Rencontre avec Sarah Andelman, l'inventrice du concept store

Deux ans après avoir fermé colette Paris, le concept store qu’elle avait créé en 1997 avec sa mère Colette Rousseaux, Sarah Andelman n’a rien perdu de son flair. Rencontre avec une chercheuse de talents, une dénicheuse de tendances, une visionnaire.

PAR MARIE HONNAY. PHOTOS PHOTONEWS SAUF MENTIONS CONTRAIRES. |

Pendant vingt ans, le numéro 213 de la rue Saint-Honoré à Paris a été le repaire des modeux, des artistes, des branchés et de tous ceux qui voulaient comprendre, sentir et humer l’air du temps. Ce concept store qui réunissait la crème de la mode, du design et de tout ce qui faisait (ou allait faire) le buzz, a été l’un des premiers magasins de ce type dans le monde.

On y trouvait des vêtements et des accessoires de grandes marques de luxe, beaucoup d’éditions limitées, des sneakers branchées, du parfum, des produits high-tech, des bijoux, mais aussi un resto avec bar à eau et une galerie d’art. Pendant que sa mère gérait le magasin et les employés, Sarah courait les défilés, les ateliers et les expos à la recherche de nouveaux talents, de produits et de nouveautés à proposer dans son magasin à la scénographie léchée.

Très luxueuse, mais pas élitiste, colette était une boutique où l’on pouvait s’offrir une robe ou une montre à plusieurs dizaines de milliers d’euros, mais aussi un paquet de bonbons, un magazine ou une paire de baskets. À l’heure où le secteur de la mode est en pleine remise en question, nous avons voulu savoir ce qui, à l’ère post-colette, fait encore vibrer Sarah Andelman. Entre Paris, son lieu de vie, le Japon, un pays qui l’inspire et ses road trips aux États-Unis, nous avons réussi à lui voler un peu de son temps.

Quand vous avez mis un terme à l’aventure colette, avez-vous pensé que tout ce qui pourrait être fait après serait forcément moins novateur, moins sincère ?

"Oh non ! Nous avons décidé de fermer colette après vingt années extraordinaires. Et même si je pense que, vu la force des marques dans leur propre réseau et les grands sites de vente en ligne, il est difficile pour un magasin d’être rentable, il y a bien sûr toujours de la place pour des projets avec un point de vue personnel et authentique, heureusement ! C’est le cas par exemple de Dover Street Market à Los Angeles. Chaque espace affiche une identité propre, la touche californienne en bonus."

Dans un monde où les acteurs du luxe tentent de réanimer d’anciennes maisons, vous semblez davantage tournée vers demain...

"J’aime beaucoup les maisons endormies car elles ont déjà une histoire, Guillaume Henry va faire un travail formidable pour Patou par exemple, avec un regard vers le passé, mais aussi une vraie prise de conscience actuelle. Je suis aussi très séduite par le renouveau de Schiaparelli par Daniel Roseberry. "

Si vous lanciez colette aujourd’hui, quel visage aurait-il ? Par exemple, la durabilité aurait-elle une place encore plus grande dans la démarche ?

"Certainement. Et la version digitale serait également une priorité, alors que celle que nous avions mise en place était une continuité de l’expérience magasin. Je pense qu’il n’y aurait plus ou, en tout cas, beaucoup moins de grandes marques de luxe, pour laisser la place aux jeunes labels et, pourquoi pas, à un étage épicerie. Il y a, chez les consommateurs, une vraie recherche de feel good, un prolongement de la tendance healthy déjà présente depuis quelques années... À New York, j’aime beaucoup le concept de Cha Cha Matcha par exemple, qui a réussi à rendre cette boisson traditionnelle japonaise tellement cool !"

    Sur Instagram, votre hashtag #coletteforever continue d’émouvoir les gens. Les magasins d’aujourd’hui n’arrivent-ils donc plus à créer l’excitation ?

    "C’est difficile pour moi de juger. Je pense qu’il y a toujours des magasins qui font un beau travail de découvertes, mais il faut peut-être regarder là où on ne les attend pas : dans les musées, les hôtels, les petites villes..."

    Les petits commerces ferment les uns après les autres et le géant Barneys (un departement store de luxe new-yorkais parmi les plus connus au monde, NDLR.) qu’on croyait invincible est en faillite. Qu’est-ce qui peut encore sauver les magasins physiques ?

    "L’authenticité, c’est-à-dire avoir un point de vue et le conserver, un choix unique avec des exclusivités, et un service exceptionnel. Le pire, ce sont les suiveurs."

    Virgil Abloh (artiste, DJ, fondateur de la branchée griffe Off-White et directeur artistique de Louis Vuitton Hommes, NDLR.) dit que colette a été son premier galeriste. D’où vous vient cet œil pour dénicher ceux qui vont sortir du lot dans une ou deux saisons ?

