Rencontre avec Alex Vizorek : "J’ai découvert que j’étais drôle en jouant Shakespeare"

Le plus parisien des humoristes belges jongle avec la scène, l’écriture et ses chroniques en radio. Nous l'avons rencontré pour en savoir plus sur sa vision de notre monde et sur ce qui l’inspire. 
 

Par Ingrid Van Langhendonck. Crédit photo : Photonews |

Rendez-vous est pris dans une jolie petite rue du 7e arrondissement de Paris, l’artiste y vit depuis quelques années et nous retrouve dans un petit bistrot typique où il a visiblement ses habitudes. Il salue d’autres habitués et répond à nos questions en dégustant un croissant au beurre. Quand on lui demande ce que c’est de vivre à Paris, il  se dit heureux dans cette grande ville qu’il parcourt à pied ou en trottinette. « J’adore ce quartier ! Je suis bien mis ici, juste entre la tour Eiffel et Saint-Germain-des-Prés. Je peux même voir la tour de chez moi, en collant mon visage contre une des vitre du salon » explique-t-il en riant. « J’adore marcher le long de la Seine ou même sillonner les quais en trottinette, je fais la course avec les bateaux-mouches et je vais me balader jusque dans le VIe. J’ai mes habitudes du côté de Saint-Germain-des-Prés, j’y ai loué mon premier studio à Paris il y a douze ans. Il était microscopique, mais il était juste au-dessus du Café de Flore, alors j’y organisais tous mes rendez-vous. Malgré la bière à 9€, tout le monde aime s’y attabler, surtout qu’une fois sur deux, vous êtes assis à côté d’une star américaine. »

Avez-vous trouvé vos marques dans la ville Lumière ou vous y sentez-vous toujours un peu comme un touriste?

« Je suis très heureux à Paris, sans avoir abandonné mon pays pour autant. Mes parents sont à Bruxelles et j’y reviens régulièrement. Je peux sauter dans un Thalys pour manger avec ma mère un soir si j’en ai envie. Et puis, je vis dans le grand luxe : j’ai 50 m2 et j’ai même une chambre séparée de mon salon, c’est clairement un signe extérieur de richesse à Paris (il rit). Par contre, alors que les Belges sont très nombreux à Paris, on ne trouve toujours pas ici de véritable brasserie belge, où on fait correctement les frites, où on vous sert un stoemp ou un pain de viande… Un américain-frites, c’est carrément introuvable ici. Ils font du tartare, mais j’ai beau leur expliquer que le secret, c’est de tout mettre dans un mixer avec de la mayonnaise, ils ne comprennent pas (rires). Et puis surtout, les jours de matches, impossible de trouver un bar comme chez nous, où on vous sert une bonne Jupiler pour regarder Anderlecht-Standard. Ça manque vraiment. » 

Côté actualité, vous êtes actuellement en tournée, mais une tournée un peu décalée vu vos multiples engagements…

« En fait, je suis en tournée perpétuelle. Je pars pour Angers aujourd’hui, parce que je suis sur scène ce soir, mais je reviens déjà demain. Ce qui est possible car, en France, tout est à trois heures de Paris. Avec le TGV, je peux faire des allers-retours les jeudis en fonction de mes émissions, ou d’autres projets. Là, j’ai des dates de spectacle en avril 2024, mais je ne sais pas où je serai en télé ou en radio, ce qui est parfois un peu délicat. Evidemment, si Steven Spielberg me réclame sur son prochain film, je pourrais déplacer un spectacle à Montceau-Les-Mines (rires), mais j’essaye d’éviter, car je sais ce que cela représente pour les équipes locales de remplir les salles et de tout organiser. » 

En préparant cette interview, on constate que la presse parle toujours de vous en évoquant vos études à Solvay. Il est étonnant de lire qu’on vous définit souvent par cela et qu’il y a en Belgique une sorte de paradoxe à suivre de grandes études pour finir artiste...

