Rencontre avec Tristan Philippe, Webdesigner devenu céramiste

Dans un monde où paraître et posséder sont devenus la norme, certains trouvent leur salut dans l'art de "faire" quelque chose, d'entrer en contact avec la nature et y trouver l'essence de leur existence. C'est le cas de Tristan Philippe...

PAR INGRID VAN LANGHENDONCK. PHOTOS LAETIZIA BAZZONI SAUF MENTIONS CONTRAIRES. |

La céramique est un art ancestral, un lien tactile avec la terre et un des premiers gestes de l’homme pour apprivoiser et exploiter son environnement. En dehors de ses nobles origines, on constate une véritable résurgence de ces métiers qui nous collent au réel. Tisser, peindre, sculpter ou mouler la terre, ce n’est plus un loisir de pensionné ringard, c’est une nouvelle voie vers le bien-être ! Oui, la poterie, la céramique… sont furieusement mode. Et on ne vous parle pas des ateliers de notre enfance, mais d’une tendance forte qui, bien au-delà du loisir créatif, nous reconnecte à nous-mêmes. Parmi ceux qui ont entendu cet appel et s’y sont abandonnés sans réserve, nous avons rencontré Tristan Philippe. Un céramiste au parcours atypique qui ne s’était pourtant pas destiné à un métier manuel.

Changer de vie

Né à Aix-en-Provence, Tristan a grandi au milieu de la lumière, des couleurs du Sud et en garde cette affection des tonalités chaudes et de la terre ocre de la Provence. Mais c’est pourtant vers le numérique qu’il oriente d’abord sa carrière. Il travaille à la création de sites web et à la conception graphique. Un sage dont j’ai oublié le nom disait : il y a trois phases dans l’existence. On conjugue la première au verbe avoir, puis au verbe être et, enfin, on finit par conjuguer au verbe faire. Je me reconnais totalement dans cette conception de la vie. Pourtant, j’ai adoré mon métier, j’ai vécu ces années avec le sentiment d’être un pionnier, nous étions au début d’Internet et cet univers était alors encore fascinant. À l’époque, si tu savais utiliser une boîte mail, tu étais le roi du monde (il rit). Puis j’ai senti que j’avais fait le tour. Je ne trouvais plus de sens à ce que je faisais.  Je voulais m’approprier mon activité.

Une formation atypique

Le déclic ? Il vient quand Tristan devient père, qu’il s’installe en Belgique et qu’il construit lui-même la maison dans laquelle il nous a accueillis, à Rixensart. Cela m’a donné confiance en mes mains. Il revoit son rapport à la vie, et prend une décision qui va tout changer. La poterie, c’est à la fois simple et compliqué. Il faut de la terre, de l’eau et un peu de maîtrise… Beaucoup de maîtrise, en fait. Cela prend du temps : il faut faire, refaire, s’acharner… J’ai appris lors d’un stage d’une semaine en France, puis d’une formation chez Joelle Swanet, une Belge qui enseigne en Provence. Et enfin, sur YouTube. Oui, vous avez bien lu… Vous seriez étonnés de tout ce qu’on peut apprendre sur le Web. Il y a un Chinois qui vit aux Etats-Unis qui explique via une vidéo de 30 minutes, avec une incroyable précision, le mouvement et le placement de la main. Je me suis repassé ses vidéos en boucle, jusqu’à intégrer le geste jusque dans les moindres détails. C’est aussi efficace que tous les professeurs du monde, en fait. Tristan a ensuite acheté son premier tour et s’est lancé.
Au début, c’était pour moi un revenu complémentaire, à côté de mon ancien métier sur lequel j’avais levé le pied pour me libérer quelques jours par semaine. Mais j’ai décroché
des commandes, ça a pris, simplement
.

Un business model simplissime

L’investissement est pourtant conséquent, du moins si on veut tout de suite disposer d’un tour et d’un four. L’un, professionnel, coûte à peu près 1000 €, le second peut monter jusqu’à 10 000 €. Au début, on peut louer des fours ou cuire ses pièces chez d’autres, mais je suis exigeant car ma cuisson est particulière : je chauffe mes pièces à 1300 degrés. Ce n’est pas anodin, cela influe sur le résultat final. Quand les émaux sous soumis à de hautes températures, leurs couleurs s’estompent. Donc plus on veut des couleurs vives, plus on doit rester proche des 1080 degrés, qui est la température communément utilisée. Moi, je la dépasse pour obtenir des teintes plus organiques. Surtout que je suis attaché aux pigments naturels. La cuisson, c’est donc mon identité. La terre, par contre, ne coûte pas grand-chose. La mienne est 100 % belge, j’y tiens. C’est une production tout à fait locale.

Sa clientèle ? Aujourd’hui, Tristan crée des collections pour quelques boutiques, comme Lucia Esteves à Bruxelles. Mais il travaille principalement sur mesure, pour des commandes privées, ou des restaurants. L’artisan est d’ailleurs associé à quelques belles aventures gastronomiques. Il y a L’Empreinte par exemple, un étoilé de Lille, ou Les Apothicaires, le restaurant lyonnais de Ludovic Mey et sa femme Tabata (que l’on connaît via l’émission Top Chef), pour qui il a dessiné tout un service. De grosses commandes donc, de plus de 100 pièces, qui ouvrent d’autres portes. Cela fonctionne au bouche-à-oreille et surtout via ma page Facebook. C’est fou, mais c’est ma vitrine, mon service de presse et ma boutique en même temps… J’y vends certaines pièces en quelques minutes. On croit que le Web n’est pas en phase avec la démarche de l’artisan. Mais c’est faux, au contraire ! Par exemple, il y a quelques mois, un restaurant a renoncé à une commande: la couleur ne lui plaisait pas. Or j’avais déjà réalisé vingt grandes assiettes. Je les ai vendues sur Facebook en moins d’une heure, et là, elles sont à Liège, dans un autre restaurant.

Un avenir plus artistique, mais toujours technique

Comme beaucoup d’artisans, Tristan Philippe aspire à une production qui soit plus artistique. Mais il manque encore d’assurance. Je commence à aborder la céramique comme un art, j’ai quelques contacts avec des galeries et c’est mon but d’ici quelques années. À l’instar des Japonais, j’ai tendance à penser que chaque pièce est une œuvre en soi, même si elle a une fonction utilitaire. La vaisselle et les vases japonais ne sont pas de simples objets du quotidien… Mais tel un peintre qui doit apprendre la maîtrise du dessin avant de pouvoir s’en détacher et aborder l’abstraction picturale, Tristan cherche d’abord à parfaire sa technique avant de laisser libre cours à une inspiration plus singulière. Nous, on suivra son parcours, assurément ! 

www.tristanp.net