Uniqlo : La stratégie gagnante

Le numéro trois mondial de l’habillement est en pleine croissance : il vise la première place pour 2020. Son mantra : “Imaginer le futur du vêtement et le vêtement du futur”. Un programme qui, pour l’instant, passe toujours par la case “grandes surfaces“. Pour l’instant...

PAR ISABELLE PLUMHANS. PHOTOS D.R. |

Nous sommes en 1949, dans une petite ville du sud du Japon. Un certain Hitoshi Yanai ouvre un modeste magasin d’habillement masculin. La même année, naît son fils Tadashi, qui exploite la même veine professionnelle en créant l’entreprise de textile Fast Retailing. En 1984, ce jeune trentenaire lance sa première boutique Uniqlo, à Hiroshima.

Dès le départ, le concept d’Uniqlo — dont le nom provient de la contraction d’Unique Clothing Warehouse — se veut simplissime : coupes minimalistes et matières solides. Les débuts de l’enseigne sont confidentiels, mais celle- ci gagne rapidement en puissance. Aujourd’hui, Fast Retailing, qui détient les marques Comptoir des Cotonniers, Princesse Tam Tam ou Helmut Lang, possède près de deux mille magasins Uniqlo à travers la planète et, avec 8200 mètres carrés, a ouvert la plus grande surface commerciale sur la 5e Avenue de New York. Surtout, Fast Retailing est désormais numéro trois mondial de l’habillement, derrière Inditex (Zara) et H&M, et vise officiellement la première place pour 2020. Quant à Tadashi Yanai, il serait désormais l’homme le plus riche du Japon selon un classement établi par le magazine Forbes.

Tadashi Yani, le fondateur

La raison de ce succès ? D’abord un accident de l’histoire économique du Japon : la “décennie perdue” des années 90. À cette époque, après le boom d’après-guerre, la bulle spéculative éclate dans le pays. Croissance faible, déflation, chômage de masse, c’est la crise. Les Japonais adeptes de la mode doivent trouver une solution pour s’habiller stylé à bon marché. Ça tombe bien, c’est ce qu’Uniqlo propose. La marque s’installe confortablement dans le secteur de l’habillement asiatique. Mais il faut entretenir cet acquis.

Après un passage à vide imputable sans doute à un mauvais positionnement marketing et communicationnel, Uniqlo grandit en soignant sa stratégie de développement. Cette dernière repose sur trois axes. D’abord, la compréhension fine — oserait-on dire humaine ? – des marchés visés. La plus grande tendance d’Uniqlo, c’est le soft respect, nous glisse John C Jay, président “of global creative” du groupe Fast Retailing, que nous avons rencontré à New York avec Tadashi Yanai. On veut respecter les consommateurs. On ne veut pas injecter artificiellement la mode dans la vie : on essaie de faire des vêtements qui expriment qui nous sommes. 

John C Jay, le concepteur

Culture adaptée

Dans cet ordre d’idée, quand Uniqlo s’installe dans un pays, communication et fonctionnement s’adaptent à la culture de ce dernier. Pour exemple, l’arrivée de l’enseigne à Bruxelles en octobre, place de la Monnaie, fut annoncée par une campagne publicitaire dont les mannequins n’étaient autres que des acteurs de la vie artistique et médiatique locale. Un pas (éthique) plus loin, Uniqlo a développé au Bangladesh Grameen Uniqlo : un programme d’entreprenariat social en lien avec la Grameen Bank. Soit des filiales du groupe, sur place, qui vendent des vêtements fabriqués dans le pays aux populations locales, dans le style du coin. 

Toute ma vie professionnelle est basée sur cette affirmation du respect et des valeurs, confirme John C Jay. C’est dans l’ADN japonais. Il faut s’ajuster au monde tel qu’il est. Il faut comprendre les pays et les villes où on veut s’installer pour pouvoir correctement s’y développer. Mais pour vivre, Uniqlo doit vendre. Développement versus durabilité... Pour la durabilité, le groupe affirme ne pas pousser à la consommation : Nos collections ne changent pas de style d’une année à l’autre, affirme monsieur Clay. Les modèles restent sensiblement les mêmes. Nous n’encourageons donc pas la surconsommation.

Pour ce qui est de l’expansion, la marque s’appuie sur son deuxième axe dedéveloppement: la beauté pratique, celle qui s’adresse au plus grand nombre. Le slogan de la marque, c’est d’ailleurs “Fabriqué pour tous”. Chez Uniqlo, les économes peuvent en effet acquérir une doudoune ultralight mais super chaude pour une soixantaine d’euros et les fan collaborations fashion de la marque. Cet hiver, c’était une capsule bien sentie et très british du créateur J.W. Anderson, trench à chevrons ou veste à imprimé écossais rouge vif sur bleu bic en tête.

Mais ce “Fabriqué pour tous” n’est pas seulement une affaire de portefeuille. Le look épuré, des basiques confortables dont on a tous besoin - T-shirts, pulls, sous- vêtements - est en phase avec notre époque, celle du retour à la simplicité. Tendance zen, la marque plait donc autant aux adeptes des potagers urbains qu’à ceux qui ont vraiment besoin de se couvrir bien. 

Magasins de demain

Le tout s’opère dans une volonté de faire “bien”. En tout cas, John C Jay l’affirme... Nous essayons de créer des vêtements dans la plus grande intelligence. C’est le troisième pilier de la marque, celui de la qualité. Et l’apparente simplicité des pièces proposées se double d’une conception minutieuse. C’est compliqué de faire simple. D’autant que même si une pièce devient iconique, on doit sans cesse la retravailler, continuer à innover.

D’où, notamment, la collaboration avec Toray, géant du textile intelligent made in Japan, et l’innovation qui en découle : le travail sur la fibre intelligente et les vêtements qui s’adaptent aux saisons. Des tissus qui gardent la chaleur mais évacuent l’humidité, d’autres qui se veulent ultra-light quand la température grimpe : c’est tout le challenge de cette collaboration, qui concerne notamment les gammes Heattech ou Aerism.

Une collaboration qui n’aura de sens que si Uniqlo poursuit son adaptation aux réalités d’un marché mouvant, digitalisation oblige. Pour l’instant, la formule de l’enseigne nippone, axée sur les grandes surfaces commerciales, semble toujours porter ses fruits. Mais demain ? Honnête, John C Clay affirme n’avoir pas encore de solution. Il a une seule certitude : le magasin de demain passera par la cohabitation forcée entre le digital et le réel.

Approche digitale sur points de vente réels, la formule d’Uniqlo semble actuellement faire ses preuves

On tente d’ailleurs déjà certaines choses explique le directeur. On a concrètement changé notre façon de travailler dans nos bureaux de Tokyo, par exemple. Les gens ne sont plus devant leurs ordinateurs, on les réunit dans des salles à vivre, avec des coffee shops, des lieux de convivialités. Ce n’est pas quand les gens sont assis devant un écran qu’ils travaillent, c’est quand ils échangent. Je n’ai aucune réponse par rapport au magasin de demain, mais je sais que c’est en changeant l’expérience du shopping qu’on y arrivera, comme on l’a fait pour notre changement d’expérience du travail.

Détricoter hier pour tisser demain: voici clairement la volonté affichée du géant japonais de l’habillement. Et les adaptes du tricot le comprendront : une maille en arrière, deux mailles en avant, l’aventure prendra sans doute un peu de temps.