoir la force de se battre, le courage de survivre, le leadership nécessaire pour être inspirantes. Ces trois éléments caractérisaient ma mère. Je salue donc des femmes qui, comme elle, n’étaient pas connues. Je leur verse des fonds mais surtout de l’amplification. Je dédie aussi des prix à des femmes célèbres, le Lifetime Leadership et l’Inspiration awards, qui consacrent une carrière remarquable. Des prix qu’ont déjà reçus Christine Lagarde, Ruth Bader Ginsburg, Hillary Clinton, Ingrid Betancourt, Oprah Winfrey, Naomi Campbell, Iman, Alicia Keys… Je sais que leur médiatisation permet d’attirer l’attention sur les autres lauréates qui ne sont pas célèbres. Quand vous avez la chance de réussir et de devenir une personnalité publique, vous avez une voix que vous avez la responsabilité d’utiliser au profit des autres, en faisant le bien. 

Vous définissez-vous comme une féministe ?

Oui, je l’ai toujours été. J’ai toujours eu une relation directe, une connexion avec les femmes. Au fur et à mesure des années, en prenant confiance en moi, j’ai partagé celle-ci avec les autres femmes. Vous savez, à mes débuts, quand je rencontrais des journalistes américains, qui parlaient de moi, je ne me retrouvais pas dans leurs propos. Ils me voyaient comme une princesse européenne, ce n’était pas moi du tout. Très vite, j’ai compris comment me positionner. J’ai joué la carte de la provocation. Provoquer la vérité, en montrant qui on est soi-même, c’est la contrôler. J’ai préféré imposer ma narration plutôt que de subir le récit des autres. Cela implique que d’une certaine façon, je me suis utilisée aussi. Je suis devenue mon propre sujet. 

Avec vos créations, vous avez l’impression de donner des « armes » aux femmes ?

La femme pourrait se définir en deux mots : solution et séduction. La solution, parce que ce sont toujours elles qui l’apportent. Imaginez qu’il y ait le feu dans une maison, c’est toujours la femme, même la plus soumise qui soit, qui pense à prendre les enfants, les biens précieux… ce qui doit être sauvé. Et la séduction, pour moi, ça ne passe pas par le fait de montrer ses jambes ou de porter une jolie robe par exemple ; séduire, c’est appliquer la solution en faisant croire aux autres que l’idée vient d’eux.

Dans toutes vos créations, ainsi que dans vos collaborations avec d’autres marques, les couleurs et les imprimés jouent un rôle clé…

Je ne peux pas imaginer mon univers sans couleurs. Pour moi, les couleurs sont comme des lettres, les imprimés, des mots… Il suffit de regarder un beau jardin pour réaliser la force que peuvent avoir les couleurs. Sans elles, le monde est terne, triste. Les couleurs amènent de la magie, de la vie… C’est pour cela que je leur accorde une telle importance. 

Un autre élément récurrent, c’est le motif des lèvres, que l’on retrouve notamment sur les pièces que vous avez imaginées récemment avec la marque de sport Skechers…

Je ne sais plus exactement comment elles sont nées (rires). Je pense que tout est parti du premier tableau qu’Andy Warhol a peint de moi, où il avait particulièrement mis l’accent sur mes lèvres. Je crois que c’est de là que l’idée m’est venue… Toujours est-il que ces lèvres sont en effet devenues une de mes signatures. Quand on démarre une entreprise, on ne sait pas ce qui va faire notre nom, notre style… Quand j’ai démarré, je n’aurais jamais imaginé que j’allais devenir célèbre avec une robe. Ni que mes lèvres allaient devenir un signe distinctif. Et pourtant, aujourd’hui, quand on voit une femme porter une wrap dress, on pense DVF, quand on voit les lèvres, également. Ce n’est même pas le résultat d’une stratégie marketing mûrement réfléchie, c’est venu naturellement. 

La wrap dress célèbre ses cinquante ans, ce qui a donné l’idée au Musée Mode & dentelle de vous consacrer une exposition. Etonnamment, c’est la première fois qu’un musée d’Europe vous dédie un tel rendez-vous ; quelle a été votre implication dans sa mise en place ?

C’est la première exposition du nouveau curateur, Nicolas Lor, un jeune homme qui a auparavant travaillé pour Dior Héritage. Il a décidé de me la consacrer et il m’a contactée. En tant que vieille dame, être choisie par un jeune garçon fan de mode, c’est un magnifique compliment et une preuve de légitimité. D’autant qu’il ne voit pas cette exposition comme une rétrospective mais il la fait parce qu’il considère l’ensemble de mon travail comme pertinent pour notre époque. Cela m’a fait très plaisir, mais je précise, je ne suis que le sujet. J’ai envoyé quelqu’un pour l’aider, il est venu passer une semaine chez moi, a plongé dans les archives, mais cela reste son exposition. 

Une exposition qui parle de vous, mais au travers de votre création emblématique. A moins que ce soit le contraire ?

(Elle sourit) J’ai créé cette robe il y a cinquante ans, qui a été une révolution, qui se vend encore, qui est portée par des tas de femmes différentes, qui connaît parfois plusieurs vies… On en trouve d’ailleurs régulièrement dans de nombreux magasins vintage. Elle ne meurt jamais. Je crois qu’elle plaît à beaucoup de femme car elle est à la fois chic, pratique, déclinée dans des tas de couleurs et d’imprimés… On dit que je l’ai créée, mais en réalité, c’est elle qui a créé la femme que je suis devenue !

Cette robe, vous l’avez pensée pour qu’elle aille à toutes les femmes ?

Non, elle est venue comme cela. Ce que j’aime avec cette robe, c’est la diversité des femmes qui la portent. On l’a vue aussi bien sur Michelle Obama que sur Amy Winehouse, qui en a portée une lors d’un événement deux semaines avant sa mort. J’ai un tas d’anecdotes autour de cette robe. Je rencontre sans cesse des femmes qui ont une histoire avec elle. Ainsi, un jour, lors d’un gala, j’ai rencontré l’actrice Anne Hathaway, qui m’a présenté sa mère. Elle m’a alors confié ceci : ‘Vous savez, je ne l’ai jamais dit à Anne, mais je portais une de vos robes le jour où j’ai séduit son père’ (rires).

Vous-même, vous la portez souvent ?

Eh bien figurez-vous que, paradoxalement, je ne l’ai pas portée tant que cela. J’ai toujours considéré que je n’avais pas la taille assez fine pour la porter. 

Que voulez-vous que les gens retiennent en sortant de l’exposition ?

J’ai envie qu’ils se sentent plus confiants en eux ! Mon souci aujourd’hui, c’est d’élever le débat pour le bien de l’humanité !

Diane von Fürstenberg. Woman Before Fashion, du 21 avril 2023 au 07 janvier 2024, Musée Mode & Dentelle, museemodeetdentelle.brussels

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