À quoi ressemble l'ancien appartement privé de Coco Chanel ?

En 1918, Gabrielle Chanel ouvrait sa maison de couture au 31 rue Cambon, y posant ses valises et faisant du deuxième étage un lieu de vie à son image, unique et fascinant. Visite guidée des appartements privés d’une icône de la mode.

PAR MAGALI EYLENBOSCH. PHOTOS FRANÇOIS HALARD. |

À l’origine, il y a une femme, Gabrielle Chanel, dite Coco, née le 19 août 1883, à Saumur. Aujourd’hui, il y a un empire. On a forcément envie d’en savoir toujours un peu plus sur ce personnage hors du commun qui a osé casser les codes de l’habillement féminin à une époque où il était plus convenable de suivre le mouvement. L’âme de ce petit bout de femme à la frêle silhouette qui clamait haut et fort que si la mode se démodait, le style lui perdurait, semble toujours présente dans l’immeuble du 1er arrondissement de Paris.

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En beige et noir

On emprunte d’abord le mythique escalier conçu dans le plus pur style Art déco. Avec les lignes géométriques de sa rampe en fer forgé noir, ses marches couvertes d’une épaisse moquette beige soulignée de blanc cassé, ses murs tapissés de longs miroirs offrant un merveilleux jeu de reflets, il résume mieux que des mots l’esprit de la maison. Les femmes les plus fortunées du monde et quelques-unes des plus grandes stars l’ont monté pour se rendre au premier étage, dans les salons de la haute couture où se font les essayages. Les ateliers occupent le troisième. Entre les deux, Mademoiselle Chanel occupait une place stratégique. Un endroit d’où elle pouvait tout voir, sans y être observée, notamment pendant les défilés, à l’époque où ils se faisaient dans la maison. Le photographe Robert Doisneau y avait d’ailleurs immortalisé Coco, assise et épiant les mannequins.

Entre le Ritz et la rue Cambon

Si l’appartement de Coco est aujourd’hui classé au patrimoine national et qu’elle y a eu ses quartiers tout au long de sa vie, il faut savoir que, dès 1935, elle a fait du Ritz sa résidence permanente. Elle y occupait une prestigieuse suite composée de deux chambres et d’un salon. Au deuxième étage du 31 rue Cambon, elle se retirait pour lire, travailler, se reposer, recevoir des amis ou de prestigieuses clientes.

L'entrée

Le décor de l’appartement de Chanel est intimement lié à son style. On y retrouve plusieurs symboles repris tout au long des collections. Le hall d’entrée, telle une antichambre, donne le ton. Aménagé dans un style que l’on peut qualifier de baroque, il annonce déjà ce qui va suivre et offre un singulier contraste avec l’espace tellement épuré de l’escalier. On se retrouve dans un univers théâtral, accueilli par deux statues de Maures en bois polychrome. Coco aimait dire qu’ils étaient ses amis, que le premier l’accueillait à son entrée, alors que l’autre lui souhaitait une bonne nuit. Sur les murs, on retrouve les célèbres paravents de Coromandel, pour lesquels elle eut un véritable coup de foudre.

Pour en recouvrir les murs, elle osa les découper afin de respecter un alignement qu’elle jugeait esthétique. Appréciant également leur esprit nomade et allant jusqu’à en posséder une vingtaine, elle les emportait dans chacune de ses résidences, épinglant parfois les dessins de ses amis Jean Cocteau et Christian Bérard. Les miroirs sont présents dans chaque pièce. Celui de l’entrée est un miroir prussien du 18e siècle au cadre octogonal en bois doré surmonté d’un aigle bicéphale. Il pourrait être à l’origine du bouchon surmontant le flacon du N°5, son premier parfum. La bergère tapissée de satin blanc n’est pas l’originale dans laquelle Coco a posé devant l’objectif de Horst P. Horst pour Vogue. La maison l’a achetée en 1988. Par contre, la chaise de travail de Gabrielle a été déplacée du studio dans l’appartement en 1971. Son originalité réside dans son assise basse qui lui a permis de s’asseoir à hauteur d’ourlet.

