Thierry Geerts, patron de Google Belgique, nous parle du futur digital

Qui de plus indiqué pour nous parler de la place de la technologie dans la société et dans sa vie ? Mais aussi, comment s’en déconnecter. 

Par Sigrid Descamps, photos D.R. |

Tout le monde connaît Google, on sait moins qu’il existe une division belge : où se trouve-t-elle, à quoi sert-elle ?
Google reste abstrait pour pas mal de monde. On me demande souvent si j’ai un bureau (rires). En Belgique, Google emploie plusieurs centaines de personnes. Notamment au centre de data à Saint-Ghislain. On est aussi sur Bruxelles, où on travaille beaucoup avec l’Europe et le monde des affaires belges. Nous traitons des données informatiques, du marketing, des questions légales... Google n’est pas très différent d’une autre société. Nous collectons des données, les gérons, les digérons, les partageons, et avons aussi un rôle responsable : on doit mettre la bonne info en avant et éliminer la fausse. Il faut démystifier ce type de société, elle n’est pas là pour surveiller les gens, mais les servir. Quand on facilite les connections entre les gens, on offre un service, on ne lit pas, n’écoute pas ce qu’ils échangent. 

Votre fascination pour le digital, est-ce une déformation professionnelle ?
Il ne me fascine pas en tant que tel. Ce n’est pas parce que je dirige Google Belgique que je suis un geek (rire). Le codage par exemple, ne m’intéresse pas. Je ne me penche pas sur la façon dont les choses sont programmées, mais sur leur impact sociétal et économique. Je ne m’occupe pas de la technologie elle-même, mais de ses effets. J’ai fait des études d’ingénieur commercial et j’ai débuté ma carrière dans la blanchisserie industrielle. En 1996, la première fois que j’ai envoyé un mail, je me suis dit « C’est quoi ce truc ? » Ca a attisé ma curiosité et m’a poussé à me réorienter, vers les médias, ensuite vers Google. Ce qui me fascine, ce sont les effets que le digital peut avoir sur nous, les avancées qu’il permet, tout ce que l’on peut faire aujourd’hui grâce à lui et qui n’était même pas imaginable il y a encore trente ans. Avant, quand on avait un message à faire passer à ses collaborateurs par exemple, on le dictait à une secrétaire, qui le tapait à la machine et déposait les notes dans des casiers. Aujourd’hui, on envoie un mail ! Et là, je vous parle de la sphère professionnelle, mais le digital est partout. 

Ce qui semble effrayer pas mal de monde, comment l’expliquez-vous ?
Les gens redoutent toujours le changement : ils ont eu peur du train, de la voiture, de l’électricité… Et puis, ils s’y sont faits. Il faut leur laisser le temps de découvrir, d’apprendre à maîtriser ces nouveautés et à se débarrasser de leurs peurs. Ils sous-estiment également à quel point les choses sont mises en place pour les protéger. Ainsi, beaucoup craignent aujourd’hui pour le respect de leur vie privée, mais ils ignorent que les cadres législatifs mis en place dans ce domaine y veillent et ils sont très sévères. Et les amendes pour non-respect sont salées.

A la lecture de votre livre, Homo digitalis, vous avez malgré tout une vision très optimiste quant à la façon dont l’Homme va utiliser le digital à l’avenir…
Je me vois comme un « possibiliste », je montre les voies envisageables : si on ne prête pas attention à l’usage qui est fait de la digitalisation, on risque de verser dans un monde à la Big Brother. Mais on peut aussi créer un tout autre monde, où l’on profite du meilleur de ce que le digital a à nous offrir. En fait, ce que je dis aux gens, c’est : « A vous de choisir ! » Je veux qu’ils se sentent plus concernés par le digital, qu’ils soient plus conscients des risques certes, mais aussi, des avantages. Qu’ils arrêtent d’avoir peur, qu’ils réalisent à quel point le digital les aide au quotidien. Il ne faut pas voir le digital comme un tsunami qui va nous engloutir, mais comme une vague sur laquelle il faut apprendre à surfer pour en profiter au mieux. En fait, c’est un peu comme quand on va skier : pour éviter les chutes, il faut apprendre à bien skier. Si on a peur, on se bloque, on n’apprend pas ou mal et on tombe. Avec le digital, c’est pareil, il faut apprendre à bien l’utiliser. Cela passe notamment par une bonne sécurisation de ses appareils et applications : avoir des mots de passe solides, gérer ses paramètres de localisation, de vie privée… Beaucoup ne le font pas. Il faut aussi savoir s’en détacher : quand je vois des gens qui passent leur journée, voire leur nuit, sur leur smartphone, qui réagissent à la moindre notification, qui font tout avec lui, ce n’est pas un bon usage. 