    "À l’époque de colette, je ne le savais pas à l’avance. J’étais toujours dans l’instant. J’avais l’envie de surprendre, de faire découvrir des talents que nous ne connaissions pas déjà... Si j’aimais un produit, je l’achetais. C’est ainsi que nous avons commandé les premiers T-shirts de Virgil, avant Off-White, sans que je me doute de la suite. Puis, j’ai rapidement vu la force d’Off-White, avec des codes bien définis dès le départ, une vraie vision et une ouverture sur les autres que j’ai d’emblée trouvée remarquable."

      Ce créatif, comme d’autres de sa génération, est à mi-chemin entre plusieurs disciplines. Comment l’expliquez-vous ? Est-ce une boulimie de création ? Une manière de penser en phase avec la société ?

      "Je pense qu’il y a de la place pour des experts, des spécialistes dans certains domaines spécifiques. Et puis, il y en a pour ces talents hybrides qui s’intéressent à tout, qui compilent, éditent, twistent. Il y a cette énergie créative, et aussi le cumul de tout ce qui a été déjà été fait jusqu’ici. À l’ère d’Instagram, je pense que la société surfe sur les images, les médias, les produits. Pour toucher les gens, il faut leur proposer des aliens, des surprises inattendues comme le font les marques Jacquemus, Simone Rocha ou encore Etudes."

      Avec colette, vous avez popularisé l’art contemporain en mixant art, mode, design. Pensez-vous que l’Europe est à la traîne à ce niveau, que l’art est encore trop institutionnalisé ?

      "Il est clair que je regrette que beaucoup d’institutions ne fassent pas plus d’effort pour les éditions d’artistes, et que cela demeure un monde assez fermé. Heureusement que des talents comme Alex Israel ou Takashi Murakami (ils ont tous deux collaboré avec, entre autres, Louis Vuitton, NDLR.) prennent le devant et soient à l’aise avec des collaborations de tout type."

      Vous assistez à tous les défilés qui comptent. Vous ne partagez donc pas l’avis de ceux qui disent qu’à l’ère d’Instagram, ces shows n’ont plus de raison d’être ?

      "Les défilés restent un formidable moyen d’expression pour un créateur et sa collection, mais je suis convaincue que le système des Fashion weeks avec son public exclusivement composé de la presse et des acheteurs professionnels est en train d’évoluer. Nous sommes à un tournant où finalement, la transcription de ce défilé sur Instagram est plus importante pour la marque que la version live."

      Avec colette, vous avez aussi lancé des concepts inattendus à l’époque comme le bar à eau. Aujourd’hui, quels sont les concepts de bars ou de restos qui, parce qu’ils sont à contre-courant des tendances, vous enthousiasment ?

      "S’ils m’enthousiasment, c’est qu’ils sont à fond dans la tendance, justement. Aux États-Unis, Je suis fascinée par les nouvelles marques à base de CBD. Mon mari m’a fait découvrir les boissons organiques Vybes. Non seulement c’est délicieux, mais le design est très réussi. Dans un tout autre style, hier, nous avons dîné chez Nunan’s Lobster Hut. J’adore ces lieux qui n’ont pas changé depuis plus de trente ans. Vous devez attendre une heure dehors et quand votre table est prête, ils vous appellent au micro. Tout aussi original : nous sommes allés à 7 h du matin au Palace Diner à Biddelford. C’est une sorte de wagon avec quinze sièges. On se croirait dans un film, et les pancakes sont incroyables !"

        Avec Just an Idea, l’agence que vous avez fondée juste après la fermeture de colette, vous conseillez les marques. Vous jouez le rôle de coach, de directrice artistique, d’entremetteuse de talents. Quel est le projet qui, à votre sens, traduit le mieux l’essence de la création 2.0 ?

        "J’ai beaucoup aimé les collaborations autour de Stranger Things (Lego, Levi’s, Nike, Polaroid, High Snobiety, etc.). C’est assez nouveau qu’une série déclenche ce type de produits. Mais je ne crois pas qu’il y ait eu un pop-up pour les trouver toutes sur un même lieu, ce qui est dommage. Sinon, c’est loin du 2.0, mais je suis sous le charme de RavenWood, un concept new-yorkais hybride qui ouvre deux week-ends par mois, avec une sublime sélection de fruits et légumes, mais aussi des objets pour la maison, de la beauté et des tartes délicieuses..."

        Tout semble vous inspirer : une photo du Mont Saint-Michel sous les nuages, une broderie de votre fils qui vous représente tous les deux, une paire de sneakers Nike customisées par Advisory Board Crystals... Quel est le point commun entre ces objets ?

        "Je fonctionne au coup de foudre, et c’est le cas pour toutes ces images. Mais mon Instagram @sarahandelman reste personnel. Celui de @justanidea présente quelques projets auxquels je participe comme le pop-up Louis Vuitton sur Rodéo Drive de l’été dernier ou encore la nouvelle ligne de Marc Jacobs réalisée en collaboration avec Sofia Coppola, le photographe Juegen Teller, Olympia Le Tan ou encore The New York Times."

        justanidea.com

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