Pourquoi sommes-nous toujours débordés?

Pourquoi est-on toujours débordé ? Peut-on arrêter de courir après le temps ? L’auteur et psychologue d’entreprise Tony Crabbe nous a répondu...

PAR MARIE HONNAY. PHOTOS : PEXELS ET D.R. |

Vous avez jeté un œil à la dernière campagne de la chaîne de restauration Lunch Garden ? On y voit un plat esprit terroir et un slogan : “Le moment de s’attabler ensemble”. Le message n’est pas anodin. Il nous renvoie à notre quête de convivialité. Comme si la notion de me time (censée nous rendre plus zen, plus à l’écoute de nous- mêmes) était remplacée par celle de we time.

Ce ne sont pas les chefs qui, ces derniers mois, ont tenté de limiter l’utilisation du téléphone portable dans leurs restaurants, qui prétendront le contraire. Chef et propriétaire de la Grenouillère, un restaurant situé à deux pas du Touquet, le Français Alexandre Gauthier explique que son unique intention lorsqu’il a glissé sur sa carte un petit sigle représentant un téléphone barré, était de suggérer une déconnexion. "L’idée est que nos clients vivent pleinement ce moment de partage et d’échange que représente un bon repas au restaurant."

Partager pour exister

Poster le plus vite possible une photo de notre dernière expérience gastronomique ou de notre maison de vacances et, dans la foulée, jeter un œil à celles de nos “amis”, c’est ce que nous faisons pratiquement tous. De quoi nous occuper de longues minutes, voire plusieurs heures, et chaque jour.

L’obsession du “Je partage, donc j’existe” n’est plus seulement l’apanage des blogueurs et des influenceurs : nous sommes tous concernés. Mais si nous sommes conscients de notre tendance à donner à notre quotidien des allures de course contre la montre perpétuelle, nous ne réalisons pas les répercussions de ce mode de vie 2.0 sur notre santé.

En 2014, lorsqu’il a écrit la version originale de Plus jamais débordé, l’auteur Tony Crabbe l’avoue, son livre n’intéressait guère que les accros au développement personnel. "Au fil des années, j’ai été contacté par des responsables en ressources humaines, puis par des top managers conscients du temps passé dans l’autre monde, celui du digital. Aujourd’hui, cette question intéresse tout le monde."

"Je suis débordé(e)"

Si vous prononcez cette phrase plus souvent que vous ne le voudriez, sachez que pour Tony Crabbe, elle n’est qu’une réponse toute faite, une affirmation qui nous rassure. Car en 2018, le fait d’être pressé, voire en retard, est un moyen d’asseoir notre statut social. Tony Crabbe : "En vérité, nous n’avons pas moins de temps qu’avant. C’est notre manière de l’utiliser qui est différente. Connectés sept jours sur sept, y compris le soir, beaucoup de travailleurs sont sous pression en permanence. L’autre facteur qui induit cette impression, c’est la fragmentation de nos activités. Il suffit d’observer notre manière d’agir lors d’un dîner. Combien de minutes d’affilée nous concentrons-nous sur ce que nous mangeons ou sur la discussion que nous avons avec notre partenaire ou nos enfants ?"

Tony Crabbe n’est pas du genre à jeter le bébé avec l’eau du bain. "Je suis un grand utilisateur d’Internet et des réseaux sociaux. Mettre tout sur le compte d’Instagram serait donc un peu simpliste. Ce qui nous manque, dans notre société, ce n’est pas le temps, mais bien des rapports humains de qualité. Lorsque nous traversons un pic de stress et que nous ressentons le besoin de ralentir le tempo, nous avons tendance, pour décompresser, à réserver une semaine de vacances au soleil. Je n’ai rien contre la plage, mais ce dont je suis convaincu, c’est que ce n’est pas ce type de break qui va contribuer à nous sentir moins pressés."

Vivre et se désencombrer

Si, comme Tony Crabbe le prétend, la qualité de notre vie sociale a plus d’impact sur notre santé mentale qu’une détox digitale d’une semaine à Bali, reste à savoir comment changer la donne. "De nombreuses études ont prouvé que les gens dont le quotidien est une quête effrénée d’argent, de possession matérielle ou de popularité, sont plus sujets au surmenage, au burn-out et à la dépression que les autres. Plusieurs études américaines ont montré qu’aujourd’hui, les gens sont moins empathiques, moins créatifs et moins dans la réflexion qu’ils ne l’étaient dans les générations précédentes. Est-ce que j’ai une recette miracle pour induire un changement dans la tête de ces gens ? Non. Je ne peux, en revanche, que les inviter à se poser une seule question : “Qu’est-ce que je vais arrêter de faire, dans les prochains jours, pour récupérer du temps précieux à consacrer à mes proches ?” Changer notre manière d’agir peut sembler insurmontable. Un peu comme lorsque vous décidez d’arrêter de fumer. Ce qui vous bloque et vous empêche de griller la dernière, ce n’est pas le frein du sevrage tabagique, mais bien le geste, l’habitude."

Dans notre monde qui vénère la vitesse et l’abondance, les questions soulevées par Tony Crabbe ont le mérite de nous interpeller. Et si aucune invention, même la plus révolutionnaire, ne peut prétendre changer notre rapport au temps, chaque pas compte, aussi petit soit-il.

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