"Les prothèses auditives, appareils de haute technologie, sont le symbole de l’engagement des malentendants envers les autres, pour communiquer et comprendre : il faut le valoriser !" Voilà qui résume parfaitement la démarche de l’artiste Nathalie Birault, elle-même malentendante depuis l’âge de 12 ans, et créatrice des bijoux Odiora.
Avec eux, elle transforme les prothèses auditives en accessoires de mode, "que l’on peut mettre aussi facilement que des lunettes". Une façon de libérer les porteurs de prothèse, souvent mal à l’aise avec leur appareillage peu gracieux. Une démarche esthétique donc, mais aussi sociale et inclusive qu’adoptent également la marque Audilo, et plus récemment, le projet H (Earring). Une ligne de bijoux auditifs sculpturaux, futuristes et unisexes développée par la photographe Kate Fichard, elle aussi malentendante, et les designers Flora Fixy et Julia Dessirier. Rencontre à Paris...
Kate : Malentendante et appareillée depuis l’âge de quatre ans, j’ai pu observer que la technologie des prothèses auditives a énormément évolué. En revanche, son design s’est très peu développé. J’ai souhaité apporter une autre vision de l’aide auditive en sollicitant les talentueuses Flora et Julia, qui forment le duo de designers FandD Studio, pour concevoir une collection de bijoux d’appareils auditifs.
Flora et Julia : Lorsque Kate nous a proposé cette collaboration, nous avons été très enthousiasmées par la portée sociale d’un tel projet. Nous avons développé des habillages pour prothèses auditives, des bijoux qui se fixent sur la prothèse pour sublimer et décomplexer l’aide auditive. C’était aussi l’opportunité de faire converger trois mondes : la médecine, la technologie et la mode.
Kate : La collection est mixte et a été réalisée à partir du modèle des prothèses auditives de la marque ReSound GN, celles que je porte. Ce sont des appareils auditifs dits “contour” pour les surdités moyennes à sévères.
Flora et Julia : Cette collection est un réel défi technique, qui passe par la compréhension d’une prothèse aux dimensions miniatures et aux courbes complexes. C’est pourquoi nous
avons eu recours à une numérisation 3D. Celle- ci nous a permis de comprendre la prothèse et de modéliser avec précision les bijoux destinés à s’y attacher. Les systèmes de fixation ont d’ailleurs fait l’objet d’une attention particulière et varient d’un bijou à l’autre.
Chaque modèle à fait l’objet d’une impression 3D. Ce premier tirage nous a permis de valider son positionnement sur la prothèse et autour de l’oreille, ajuster son dessin et enfin certifier que le bijou ne crée aucune nuisance pour le porteur (sifflement, déséquilibre, altération du son...). Les bijoux s’attachent et se détachent facilement de la prothèse auditive, sans en gêner le fonctionnement. On peut ainsi changer au gré de ses envies l’ornementation de son appareil.
Les pièces définitives de la collection ont été réalisées par un artisan mouleur et un joaillier basés à Paris, utilisant la technique de la fonte à la cire perdue. L’ensemble a été assemblé, poli et plaqué en or et rhodium.
Quelles ont été vos inspirations ?
Flora et Julia : Le projet H (Earring) est caractérisé par une dualité qui place la technologie au service du sensible. Nos dessins évoquent en effet cette tension, et font cohabiter des silhouettes géométriques et régulières avec des formes plus organiques et altérées. L’évocation de l’eau et du fluide, notable dans certaines pièces de la collection, provient d’une conversation avec Kate durant le processus d’élaboration du projet.
Kate : En effet, lorsque je ne porte pas mes appareils auditifs, j’imagine que me perception du son pourrait être similaire à la vôtre lorsque vous êtes sous l’eau.
Kate : Oui, le design devrait concilier sens et esthétisme en s’appropriant les technologies et l’écologie pour contribuer au bien-être de notre société.
Flora et Julia : Nous prenons part aujourd’hui à un mouvement global d’acceptation de soi et de ses différences, qui caractérise notre génération. Le design doit être inclusif et tirer parti de l’incroyable pouvoir de la mode sur les consciences pour changer la vision du handicap. En imaginant ces accessoires, nous créons de vrais outils politiques pour faire de la mode le porte-parole de problématiques sociopolitiques, et ainsi élever les corps et les esprits.
Kate : Une belle retombée médiatique, un bel engouement pour le projet.
Flora et Julia : Issues d’une formation en design produit, ce prix a été une vraie reconnaissance de notre travail par l’univers de la mode, et un formidable tremplin vers de nouvelles opportunités d’exprimer notre vision de l’accessoire et de collaborer avec des personnalités talentueuses.
Quels sont vos projets pour la suite ?
Flora et Julia : Grâce au prix, nous avons l’opportunité de nous exprimer avec une nouvelle collection en partenariat avec les Métiers d’Art de Chanel qui a eu lieu au Festival Hyères #34 en avril dernier. Ces nouvelles pièces s’inscrivent dans la continuité du projet H(E) arring, avec des accessoires aux typologies inclassables plaçant le corps et les sens au centre de nos considérations. C’est une grande chance de pouvoir travailler avec des artisans aux savoir- faire si précieux.
Kate : Je travaille sur la création de la marque Paired avec mon associée Margot Grangeon. L’enjeu de notre marque est de faire de l’aide auditive un accessoire de mode, en s’adressant non seulement aux malentendants avec un bijou d’appareil auditif, mais également aux personnes menacées, avec un bijou de protection auditive. Une première mise en marché digitale, via une campagne de crowdfunding avec un modèle de précommande en ligne, aura lieu dans le courant de l’année.
Les créations H (Earring) sont à découvrir sur le compte Instagram @hearring.jewelry. Les bijoux seront prochainement disponibles sur www.paired.fr.