Sébastien Destremau, dernier de cordée

Ce navigateur français est arrivé dernier du Vendée Globe 2017. Mais de tous ses concurrents, il est peut-être celui dont on se souvient le plus. Parce que son aventure paraissait vouée à l’échec. Il en a tiré un ouvrage, une leçon de vie. De celles qui inspirent et font envie.

PAR Gilda Benjamin. Photos D.R. |

Dix-neuf janvier, 16 h 37. Le navigateur Armel Le Cléac’h rejoint les Sables-d’Olonne après 74 jours de mer. Il vient de remporter l’édition 2017 du Vendée Globe, course autour du monde en solitaire et sans assistance. Une des plus dures. Cinquante jours plus tard, Sébastien Destremau accoste à son tour. Il est dernier. Mais la victoire que ce baroudeur de 53 ans, ex-journaliste sportif, a remportée sur lui-même l’a placé premier dans le cœur du public.

Bien qu’habitué des régates, l’homme n’avait jamais navigué en solitaire, et son navire - un voilier mis à l’eau en 1998 - était dépourvu de haute technologie. Le Vendée Globe était donc un défi farfelu, mais l’avoir bouclé rappelle qu’il n’existe pas de rêve impossible pour les volontés farouches, comme il en témoigne dans son ouvrage, Seul au monde, publié cet été. Rencontre avec un homme transformé dont le récit servira sans doute de coup de pied salvateur à plus d’un indécis.

Dès le départ, vous saviez que vous ne participiez pas pour gagner.

C’est clair, j’avais un décalage avec les autres participants. Mais pourquoi pas ? Le mec qui fait le marathon en six heures n’a pas à rougir ! Quand je décide de participer au Vendée Globe, je sais très bien que je n’ai pas les compétences pour accomplir un résultat sportif. Le seul exploit que je pouvais réaliser était de terminer la course, le reste n’avait aucune importance.

Dans votre ouvrage, vous expliquez comment vous avez été aidé par des gens qui ont cru en vous, à commencer par votre frère. Auriez-vous tenté l’aventure même sans soutien ?

Oui, de toute façon. Certes, ce n’est pas anodin de décider de faire le Vendée Globe. Mais rien ne m’aurait arrêté. J’ai eu la chance que mon odyssée devienne un ensemble de toutes petites choses qui ont contribué à ma réussite.

Sébastien Destremau, Seul au monde, XO Editions.

Mais sur mer, vous étiez seul, à l’opposé de ce que vous connaissiez dans vos régates en équipage.

C’était l’équipage aussi, mais de façon totalement différente. J’étais seul sur mon bateau mais avec 25 personnes derrière moi qui m’ont tendu la main, m’ont encouragé, ont bricolé un truc ne fût-ce qu’un jour… Mon rêve était devenu le leur et je ne l’aurais jamais soupçonné à ce point. Le public parle du Vendée Globe comme d’une course qui a débuté le 6 novembre. Il a en tête le skipper arrivant seul sur son bateau. Mais je n’aurais pas pu être au départ si je n’avais pas commencé l’aventure quatre ans avant. On y consacre du temps, de l’énergie et de la solidarité. Le mec qui gravit l’Everest seul sans oxygène a aussi une équipe pour le soutenir. Toute aventure extrême comporte son lot d’amitiés et de liens. J’ai pu compter sur l’amour d’une partie de ma famille : ma mère, mes frères… Puis la course a touché le grand public.

Avez-vous besoin de vous lancer continuellement des défis avec l’idée que “Ça passe ou ça casse” ?

Si j’avais échoué, j’aurais recommencé. S’attaquer au Vendée Globe… Il n’y a que 88 marins qui sont allés au bout, jusqu’à présent. Moins que de gens qui sont allés dans l’espace ou qui ont gravi l’Everest sans oxygène. Au point Nemo, le point le plus éloigné dans le Pacifique, on se trouve à 2666 kilomètres de toute terre émergée, et encore la plus proche est un caillou sans habitant. Mais on se trouve également à 350 kilomètres de la station spatiale. Je trouve ça génial. Mon voisin le plus proche était dans l’espace ! Une image fabuleuse.

Pourquoi, selon vous, votre performance a-t-elle paru plus spéciale que celle de vos concurrents ?

Parce que je suis une sorte de monsieur tout-le-monde. Le fait que j’ai réussi quelque chose de vraiment exceptionnel permet à chacun de se dire “Moi aussi je suis capable d’aller au bout d’une envie, d’un rêve, d’un projet”. Et si mon livre peut pousser certains à foncer, à entreprendre, ce sera le meilleur des cadeaux.

Comme avez-vous vécu ces quatre mois ?

Encore aujourd’hui, je n’en reviens pas et je ne me sens toujours pas capable de le faire. Surtout quand je repense au Sud, quand on passe le Cap Bonne Espérance, l’isolement, la solitude… Le même environnement, tout le temps : de l’eau. Pendant quatre mois. C’en devient ahurissant. Je me suis regardé faire. J’étais quelqu’un d’autre, regardant les choses de l’extérieur pour pouvoir les accomplir.

La mer est-elle devenue encore plus essentielle dans votre vie ?

Avant, j’étais un régatier, l’eau était mon terrain de jeu. Je faisais mon métier avec plaisir mais c’était mon boulot. Dorénavant, je me considère comme un marin qui a non pas dompté la mer, mais qui l’a comprise. Je peux repartir. Ce que j’ai fait d’ailleurs. Désormais, j’ai toujours hâte de retrouver le plaisir d’être en mer.

Quel sera le prochain rêve ?

Faire le tour de l’Australie. Et le prochain Vendée Globe, l’envie est là. Mais si je recommence, ce sera sous une autre approche, pour raconter une autre histoire. Elle se précise dans ma tête. J’ai passé 124 jours seul, je ne suis plus le même homme : je me sens plus léger.