Le design devient éco responsable

Écoconception, recyclage, récupération et upcycling, usage de matériaux biosourcés, l’architecture d’intérieur et le design s’engagent vers des voies responsables. Quelques exemples d’initiatives parmi beaucoup d’autres...

PAR AGNÈS ZAMBONI. PHOTOS D.R. SAUF MENTIONS CONTRAIRES. |

Dans l’univers de la décoration, plusieurs voies sont aujourd’hui explorées pour réduire l’impact des produits de consommation et contrecarrer l’obsolescence programmée. Récupération de matériaux à redimensionner et retravailler pour les intégrer dans de nouveaux projets, recyclage des matières premières et des rebuts de production ou création de biomatériaux... pour réduire le gaspillage de la matière, l’impact environnemental et plutôt que prélever de nouvelles ressources, les créatifs réfléchissent à des modes opératoires différents.

Précurseur belge

S’il y a un précurseur de l’écoconception, de l’upcycling en Belgique, c’est bien lui. Enfant, Lionel Jadot traînait dans l’atelier de son père et y a fabriqué ses premières créations avec de vieilles planches.

Plus tard, il apprend le métier sur le tas, cultivant l’économie de matériaux, et commence à réaliser des aménagements d’intérieurs puis ouvre son propre studio de design. Depuis, le recyclage est toujours au programme de ce créatif qui jongle avec les matériaux de récupération.

Il a récemment aménagé une pépinière d’artistes dans les bâtiments désertés d’une ancienne papeterie à Zaventem et l’une de ses dernières réalisations, le restaurant Le Pesage, une réaffectation du bâtiment de pesage des jockeys de l’hippodrome de Boisfort, a été presque entièrement réalisée avec des matériaux de seconde main.

Initiatives multiples

Cofondatrice de Design with Sense, un projet coopératif de création d’espaces intérieurs, Christelle Vial favorise la co-création avec une équipe de six personnes aux compétences complémentaires et des clients, parties prenantes de l’économie circulaire comme les commerces de produits écologiques et les restaurants bio. 

"Nous assurons toute la chaîne de la conception à la fabrication en intégrant la faisabilité technique de nos projets. Née d’une réflexion sur le gaspillage, notre démarche respecte le plus possible le cycle de la matière. Nous récupérons les chutes de production de notre propre atelier de menuiserie et rachetons de la matière déconstruite provenant d’autres chantiers : panneaux, bois, vitrages, multiplex stratifié, panneaux de cloisons de bureaux, tubes de chauffage... et nous pratiquons le détournement de fonction. L’entreprise Rotor, spécialisée dans le domaine de la récupération, a mis en place le site Opalis qui offre un éventail large de matériaux de réemploi. Nous aimerions développer la récupération des textiles d’ameublement." 

Christelle Vial précise aussi que, bien que la matière première soit peu coûteuse, généralement 25 % du prix du neuf, la main-d’œuvre et le temps passé comptent pour beaucoup dans le budget. Une évidence aussi pour Olivier Breda de l’agence Dzerostudio Architectes, qui avoue qu’il faut, environ une heure, pour fabriquer un bac à plantes en bois neuf et 4 heures pour réaliser le même objet en bois de récupération.

Il a cofondé cette agence avec Grégory Dessart il y a douze ans. "Dans notre réflexion, nous recherchons le partage des compétences et des savoirs. Nous privilégions les projets avec une certaine modularité pour qu’ils s’adaptent à différents contextes et qu’ils ne finissent pas à déchetterie lorsqu’ils ne sont plus utilisés. Aujourd’hui, en Belgique, les gisements et filières de récupération s’organisent. Nous travaillons notamment avec l’entreprise Retrival. Dans notre activité, nous transformons notamment des déchets de construction (madriers en bois, isolants, vitres...) sans valeur décorative, dans le sens propre de l’upcycling : récupération d’un élément ou matériau, qui a déjà servi, avec une valeur ajoutée. À cela s’ajoute une philosophie « cradle to cradle », avec par exemple, une nouvelle mise en œuvre sans colle, ni produit chimique."

