Pourquoi l'or nous fascine autant ?

Exerçant toujours une incroyable fascination, le métal précieux exprime quelque chose d’à la fois précieux, mais aussi rassurant et joyeux. Nous avons interrogé Frederic Bourdelier, Directeur Culture de Marque et Héritage de la Maison Dior sur cette symbolique particulière.

Magali Eylenbosch, Photo ouverture Unsplash, photos Dior |

L'or exerce une véritable fascination dans notre société, pouvez-vous l'expliquer ?
Beaucoup de mythes antiques nous rappellent le pouvoir de l’or : le roi Midas qui transformait en or tout ce qu’il touchait, Danaé conquise par Jupiter transformé en pluie de poussière d’or ou bien la toison d’or de Jason. Avec l’or, on est dans le domaine du pouvoir et de la séduction. Dans notre rapport à l’or, je pense qu’il y a toujours quelque chose d’atavique et d’ancestral dans nos sociétés. La fascination est peut-être même encore plus ancienne lorsqu’aux yeux des cueilleurs-chasseurs sédentarisés le miel, l’huile, l’osier, le blé, le soleil… avaient les doux reflets de l’or jaune. C’est évident, la symbolique mémorielle de l’or est gravée dans notre inconscient.

La collection égyptienne, par John Galliano pour Dior en 2004

L'or est-il indissociable du luxe ? Pourquoi l'associer à une marque de mode ?
Avec l’or, on est toujours proche de la lumière, de la beauté, du sacré, de la rareté et de tous les mythes qui vont avec. Dans l’Antiquité, l’or était offert aux dieux. Le thème de l’or est présent dès les tous débuts de Dior. Un fil d’or sans fin court dans toute la maison depuis 1947. A mon avis, ce n’est pas une couleur ni vraiment un code, mais plutôt une signature, un signe de reconnaissance auquel Dior est toujours resté fidèle. Avec des modèles comme Pactole en soie dorée ou Aladin (dessinées en 1949) mais aussi la robe Pépite, dessinée en 1951 et toute brodée d’or, Christian Dior a toujours utilisé l’or pour apporter un côté noble, précieux, sophistiqué que ce soit dans sa mode, mais aussi les broderies, les souliers, les accessoires, les packagings…  Sur nos premiers flacons en cristal de Baccarat à la fin des années 40, le nom des parfums était écrit à l’or fin ou imprimé sur les cartonnages en lettres d’or. En cet après-guerre, dans une Europe appauvrie et dévastée, cet usage de l’or était une preuve d’optimisme de la part de Dior. Les premières clientes arrivant dans la boutique et dans les salons pour les premiers défilés ont dû se dire : « L’âge d’or de la mode et de la haute parfumerie n’est pas perdu, le savoir-faire est toujours là, bien vivant… ».

Frederic Bourdelier, l'homme derrière les archives et l'histoire de la maison de luxe

Mais chaque femme ne peut pas s'en offrir ?
Bien sûr que si ! L’or peut devenir couleur, se porter en accessoire ou en maquillage, en lamé ou en cuir laqué doré… il faut élargir le champ. Il y a peut-être quelque chose de rassurant et de réconfortant, une sorte de chaleur dans le fait de porter de l’or.

Aujourd'hui, l'or est-il devenu une référence de la maison Dior. Est-il omniprésent dans vos collections ?
Oui, bien sûr, il suffit de voir le défilé Haute Couture printemps-été 2020 de Maria Grazia Chiuri. On y découvrait des néodivinités contemporaines vêtues de péplums ou de tailleurs tissés de fils d’or. Une ode à l’inaltérable puissance féminine. On peut évoquer aussi John Galliano qui, dans les années 2000, avait lui utilisé l’or de façon très spectaculaire, dans l’excès et la démesure. Galliano a exploré la facette opulente de l’or, avec un côté surabondant. Je pense notamment à sa collection Haute Couture dite « égyptienne » où John Galliano s’inspirait de l’or des pharaons. Ainsi, on trouve chez Dior, les deux facettes de l’or :  l’une, sobre et minimaliste (on pourrait dire l’or « apollinien ») et l’autre, qui exprimerait un or plus démesuré, too much et opulent comme le bain d’or de Carmen Kass en 1999 pour la pub J’Adore, la facette « dionysiaque » de l’or en quelque sorte.

Dior Haute Couture SS21

J'adore, c'est devenu davantage qu'un slogan. Vous attendiez-vous à un tel succès lorsque ce parfum est sorti ?
Pas forcément, mais le projet avait du sens. Il y a un précédent poétique dans notre histoire avec la jolie phrase de Jean Cocteau, qui était un ami de Monsieur Dior et qui disait : « Dior, ce génie léger propre à son époque dont le nom magique comporte Dieu et or ».  Cette citation a été comme un des moteurs du projet à l’époque. On ne s’attendait pas à un tel succès fulgurant, mais aussi sur le long terme. A la fin de l’année 1999, au moment du passage dans le nouveau millénaire, J’adore est alors devenu l’un des parfums les plus offerts. C’était une façon pour la maison, avec ce nouveau parfum, de tourner la page des années 90 en lançant un message positif de féminité joyeuse, comme en 1947 avec le New Look.

 "The future is gold", est-ce que ce slogan a un sens qui fait référence à votre vision de l'avenir de notre planète ?
C’est plutôt un retour aux sources du message du lancement de J’adore, quand la Maison Dior a voulu tourner la page du pessimisme des année 90, période anxiogène et triste.  C’était déjà notre leitmotiv et je pense qu’on en a toujours autant besoin, je crois. Aujourd’hui, on pense aussi à l’or vert des forêts primaires ou à l’or bleu, c’est à dire l’eau qui est un de nos biens les plus précieux. La symbolique de l’or n’a pas fini ses métamorphoses…