Rencontre avec Luca De Meo, grand patron de Renault et visionnaire de l’automobile

Luca De Meo, le père de la Fiat 500 du 21e siècle, a succédé à Carlos Ghosn à la tête du géant français de l’automobile. En exclusivité belge, il nous en dit plus sur ses grands projets, notamment sur le retour attendu de la bonne vieille R5 !

Par Stéphane Lémeret. Photos D.R. |

Il ne vous a fallu que quelques mois à la tête de Renault pour présenter votre très ambitieux plan de relance baptisé « Renaulution ». L’urgence était grande ?

Je pense qu’on a réussi à changer l’approche de Renault. Nos chiffres sont solides, même si certains observateurs - cela s’est notamment ressenti sur le marché boursier - regrettent notre prudence. Mais je ne veux pas faire de promesses impossibles à tenir ! Je crois aussi que notre stratégie de marques est beaucoup plus claire qu’auparavant. Mon expérience au sein du groupe Volkswagen entre autres me permet de croire que nous sommes sur la bonne voie. L’organisation par marques est à mon sens la clé de la réussite. Le monde de l’automobile est en train de changer, et cela l’équipe l’a accepté. Nous avons toutefois quelques bonnes années de travail devant nous pour nous transformer comme je l’entends.

Quelles sont les différences culturelles entre les différents groupes pour lesquels vous avez travaillé (Fiat, VW et Renault) ?

La plus grande différence est que dans les boîtes allemandes, c’est le process qui a la priorité sur les gens. Dans les entreprises latines, les talents ont beaucoup plus d’influence. Chez VW, il y a une culture produit qui est proche de la religion ! Du côté de Renault, il y a encore beaucoup de chemin pour en arriver là. Je vais deux fois par semaine à notre « Technocentre », ou je prends la température auprès de nos ingénieurs et designers. Ils ne sont pas habitués à cela. Mais on ne doit jamais oublier que nous sommes là pour vendre des voitures, et que les voitures doivent donc être au coeur de mes préoccupations.

Quels sont les atouts et les handicaps de Renault dans le contexte actuel ?

Nous sommes une entreprise en difficulté et nous devons reprendre goût à la performance. Il n’y a pas d’instinct plus fort que celui de la survie ! L’équipe de Renault a une capacité de réaction assez impressionnante. Je n’ai pas eu de mal à convaincre mes collaborateurs et cela me donne confiance. Nous avons créé le plan Renaulution en cinq mois seulement : cela n’aurait été possible nulle part ailleurs. Les gens sont flexibles et prêts à faire beaucoup de choses pour sauver l’entreprise ! Ce n’est pas la première fois que Renault doit se sortir d’une crise et cette expérience est très importante. Je retrouve aussi un côté créatif qui devient rare dans le milieu de l’automobile. C’est important pour le futur et c’est ce qui va nous permettre de nous en sortir. Il y a des idées partout. Le problème est qu’elles n’étaient pas suffisamment valorisées, ou structurées. C’est une de mes priorités actuelles.

Vous annoncez aussi un renforcement de votre « Alliance » avec Nissan et Mitsubishi mais est-ce que l’affaire Ghosn n’a pas définitivement brouillé les relations avec vos partenaires japonais ?
Avec Jean-Dominique Sénard (président du conseil d’administration), nous sommes concentrés sur la marche de l'Alliance, qui est un modèle unique au monde qui fonctionne très bien. Uchida-san et Kato-san ont d’ailleurs été associés à la présentation du plan Renaulution, ce qui est un signe puissant et motivant des relations solides de l’Alliance. Aujourd’hui, nous unissons nos forces sur le plan technologique, par exemple avec le partage de bases techniques ou de composants. L’Alliance fonctionne sur des projets très concrets pour le bénéfice des trois entreprises.

A propos des marques du groupe Renault, comment allez-vous faire évoluer l’image de Dacia ? Sur quelle zone géographique se situe sa plus grande marge d’évolution ?
Je suis allé en Roumanie et en Russie pour voir les équipes de Dacia et de Lada et je me suis dit : « Pourquoi ne pas laisser ces équipes évoluer, sortir de l’ombre et se révéler ? ». C’est la situation typique lorsqu’on a dans le même portefeuille une grande et de petites marques. J’ai connu la situation avec Volkswagen chez Seat, dont j’étais le patron avant d’arriver chez Renault. Il ne faut cependant jamais faire d’une marque ce qu’elle n’est pas. Dacia doit rester Dacia et être une marque d’entrée de gamme. Son business model est très difficile à copier, avec un système de distribution pas cher du tout. Même le groupe VW n’a pas réussi à le faire ! Dacia doit garder ses prix accessibles mais les produits doivent devenir un peu plus « cools » : ça passe par beaucoup de choses, dont le design. C’est ce que nous avons fait avec le Bigster, par exemple. Ce véhicule a un potentiel terrible. Avec ce genre de véhicules du segment C, nous allons encore améliorer les profits de Dacia.