Dans cette optique, l’agence incite aussi ses clients à pratiquer la location plutôt que l’achat. 

ID’CO Studio, un des derniers nés de la création upcycling et situé dans le site bruxellois RecyK d’Anderlecht, rassemble Stéphanie Cornet, fondatrice de la société Trait déco, active depuis dix ans dans la décoration et rénovation d’aménagements d’intérieurs à base de matériaux naturels; et Philippe Vasseur, ex-décorateur et accessoiriste dans le théâtre.

Il raconte être tombé dans l’upcycling lorsque les budgets des projets auxquels il a participé ont été revus à la baisse. Ce duo professionnel s’est lancé depuis septembre 2018 dans la gestion de chantiers de rénovation et décoration, avec à la base la récupération de meubles au rebut qu’ils revalorisent par des transformations, comme l’aménagement de la boutique de Skyfarms dans le site de Be-Here, anciens établissements Byrrh, un nouveau pôle bruxellois d’activités urbaines lié au développement durable. 

"Les contraintes budgétaires de nos clients nous obligent à être créatifs et à tout faire nous-même. Nous devons réaliser prochainement des espaces d’inspiration et de tendances pour les magasins Troc.com pour valoriser leurs meubles et objets de seconde main. Un premier espace pilote est prévu dans le magasin de Jumet près de Charleroi." 

Isabelle Azaïs, créatrice de bijoux et organisatrice de l’exposition itinérante Star Waste (www.star-waste.org), cherche à exporter ses idées et celles des participants à cette manifestation qui, en novembre 2018, était présentée dans le cadre du salon Zéro Déchet de Bruxelles Propreté. 

"Nous avons constaté un véritable engouement et une demande de plus en plus forte d’informations de la part du grand public et des écoles qui ne connaissent pas les filières des matériaux de réemploi. Ils ne savent pas qu’elles sont ouvertes à tout le monde, comme celle de Rotor. Le problème principal réside dans la gestion des lieux de stockage des matériaux. Il existe un gros vivier de matières premières issues notamment des démolitions. On pourrait, par exemple, utiliser temporairement les bâtiments vides en attente de réaffectation pour les stocker", précise Isabelle Azaïs qui aimerait créer un human supermarket regroupant tous les produits issus du recyclage et de l’économie circulaire...

Matériaux de prédilection

Bois, verre, métal, textile, plastique... tous les matériaux de la maison sont travaillés en version upcycling. Projet écosolidaire, la ligne de mobilier français Vertuose utilise les nombreuses chutes de menuiserie retravaillées par des jeunes en insertion professionnelle.

Côté textile, l’European Spinning Group a développé au sein de la ligne de production ESG Green, un fil textile à base de “jean post- consommation recyclés”. Ainsi, les vieux jeans sont collectés dans les régions, pour réduire le transport de longue distance, transformés en fil pour servir notamment au tissage de serviettes de toilette.

Autre initiative de la société danoise Kvadrat, référence incontournable dans le domaine du textile d’ameublement et partenaire de nombreux éditeurs de design, la création d’un textile à base de fibres recyclées. Dans le domaine du verre, le MAGNA GlasKeramik a été mis au point par la société allemande MAGNA à partir de surplus de verre industriel récupéré dans des verreries dans un rayon de 200 km autour de cette firme.

Le procédé exclusif confère l’aspect inaltérable et translucide du verre et la dureté du marbre. Non, l’écodesign n’est plus une utopie mais un véritable outil au cœur même de l’expérience créative où le ludique et le technologique rejoignent le pédagogique, le social et le politique. Car la manière dont nous concevons aujourd’hui la création et la consommation influencera considérablement le sort de la planète dans les décennies à venir.

Suivez So Soir sur Facebook et Instagram pour ne rien rater des dernières tendances en matière de mode, beauté, food et bien plus encore.

Lire aussi :