Red de Wen Hui : une histoire de corps

On a assisté au génial Red de Wen Hui, chorégraphie documentaire pour 4 danseuses. A applaudir de toute urgence ce soir à La Raffinerie, à Bruxelles.

Par Isabelle Plumhans. |

La semaine dernière à Paris, on pouvait applaudir l’art du plissé autant que l’art dansé : fashion week et festival d’Automne (festival d’arts multidisciplinaires, ndlr) se partageaient la ville. On en a profité : entre ouverture du musée Saint Laurent et défilé Wijnants, on a assisté au génial Red de Wen Hui, chorégraphie documentaire pour 4 danseuses. A applaudir de toute urgence ce soir à La Raffinerie, à Bruxelles.

D’abord, il y a la chorégraphe, la chinoise Wen Hui. Née en 1960, elle étudie notamment la danse auprès de Trisha Brown, travaille au sein de la compagnie de Pina Bausch et est « chorégraphe nationale » avant de s’émanciper du carcan formel et de développer un travail personnel formellement innovant avec sa compagnie basée à Pékin, le Living Dance Studio.

Ensuite, il y a l’œuvre sur laquelle la chorégraphe se base pour construire ce Red : « Le détachement féminin rouge. » Soit un ballet créé en pleine révolution culturelle chinoise, outil de propagande massif pour Mao Zedong – il parcourait à l’époque les campagnes et se donnait parfois en extérieur sur des sols inégaux- qui faisait partie des 8 seules œuvres autorisées à l’époque en Chine. Le spectacle reprenait les codes de la danse traditionnelle – port des mains, hiérarchie des corps….- autant qu’il intégrait les techniques occidentales les plus impressionnantes du ballet classique.

Résultat, ces aventures d’une jeune héroïne combattant avec ses sœurs soldats auprès des communistes, proposait un enchaînement inédit et hyper technique de pirouettes, fouettés et grands jetés à la gloire du régime en place.  Tout le travail de Wen Hui a été de revenir sur cette chorégraphie, en disséquer le travail de propagande, les positions des personnages entre eux, la façon dont elle utilisait les corps pour dire l’histoire, et la façon dont l’histoire peut s’inscrire dans les corps. 

L’accompagnant dans ce travail, il y a, magistrales, trois autres danseuses. Liu Zhuying d’abord. Danseuse d’origine, elle a participé à la création du Détachement féminin rouge et est à ce titre le véritable corps-archive de Red. Rigoureuse, précise, à 62 ans, elle raconte l’histoire en mouvement(s) de cette chorégraphie, la teintant oralement d’anecdotes Liu Zhuying personnelles – dansant à la perfection le rôle de l’héroïne, elle n’a pas à l’époque été retenue pour ce dernier parce que jugée trop petite. On peut voir dans le placé de ses bras, les directions de ses membres, son port de tête, les heures d’entrainement et de spectacle, le don total physique qu’a représenté pour elle cette participation au ballet d’alors. 

Il y a Jiang Fan, aussi. Elle, c’est la nouvelle génération. Moins de trente ans, formée à la danse traditionnelle comme à la danse contemporaine, son corps fait le lien entre l’hier et l’aujourd’hui. Il confronte danse codifiée et danse respirée.

Il y a aussi Li Xinmin (tout à droite ci-dessous), qui n’est pas danseuse à la base mais qui a rejoint la compagnie voici quelques temps pour y travailler au ménage et à la cuisine. D’ateliers de danse en workshops au Living Dance Studio elle a fini par intégrer ce spectacle. Elle, c’est la force tranquille, le corps vrai et vivant, non formaté. Elle c’est sa vie qu’elle met sur le plateau, avant le côté formel de la danse.

Sur le mur du fond, des images d’archives des ballets, et des interviews de personnes qui ont eu de près ou de loin un rapport au « détachement féminin rouge ». Ancienne danseuse, spectateur assidu ou historien, chacun à son point de vue, comme cette ancienne danseuse qui repris du service après son accouchement allaitante encore et dont les montées de lait ont disparu en quelques jours à peine.

Ou cet homme qui avoue avoir été séduit davantage par les jolies jambes des danseuses que par le message politique véhiculé par le spectacle.  Les images sont projetées brutes, sans traitement particulier. Et la vérité de ces séquences, de ce travail documentaire, n’a d’égal que la vérité des corps en scène, une vérité qui intègre hier et pense demain. Esthétiquement, il y a des moments suspendus, comme le solo de Jiang Fan, la « jeune », lorsqu’elle compare par le corps et les mots danse traditionnelle et danse classique. Point fermé versus main courbée, corps penché suivant la jambe levée versus attitude droite. 

Puis ce moment, quand les quatre interprètes se fondent dans la toile de fond, symbole fort et beau d’un passé qui tutoie l’aujourd’hui. Et symbolise toute la beauté du spectacle, entièrement contenue dans ce mélange rendu organique entre les gestes, les phrases et les vidéos. Un mélange d’où sourd, plus d’une fois, l’humour. L’émotion aussi. Tantôt choral tantôt solitaire, tantôt de corps tantôt de mots, Red fait comprendre physiquement en quoi mouvoir et émouvoir sont liés. Passionnément. Politiquement. Et esthétiquement.

Ce 03/10, 20h30, Red, a documentary performance, de Wen Hui, La Raffinerie, rue de Manchester 21, 1080 Bruxelles, www.charleroi-danse.be