Printemps, inventeur du shopping loisir

Réseaux sociaux, pop-up stores, influenceuses… Vous pensiez ces concepts facilitant le shopping nés plus ou moins avec le siècle ? Erreur, ils existent depuis des lustres. La preuve avec l’histoire du Printemps. En 150 ans d’existence, le grand magasin parisien a tout inventé, ou presque.

PAR Marie Honnay. Photos Printemps. |

Au XIXe siècle, on ne parlait pas encore de buzz, d’égérie ou de collection capsule. Pourtant, en termes de marketing, les concepteurs des grands magasins avaient déjà tout inventé. La preuve avec le Printemps. En 1865, lorsqu’il fonde ce grand magasin parisien, le Français Jules Jaluzot pose en effet d’emblée les bases de ce qui s’apparente à la création d’une marque autant qu’à l’ouverture d’une simple enseigne. Clin d’œil au constant désir de nouveauté des consommatrices, il choisit d’abord un nom qui n’est ni le sien, comme cela se faisait couramment à l’époque, ni une référence à l’idée de shopping discount, comme au Bon Marché, mais bien un mot porteur de sens.

Un joli exemple de branding avant la lettre. Dans la foulée, Jaluzot fait de la période des soldes un argumentaire marketing à part entière, développe des marques propres au magasin, dont une de tissu, reconnaissable à son liséré bleu et blanc, couleurs emblématiques du Printemps. Côté mode, le magasin propose à la très charismatique Madame Barutel, reine des tendances et sorte de fashion editor de l’époque, d’inaugurer sa maison de couture au sein du Printemps. Une manière de créer des codes identitaires forts, encore utilisés aujourd’hui.

Un bouquet de violettes à chaque cliente ? Ou le concept du cadeau promo, avant tout le monde. 

Mode participatif

En 1910, Le Printemps innove à nouveau. Il inaugure un salon de thé, premier du genre à Paris. Réservé aux dames, c’est un lieu de socialisation et d’échanges qui s’accompagne d’un salon de correspondance où les shoppeuses de l’époque pouvaient, faute de Wi-Fi, lire la presse et tuer le temps entre deux achats. Une décennie plus tard, le magasin invente ce qu’on nomme aujourd’hui le commerce participatif en organisant un référendum mode permettant aux femmes de réfléchir – on dirait aujourd’hui brainstormer – sur ce qui, selon elles, pourrait remplacer le corset. Si, à l’époque, personne ne manifeste son enthousiasme à coup de likes, le nombre de participantes (203 351) atteste de la popularité de l’initiative.

Et pour que ces clientes puissent s’identifier à la marque, le Printemps leur offre une égérie à la hauteur de ses ambitions. En 1967, Michelle Morgan y installe en effet sa maison de couture, comme l’a fait Victoria Beckham en 2009, en s’invitant au Printemps Nation pour y lancer un corner dédié à son label.

Capsules et pop-up stores

Dans les années 30, le Printemps célèbre les Arts Décoratifs par le biais d’expos qui se font l’écho des dernières tendances en matière d’ameublement. En 1936, le Grand Magasin imagine, dans ce cadre, un concept d’appartements, sorte de pop-up stores, sous la forme de plusieurs intérieurs censés appartenir à une femme reporter, psychanalyste et… députée. Une approche pour le moins visionnaire puisque ce n’est que huit ans plus tard que les Françaises accèdent finalement au droit de vote. À la même époque, l’écrivain Colette est peut-être la première femme de l’histoire de la littérature à avoir créé sa propre capsule beauté.

Une capsule qu’elle était venue promouvoir en s’improvisant vendeuse pendant une journée au sein du magasin. Dès 1933, c’est le couturier Paul Poiret qui crée le buzz en imaginant, coup sur coup, quatre capsules exclusives qui préfigurent la naissance du prêt-à-porter. Trente ans plus tard, Paul Cardin remet ça par le biais d’un trunk show qui lui vaut d’ailleurs d’être exclu de la Chambre Syndicale de la Couture, plutôt hostile à cette popularisation de la mode.