« En effet, au départ les journalistes belges ont noté cela, je suppose que c’est parce que Solvay à cette image de hautes études un peu élitistes, mais au final, j’ai assez vite bifurqué vers le journalisme. Je me suis retrouvé à Solvay parce que, quand on a 18 ans, on est encore un enfant : je ne savais absolument pas ce que je voulais faire, je ne concevais même pas ce que c’était, au fond, un métier. J’ai donc décidé de faire les études les plus difficiles, en me disant « On verra bien». Quand on voit mon parcours, je suppose que je déconstruis l’image du Solvay Boy habituel. Mais c’est une école où j’ai beaucoup appris. D’abord sur la masse de travail et ensuite sur la confiance en soi. Solvay a toujours été une école de l’élite, c’est une affirmation qu’on trouvait en couverture du Trends quand j’avais 18 ans. Quand vous entrez dans un auditoire, on vous explique que vous êtes un meilleur parmi les meilleurs. Ce qui n’est pas plus mal, en fait, car cela booste la confiance en soi, même si c’est faux. Mais j’y ai compris que quand on travaillait dur sur son sujet, on pouvait y arriver. Au final c’est probablement mieux pour tout le monde que je ne sois pas devenu ingénieur de gestion, mais j’y ai appris à bosser, beaucoup, et cela m’est resté. Cette boulimie de travail me vient de ces années-là. » 

Pourquoi avoir bifurqué vers le journalisme ensuite ? 

« Après deux ans à Solvay, je me suis tourné vers le journalisme. J’y ai trouvé le complément que je cherchais. En journalisme, on a une façon de travailler qui est plus intéressante, plus universaliste, plus ouverte, où l’on ne s’intéresse pas seulement aux choses parce qu’elles rapportent, ce qui est le cas à Solvay. Si je me remémore tout mon parcours, tout a été utile. Même commenter des matchs de foot a été formateur, cela m’a aidé à prendre la parole en public, par exemple, même si, à l’époque, je ne me doutais pas une seconde de ce que deviendrait ma vie. C’est ma mère, après mes études, qui m’a rappelé que j’avais aimé faire du théâtre. Elle croyait en moi, elle m’a poussé à partir à Paris pour tenter ma chance, et j’ai atterri au Cours Florent, pour un an qui est devenu trois ans... » 

Quand vous parlez de ces années, vous avez raconté avoir découvert que vous étiez drôle en jouant Shakespeare...

« Tout à fait. Je voulais jouer les grands textes. J’aime ce côté très littéraire qu’on trouve chez les tragédiens. Je pense que j’avais vu Francis Huster jouer le Cid, cela m’avait inspiré. Puis est arrivé Shakespeare : j’étais alors en deuxième année et, au départ, j’ai demandé à changer de cours, je me voyais mal en Roméo. Mais mon prof insiste et me propose une scène dans La Nuit des Rois. Quand un personnage ivre rentre dans un bar et se vante de ses exploits guerriers, il est saoul et excessif, et suscite l’hilarité. J’ai acheté un faux sabre pour jouer cette scène, j’ai gardé les insultes en anglais dans le texte, et là, j’ai vu que je pouvais être vraiment marrant. Ça m’a fait prendre conscience que c’est vers cela que je voulais aller. Et j’ai donc appliqué encore un des enseignements de Solvay: ce que tu fais, ce que tu aimes faire et que tu fais bien, profite de cela et concentre-toi sur ton talent, pour optimiser. L’année d’après je rentrais en cours de one-man-show, donné par Stéphanie Bataille. Et c’est alors que tout a commencé. C’est elle qui m’a mis le pied à l’étrier. »

Stéphanie Bataille vous accompagne depuis vos débuts et reste une complice de toujours. Pareil pour Charline Vanhoenacker. Peut-on dire que ce sont les femmes de votre vie ?

« Oui, si on veut. Elles sont deux femmes qui comptent beaucoup pour moi : Stéphanie pour le spectacle et Charline pour mon parcours dans les médias. D’ailleurs, je dis souvent que Stéphanie est comme ma maman et Charline plutôt comme une sœur. La première était une professionnelle qui m’a porté et formé. Quant à la seconde, on a grandi ensemble dans un environnement qu’on a découvert en même temps le jour où on nous a confié des chroniques sur France Inter en nous disant : « Les Belges, on se paie votre tête tout le temps, alors vengez-vous. »  

Charline Vanhoenacker et Alex Vizorek, lors d'une émission pour France Inter. Crédit photo : Photo News

La belgitude est-elle un ingrédient magique pour réussir à Paris ? 