Peut-être qu’inconsciemment, en le prenant autant en main, l’Homme a la sensation de garder le contrôle ?
Oui, on peut le voir un peu comme une télécommande universelle… Mais le fait de tout faire avec son téléphone devient dérangeant, il prend trop de place. On le prend en main en moyenne 150 fois par jour. C’est énorme ! Il faut se demander pourquoi on s’en empare autant et réfléchir à nos besoins réels. De toute façon, selon moi, le smartphone en tant qu’objet va finir par disparaître de nos vies. D’une manière générale, la technologie est amenée à disparaître sous ses formes matérielles, pour laisser la place à l’ambient computing. La technologie sera partout mais invisible. Avec des tas d’objets connectés que l’on contrôlera, mais que l’on ne devra plus manipuler. La bonne place pour la technologie, c’est entre le mur et le papier peint : elle doit nous accompagner, nous aider, mais pas être intrusive.

Quelle place occupe le digital dans votre vie ?
Pour moi, le digital est un moyen. J’utilise la technologie au quotidien, disons 80% du temps, mais elle n’occupe pas une place en tant que telle : elle me sert. Le digital prend une place plus concrète pour moi quand par exemple, j’acquiers un nouveau smartphone et que je dois consacrer vingt minutes à le paramétrer. 

Quelles sont les applications que vous utilisez le plus ?
Les nouvelles générations utilisent des tas d’applications différentes pour communiquer mais moi, je reste un dinosaure pour cela, je suis accro au mail (rires). Pour mes déplacements, Waze est devenu indispensable. Quand je suis à pied ou en transport en communs, j’utilise plutôt Google Maps. Enfin, depuis le confinement, j’utilise beaucoup Youtube. Je suis fasciné par la richesse des contenus que l’on peut y trouver. Je préfère chercher des contenus moi-même selon mes envies par ce biais plutôt que de passer la soirée à zapper devant des programmes télé. Je peux tout aussi bien me caler devant une comédie française qu’un reportage sur la montée du populisme dans les années 30. J’aime aussi regarder des clips des années 70, 80.

Quelles applications souhaiteriez-vous voir mises en place ?
Je souffre d’hypertension. Chaque année, je consulte un spécialiste qui analyse mes données et me prescrit un traitement pour l’année en fonction de cette analyse. Je rêve d’une application à laquelle je pourrais être connecté via ma montre par exemple et qui surveillerait mes paramètres en permanence, que le traitement soit adapté en fonction de leurs variations. Je rêve aussi d’inverser le feed de news des médias sociaux, c’est-à-dire avoir un feed de news avec la sélection des infos de tous les médias sociaux. J’aimerais également que les algorithmes soient plus en accord avec nos besoins réels du moment, moins liés aux recherches que l’on a faites précédemment.

Y a t-il des domaines où le digital n’a pas sa place ?
A table : chez moi, j’interdis l’utilisation du téléphone durant les repas. Maintenant, est-ce que cela signifie que le digital y est totalement absent ? Pour l’instant, oui. Il n’est en tout cas pas « physiquement » présent lors de ces moments.