Le salon

Gabrielle Chanel a passé de longues heures lovée dans le confortable canapé beige dont les coussins sont matelassés comme le sac 2.55 créé en février 1955. Seuls les intimes, tels Misia Sert, Jean Cocteau, Salvador Dali, Pablo Picasso, Colette, Marlene Dietrich, Jeanne Moreau ou Serge de Diaghilev avaient le droit de s’y asseoir. Les autres prenaient place dans les fauteuils de l’autre côté de la table. Les livres ont toujours occupé une place importante dans la vie de Chanel. Ils ont certainement influencé sa vision du monde. Contrairement à ce que pourrait laisser croire son appartement, chargé de mobilier venant des quatre coins du monde, Chanel voyageait très peu. Les pièces ont plutôt été acquises chez les antiquaires ou lui ont été offertes par ses amis ou ses amants, Boy Capel et le duc de Westminster. Le décor est rempli de symboles et d’histoires qui ramènent tous à son parcours de vie, ses rencontres, ses amours, ses rêves d’enfant et ses aspirations d’adulte... Rappelant Venise et les ors de Torcello et Saint-Marc, les murs du salon gainés de toiles qu’elle avait fait recouvrir de peinture dorée, évoquent les peintures murales de José Maria Sert.

Au centre de la pièce, le lustre attire l’attention. Orné de pendentifs taillés en cristal de roche, améthyste et quartz fumé, son armature est chargée de signes qui laissent supposer que Coco a commandé cette pièce. On y retrouve le G pour Gabrielle, le double C, le B pour Boy Capel et le W pour le duc de Westminster, le 5, son chiffre porte-bonheur, ainsi que des fleurs de camélia. Coco était un brin superstitieuse. L’épi de blé, l’un de ses talismans, est présent partout que ce soit en bouquet, en piètement en forme de gerbe de blé d’une table en métal doré bruni avec un plateau en verre ou sur un tableau signé Salvador Dali.

Née sous le signe du lion, Gabrielle Chanel a collectionné de nombreuses représentations de l’animal. Un motif que l’on retrouve également sur les boutons dorés des vêtements qu’elle a créés. Chanel aimait aussi la symétrie, tout ce qui va par deux. Sans doute une question d’équilibre. La plupart des animaux se présentent en paires, notamment les chevaux chinois en grès, les chameaux en terre cuite ou les grenouilles. Près de la cheminée, on retrouve un couple représentant une biche et un cerf, offert par Misia Sert. Sur une table, on peut aussi observer une petite cage à oiseaux, cadeau d’un ouvrier des ateliers. Elle a inspiré la campagne publicitaire du parfum Coco, réalisée par Jean-Paul Goude avec Vanessa Paradis. Parmi les autres pièces cultes, il y a une boule de cristal portée par trois lions. Elle faisait partie du lustre au départ. Un jour, Gabrielle a demandé à l’orfèvre Robert Goossens de la transformer.

Le bureau

La pièce est couverte des panneaux des paravents les plus précieux. Le premier met en scène le quartier de Hangzhou, le lac Xihu et les montagnes environnantes, un paysage animé par de nombreux bateaux de pêche et par des scènes de la vie quotidienne. Le deuxième paravent est décoré de motifs d’éventails et d’idéogrammes. Sur la cheminée trône une Vierge à l’Enfant, en souvenir de l’orphelinat d’Aubazine. C’est dans l’austérité de cette abbaye cistercienne qu’elle a compris comment la beauté pouvait naître de la simplicité, une conviction qui a marqué durablement son style.

La salle à manger

La somptuosité du décor fait presque oublier les dimensions raisonnables de la pièce. Le mobilier y est imposant. Deux immenses paravents à dix et douze panneaux, des miroirs italiens octogonaux reflétant la lumière du grand lustre en cristal, des consoles vénitiennes, un buste en marbre sur la cheminée, une grande table et des chaises attendent les invités, dans une ambiance à la fois intimiste et poétique. Seul portrait présent dans l’appartement, un buste de l’oncle de Boy Capel orne la cheminée. Une imposante table de style Louis XIII en parquet de noyer accueille des lions en bronze et des coquilles dorées. Autour, les huit chaises Louis XVI, tapissées de cuir aubergine, rappellent que Gabrielle Chanel aimait recevoir ses proches. En 2020, cinquante ans après la disparition de Coco, le décorateur Jacques Grange a mené plusieurs mois de travaux de restauration des lieux, s’inspirant des images d’archive et ne trahissant pas l’esprit de Mademoiselle. S’en faire ouvrir les portes ressemble un peu à un Graal. On y retient son souffle !

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