« En tant que Belges, on en a joué et on a aimé assumer cette belgitude, cela a donné un ton à notre duo. Néanmoins, elle et moi avons pourtant un prisme assez français. Charline a étudié à Paris, et pour ma part, j’ai été bercé par les chaînes françaises : j’ai écouté les Grosses Têtes, j’ai regardé la Classe, et elle et moi sommes des fans du Bébête Show… Les Français aiment bien les Belges, en fait, même si parfois ils ne nous comprennent pas vraiment. Et pour cause : notre héritage est assez impalpable, quand on y pense. Le Belge a moins de certitudes sur sa provenance. Les Français ont De Gaulle, Napoléon, et ça remonte jusqu'à Vercingétorix… Nous, on a Paul-Henri Spaak (il rit). En Belgique, on est le fruit d’un magma un peu particulier auquel on voue pourtant un attachement profond, surtout en Flandre. Je me produis en Flandre dès que je peux, j’ai participé au Slimste Mens par exemple, et j’aime bien jouer au francophone de service. En fait, même ici, je me sens assez bien comme « immigré », il faut croire. Mais oui, la belgitude est un ingrédient de l’humour, assurément. Depuis Philippe Geluck, qui a été une sorte de précurseur, les humoristes belges ont su en faire quelque chose de plus universel et donc plus compréhensible pour les français. Avant Geluck, on avait notre univers et je suis le premier à hurler de rire devant les sketchs des Snuls, mais un Français n’y comprend rien.» 

Ainsi, entre le spectacle et l’écriture de livres pour enfant, c’est un humour multi-facettes  qui vous définit…

« J’avais pourtant une angoisse avec mon premier spectacle, je craignais d’être pompeux ou inaccessible en abordant un sujet comme l’art. J'ai beaucoup retravaillé certains passages, mais je teste tous mes spectacles dans les cafés théâtres. Pour moi ces petites salles, c’est le lieu où cela naît, c’est là que ça se passe. C’est intéressant pour moi comme étape de processus créatif, c’est un peu comme l’atelier d’un peintre. Parfois, je me suis retrouvé en première partie de gens bien moins connus que moi, mais ça m’a permis de rôder des extraits de mon spectacle et c’est vraiment utile. Il y a quelque chose de très technique dans l’humour : parfois une vanne est bonne, donc on doit construire et relancer le discours différemment ensuite, car les gens n’ont pas fini de rire. C’est toute une construction.»

Et que penser des réseaux sociaux ? De ce forum où l’on lit tout et n’importe quoi ? 

« Mon côté « de gauche » trouve cela formidable que tout le monde puisse s’exprimer, mais il faut bien avouer qu’il y a tellement d’avis dont on se passerait. Et cela vaut autant pour celui qui le donne que pour celui qui le reçoit, tant ce n’est pas constructif. Mais pour moi qui prend la peine de répondre personnellement, qui n’ait pas de service de communication pour gérer mes comptes, j’ai constaté que les gens qui m’interpellent sur les réseaux sociaux parlent à une espèce d’abstraction et quand d’aventure, je prends le temps de répondre ou de réagir, de conseiller à ces gens de plutôt aller dire du bien aux gens qu’ils aiment plutôt que de heurter ceux qu’ils n’aiment pas, alors le côté humain surgit tout à coup. C'est assez singulier de les voir redevenir nettement plus aimables, comme si ils avaient rédigé leur avis sans anticiper que je le lirais. Par contre, j’ai aussi pris l’habitude de masquer les indésirables. Ils ne le savent pas, mais ils sortent de ma vie, et je le vis très bien. Ce qui n’est pas le cas de certains dans les médias, comme Charline, qui ne le font pas. Ce que je respecte, mais je ne comprends pas qu’on s’inflige cette violence des réseaux sociaux. » 

Être un humoriste, c’est être drôle en permanence ? De nombreux comiques ont joué sur leur mélancolie, leurs angoisses, leur dépression. Faites-vous partie de cette vague d’artistes dépressifs ?

« Je dis souvent que la dépression est un sport individuel. Et c’est vrai, je n’aime pas trop me plaindre. Mon grand-père était chaque jour dans la mine, près de Mons. Qui oserait se plaindre quand on voit ce que je vis. Mais je crois aussi qu’avec le temps, je vais accepter de parler davantage de moi dans mes spectacles, car c’est une arme intelligente. Je pense qu’une fois que vous comprenez ce que vous êtes, vous abordez mieux ce qui vous entoure. Evidemment, si je creuse dans tout ce qui m’est plus personnel, je vais aussi faire surgir certaines angoisses, ou des peurs, mais je ne suis pas de ces artistes mélancoliques, qui fuient le bonheur. Je suis plutôt de ceux qui empruntent le chemin qui y mène. Et si on est sincère avec ce qu’on est, je pense qu’on a plus de chances de toucher tout le monde. » 

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