En 1953, le grand magasin fait encore plus fort. Il invite un conseil de clientes dans son QG du boulevard Hausmann. Cette association de consommatrices a la mission de choisir, parmi les pièces mode du Printemps, celles qui vont figurer dans son best of. Dans les rayons, on reconnaît ces vêtements et accessoires à un petit label. À l’époque, tout comme c’est le cas aujourd’hui lors de partenariats avec des influenceuses ou blogueuses, il s’agit avant tout de crédibiliser l’offre du Printemps et d’amorcer l’idée d’un shopping inspirationnel et interactif.

Dans cette même approche, le magasin lance, dès 1932, un bar à parfums. Un concept ludique et personnalisé qui vient d’ailleurs d’être recréé dans le nouveau Printemps de La beauté – le plus grand département du genre – inauguré en juillet dernier, boulevard Hausmann.

Les hommes, vieux cœur de cible

Au Printemps, la création du premier rayon dédié à la mode masculine remonte à 1878. À l’époque, les dirigeants du magasin pressentent que l’homme forme une clientèle aux besoins et aux attentes spécifiques, qu’il faut séduire en lui offrant une expérience shopping ultraciblée. Au point – c’est une première dans ce segment – de lui dédier un bâtiment propre dès 1925. Espace lifestyle avant la lettre, il s’articule autour de la mode mais aussi du sport. Et comme les têtes pensantes du Printemps ont déjà anticipé l’importance du storytelling, ils baptisent leur première ligne de prêt-à-porter masculine Brummell, du nom d’un dandy anglais inventeur du costume moderne.

Complètement repensé en 2017, le Printemps de l’Homme occupe, à l’instar du département femmes, un bâtiment entier dont le voile signé par le bureau d’architecture Uufie rappelle la magnifique coupole de la brasserie, un joyau d’époque à découvrir au sixième étage du magasin historique.

La grande coupole en verre sous la brasserie, édifiée en 1910. Un vrai marketing de l’esthétique...  

Nocturne ? Ouverture du dimanche ?

Des concepts évènementiels pas vraiment d’actualité dans la première moitié du vingtième. Pourtant, lorsque la reine Elisabeth d’Angleterre est couronnée en 1953, les clients se pressent contre les vitrines du boulevard Hausmann, toutes équipées de téléviseurs pour assister à l’événement retransmis en mondovision. Dans les années 50, à l’occasion des fêtes
de Noël, ces mêmes vitrines n’accueillent pas encore d’espaces dédiés au placement de produits signés Chanel ou Louboutin, mais les marques de jouets – les poupées Caroll notamment –, y occupent une place clé.

En 1964, suite au récent engouement des Français pour les sports d’hiver, une piste de ski est installée à 50 mètres de hauteur sur le toit du magasin. Succès de foule. Tout comme pour l’ouverture, la même année, du Printemps Nation, qui fait se déplacer le tout-Paris et crée une émeute devant les portes du magasin.

Customer service modèle 1868

Et que dire de la vente par correspondance ? En 1868, on ne shoppait pas encore ligne, mais qu’importe. Les clientes de province, mais aussi les Japonaises et les Américaines, pouvaient piocher leurs produits préférés dans le catalogue du Grand Magasin, puis se les faire livrer chez elles. Pour que l’acte d’achat soit aussi personnalisé que possible, le Printemps avait développé un argumentaire de vente très actuel précisant que chaque cliente serait servie, même à distance, par un seul vendeur qui s’occuperait de sa commande de A à Z, c’est-à-dire du choix de l’article en rayon à son expédition. La preuve que si le Customer Relationship Management n’était pas digitalisé, comme c’est le cas aujourd’hui, il existait déjà. Tout comme le concept de cadeau. En témoigne la jolie tradition, initiée dès l’ouverture du magasin, qui consistait,
le premier jour du Printemps, à offrir aux clientes un bouquet de violettes, fleur emblématique de l’enseigne. La poésie au service de la publicité de marque ? Peut-être le concept qui manque le plus aujourd’hui dans l’univers du shopping. 

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