Comment déconnectez-vous ?
De 22 h 30 jusqu’à 7h, mon téléphone ne reçoit plus aucune notification. Je peux encore l’utiliser, mais je n’entends pas les « ping » et je ne vois pas les notifications. Et ça fait du bien. J’utilise aussi une application qui me permet de contrôler le temps que je passe sur les réseaux sociaux et je veille à respecter la limite que je me suis fixé. Sinon, pour une vraie déconnexion, ce que j’adore, c’est faire mes valises et m’offrir un city-trip… en Belgique, à Liège, Mons, Gand, Bruges, etc.  Il ne faut pas aller loin pour voir des choses formidables. Beaucoup de Belges s’extasient sur la gare de New York, mais ont-ils jamais vu celle d’Anvers, qui est magnifique ? On possède aussi des tas de musées extraordinaires. Et au niveau de la gastronomie, on a de nombreux établissements de qualité à tous les prix. 

Vous êtes un parfait porte-parole du staycation en somme !
Ah mais totalement (rires) Et je le pratiquais déjà bien avant le confinement, mais disons qu’il l’a renforcé. J’ai par exemple, pour la première fois de ma vie, séjourné à l’hôtel dans ma ville, Anvers. C’est une expérience que je conseille à tous. Vous redécouvrez vraiment votre ville.

A quels objets restez-vous très attaché ?
Au quotidien, j’ai encore toujours un stylo sur moi en permanence, alors que j’écris beaucoup moins qu’avant. Je n’utilise par contre plus d’agenda papier ni de montre depuis des années. Par contre, je suis très attaché à des objets que je n’utilise pas tous les jours ; c’est plus de l’ordre de la nostalgie. Je conserve dans mon grenier tous les jouets de mon enfance, impossible de me débarrasser de mes collections de Lego ! J’ai, durant les années 80, été DJ, je possède encore tous mes vinyles de l’époque et mes platines. Ce qui est amusant, c’est que mes enfants les ont redécouverts et les écoutent. Je roule dans une vieille Fiat 850 Spider décapotable des années 60, à laquelle je tiens énormément. Je me la suis offerte pour mes quarante ans. Pour l’anecdote, c’est le même modèle que celui que conduit l’héroïne de bande dessinée Natacha, l’hôtesse de l’air. Il faut savoir que je suis un grand fan de BD. J’en ai des tas. J’ai aussi tous les exemplaires du magazine Spirou depuis que je suis enfant. Je suis incapable de lire un roman le soir, par contre, savourer quelques planches de Geluck ou de Franquin, j’adore ! Voilà d’ailleurs encore un endroit où il faut proscrire le digital : le lit, surtout au moment de se coucher ; consulter ses réseaux sociaux avant de s’endormir est une très mauvaise chose, ça stimule le cerveau et freine l’endormissement. Par contre, une BD, ça détend. 

Quelles sont, pour vous, les œuvres de fiction qui ont été, ou sont encore, les plus réalistes par rapport à l’évolution technologique ?
C’est marrant parce que je me souviens justement d’avoir un jour lu une aventure de Yoko Tsuno, où elle recevait une espèce de télécopie. Je m’étais dit « Ca, c’est n’importe quoi, ça n’arrivera jamais ». Or quelques années plus tard, le fax est apparu. Il y a des films qui me fascinent pour la façon dont ils ont visualisé l’évolution du monde. Avec un bémol toutefois : ils montrent toujours le côté négatif de ces évolutions, leurs dérapages. Prenez « 2001, L’Odyssée de l’espace » de Stanley Kubrick. Il parle bien avant l’heure d’ambient computing et de l’interaction avec l’intelligence artificielle, mais au lieu de montrer à quel point cela aide l’Homme, il en fait un film où la machine prend le contrôle et écrase l’humain. Idem, dans « Minority Report » de Steven Spielberg, je trouve extrêmement intéressant de se plonger sur la possibilité de prédire les actes criminels et les empêcher, mais là encore, ça vire au thriller hollywoodien. En fait, tout est un peu comme cela dans la vie aussi : on a l’impression que quand tout se passe bien, sans rien qui fasse peur, ça n’intéresse personne !  On y revient : il faut surmonter la peur, poser un regard constructif sur les choses !

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