Et quid de Renault Sport, dont le nom disparaît au profit d’Alpine ? 
Quand j’ai regardé ce qu’il se passait chez Renault Sport, j’ai trouvé pleins d’éléments intéressants. Et puis des choses bizarres, comme le fait que certaines personnes très compétentes dans leur domaine ont été mises à contribution pour développer des choses qui a priori ne les concernent pas. Comme le fourgon Master électrique par exemple ! Pour moi, Renault Sport c’est un pédigrée de 43 ans d’âge, une carte de visite. C’est pour cela que j’ai réuni tout ce monde sous la bannière Alpine, avec la F1 au milieu. Le but était de créer une marque nouvelle génération. Nous avons passé un accord avec Lotus pour notre prochaine voiture de sport et nous allons par exemple créer une touche sportive Alpine pour certaines Renault. Mais vous savez, quand je suis arrivé chez Renault, je me suis rendu compte que nous n’avions qu’une centaine de points de vente Alpine dans le monde. C’est évidemment trop peu, alors que nous avons 11 000 concessionnaires Renault ! Je vais donc devoir « ouvrir le tuyau » car on ne fait pas des voitures pour un public aussi restreint. Alpine fait partie du monde Renault et nous devons le montrer. Nous allons embaucher des gens pour pour donner du sens à ça. Mais Alpine doit pouvoir proposer au moins deux ou trois modèles.

Comment allez-vous justifier l’implication d’Alpine en F1 alors que vous avez annoncé que cette marque serait prochainement 100% électrique ?
La F1 est une plateforme de communication importante : 500 millions de personnes la suivent. Je vois cela comme un media, un vecteur de notoriété et de crédibilité. La Formule E, bien que plus proche du concept électrique, n’intéresse personne. C’est pourquoi j’ai décidé de rester en Formule 1. Mais attention, je pars du principe que la F1 doit évoluer et répondre à la demande du public pour plus de durabilité. Je pense qu’on devra la faire évoluer à l’horizon 2024-2025 vers plus d’électrification grâce à l’hybridation.

Réaliser un coupé électrique en respectant l’ADN d’Alpine - qui est de faire une voiture petite et légère - est-il réaliste ?
Oui, un coupé sportif électrique a tout son sens, contrairement à une solution hybride rechargeable qui, justement, alourdirait trop le concept. Les gens de Lotus, qui partagent la même approche « light is right » qu’Alpine, savent ce qu’ils font. Lorsque j’habitais en Belgique, voici une vingtaine d’année, j’ai possédé une Lotus Elise que j’ai adorée. Il faudra bien placer la batterie et ne pas la surdimensionner, ça ne sert à rien. Donc ne vous inquiétez pas : nous allons développer des modèles 100% électriques amusants, développant environ 400 chevaux.

Vous êtes à l’origine de la résurrection de la Fiat 500, dans les années 2000, avec l’incroyable succès que l’on sait puisqu’elle a sauvé la marque italienne. Avez-vous d’aussi grosses ambitions avec la future R5 ?
L’âme d’un groupe automobile est dans ses racines. Quand je vois les réactions après la présentation de la R5, je me rends compte que c’est exactement ce que les gens attendent de nous. La R5 pourrait tenir un rôle très important, celui de démocratiser la voiture électrique, en étant proposée au même prix qu’un véhicule thermique équivalent. Je parle de l’horizon 2024. A l’image des R4 et R5 qui ont démocratisé l’automobile à leur époque, la future R5 a vocation à offrir le 100% électrique à tous. L’accessibilité est la clé, avec une touche de style cohérente avec notre histoire.

Vous avez déclaré qu’à moyen terme, Renault ne compterait plus qu’un seul moteur essence ou diesel, un petit 1,2 litre. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Notre système hybride E-Tech est une pépite car il est adaptable à de nombreuses configurations et peut, avec un simple moteur de 1,2 litre, développer des puissances de 70 à plus de 300 chevaux. On peut jouer sur la dimension du moteur électrique et des batteries, sans toucher au bloc thermique. Avec un seul moteur, on peut donc faire beaucoup de choses et c’est particulièrement intéressant. C’est d’ailleurs un peu ce que Volvo fait déjà, et cela a tout son sens d’un point de vue économique et industriel.

Avons-nous bien compris que la Twingo actuelle ne serait pas remplacée ?
Malheureusement, ce segment des petites voitures va être abandonné par de nombreux constructeurs car avec l’évolution technologique actuelle, elles seront trop difficiles à rentabiliser. Le groupe Daimler ayant décidé de produire la Smart en Chine, nous ne pouvons plus être rentables en produisant seuls la Twingo en Europe (ces deux autos partageant la même base technique, NDLR). C’est pourquoi, malheureusement, nous devons aller dans cette direction. Mais ce n’est pas quelque chose qui nous fait plaisir. Surtout à moi car en tant qu’Italien, je sais trop bien qu’une petite auto est ce qu’il y a de mieux dans nos vieilles cités ! Mais la future R5 pourra reprendre ce rôle dans le futur, mais uniquement en électrique car à l’avenir, la mise aux normes de dépollution des moteurs essence sera trop chère pour ce segment.

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