Retour aux sources, pour le marché horloger

Pour réenchanter un métier en quête d’un second souffle,un certain nombre de patrons rencontrés au Salon International de la Haute Horlogerie ont fait le choix de recentrer leur communication autour de références considérées comme à la racine de ce qui fonde leur image.

Vincent Daveau et Jean Perini |

Inutile de tergiverser comme le disait avec son franc-parler Georges Kern, le nouveau patron de la branche horlogère de Richemont : “ Certaines des marques du groupe Richemont n’ont pas pu s’adapter à la crise. Le marché se transforme. Il est devenu plus transparent. Moins de marques vont pouvoir s’imposer comme avant. Par ailleurs, beaucoup de marques ont profité de l’importante croissance de ces dernières années, qu’elle soit chinoise ou autre, pour ne pas investir. Portées par la facilité, elles n’ont pas réfléchi à se développer et à se renforcer ”.

Conscient de l’importance d’agir vite pour rétablir une situation que tous les acteurs de l’horlogerie haut de gamme savent tendue, il ajoutait : “ Je pense que le métier est en cours de transformation et le nombre de marques susceptibles d’avoir une politique internationale est appelé à se réduire car, pour s’imposer partout, il faut consentir des investissements énormes ”.“ D’autre-part, nous sommes entrés dans l’ère du digital ! Nous avons tous les moyens pour connaître parfaitement nos clients, leurs goûts, leurs désirs “.

Le retour de la clepsydre

On l’aura compris, communiquer tout azimut ne suffit pas. Il faut également capitaliser sur les produits et s’appuyer sur ceux ayant un vrai potentiel. Durant ce salon, tout le monde a noté que la plupart des entités présentes avaient saisi qu’il était impérieux pour elles de faire se concentrer l’attention du public sur des pièces à la fois accessibles, mais aussi porteuses d’un message et incarnant les valeurs de la maison éditrice. C’était clairement le sens des paroles d’Antonio Calce, le CEO de Girard-Perregaux qui soulignait encore en janvier la nécessité de reconnecter les entreprises avec la réalité en déployant des stratégies capables de rattacher leur héritage au monde d’aujourd’hui et à la clientèle.

Georges Kern abondait dans la même logique en annonçant lors de la conférence de presse avec quelques journalistes spécialisés : “Il faut réfléchir à qui l’on est, à ce que l’on veut être et s’interroger sur la façon de le communiquer. Une fois cela fait, il reste à définir la gamme, un dessin puis enfin, un prix. Mais les marques horlogères ont pris trop souvent l’habitude de focaliser leur discours sur les mouvements. Nous devons beaucoup plus “ émotionnaliser nos produits ”. A sa façon, Cyrille Vigneron, le nouveau Président de Cartier, va dans le même sens. Son discours lors de la présentation de la nouvelle Panthère, que l’on sait avoir séduit la gent féminine, était sensiblement identique. Dans cet esprit, la Tank destinée à commémorer le centenaire du modèle et qui sera présentée durant le second semestre, visera le même objectif : reconquérir un public en quête de produits distinctifs et offrir à Cartier, par la puissance native de la référence, de reprendre la première place dans le secteur des montres de formes.

Capitaliser sur l’histoire

Mais il faut être lucide, une montre est un objet inanimé et le propre d’une marque est de contextualiser le produit. Comme le soulignait Georges Kern : “Une marque de luxe se doit d’avoir un contenu de qualité, régulièrement entretenu et qui croît avec les années. Dans ce domaine, il n’y a pas de génération spontanée et c’est le Storytelling qu’il faut savoir travailler en continu ”. Il ajoutait : “ aujourd’hui, il faut être créatif et analytique. On ne fait pas de l’art pour l’art, mais de l’art avec un but précis. Il faut aussi avoir de l’intuition pour piloter une marque, parce que l’intuition parle aux sens ”.

Concrètement ce grand patron parlait de la commercialisation de modèles de luxe. Tout est question d’emballage et de façon de raconter des histoires. Ainsi pour étayer son propos, il ajoutait encore : “ Au début de la reprise, on s’est adressé à des collectionneurs. Depuis une dizaine d’année, on parle à des consommateurs dont l’éducation horlogère est souvent relativement faible. La question se pose alors de savoir s’il est possible de faire rêver les américains et les chinois avec des mouvements à soi et de la pure mécanique... Je ne dis pas qu’ils se fichent de savoir ce qu’il y a dans une montre, mais ce n’est à mon sens pas l’essentiel de leur attente. Eux ils veulent du rêve et la magie d’un message qui correspond à leurs envies. Dans l’absolu et sans ménager les deux axes possibles, je dirais qu’aujourd’hui en horlogerie, il faut équilibrer le discours. Il faut donc de la technique, un peu, pour susciter l’envie et convaincre les potentiels acquéreurs que le rêve associé au produit est porteur et correspond au leur. Voilà pourquoi il est essentiel de raconter des histoires à travers les modèles. On a la légende Top Gun, les célébrités, les héros virils, l’automobile, Cousteau et le Petit Prince. La manufacture IWC comme d’autres des grandes maisons ayant un vrai potentiel au niveau mondial, est une marque globale, on parle à tout le monde et il n’y a pas de cas particulier”.

Et pour conclure, Georges Kern ajoutait : “ les marques d’horlogerie ont chacune leur histoire et une parcelle de leur ADN doit se retrouver dans chaque montre qu’elles proposent. Faute de faire cela on est en dehors du “ spot ”, des attentes du public et par conséquent déconnecté du marché réel ”...