Rencontre avec Sarah Bovy : "Le sport auto est plutôt féministe"

À 34 ans, Sarah Bovy est entrée dans l’histoire du sport automobile belge en devenant la première femme élue “Pilote de l’année”. Un titre et un parcours qui interpellent. Nous sommes allés à sa rencontre.

PAR INGRID VANLANGHENDONCK. PHOTOS IRON DAMES, PHOTONEWS. |

Nous avons rencontré Sarah Bovy dans son appartement bruxellois. Après avoir grandi un peu partout en Belgique francophone, elle s’est posée ici avec son compagnon et nous reçoit souriante... en béquilles : elle a le pied droit bandé après une vilaine entorse. C’est douloureux, mais ma saison devrait reprendre sans souci. C’est le pied gauche qui est le plus important en course. Le pied droit est plutôt un pied qui se met en mode on/off, mais le gauche est celui qui doit pouvoir développer de
la force et de la précision en même temps. En sport auto, paradoxalement, c‘est le frein qui fait la différence,
nous explique-t-elle.

En vidéo, découvrez Sarah Bovy, la pilote automobile N°1 hors du commun :

Et cette saison est de fait importante pour la jeune femme, devenue vice-championne du monde d’endurance (FIA WEC) dans la catégorie GTE-Am sur la Porsche 911 RSR de l’équipe Iron Dames aux côtés de la Danoise Michelle Gatting et de la Suissesse Rahel Frey. Sarah Bovy fait figure de pionnière dans un sport encore majoritairement dominé par les athlètes masculins, mais elle n’en fait pas un combat ou ne se définit pas comme un porte-étendard de la cause féminine. Quand on y pense, je ne fais pas des choses qui n’ont jamais été faites en sport automobile, mais elles n’ont juste pas encore été réalisées par des femmes, commente-t-elle. Je pense que, parce que j’ai pu intégrer l’équipe des Iron Dames, une team qui m’a donné des moyens professionnels, à moi et à d’autres pilotes féminines pour nous développer et mettre nos compétences à niveau, il me semble que ce sont des conséquences normales. On en fait parfois des tonnes parce que nous sommes des femmes, mais pour moi cela célèbre la compétitivité, pas le marketing. Même si évidemment, c’est encourageant que l’on reconnaisse enfin que les femmes peuvent faire des choses bien dans ce sport. J’ai commencé le karting quand j’avais 12 ans, je ne me suis jamais dit que j’allais devenir une représentante des femmes dans ce sport, j’ai fait du kart parce que je trouvais ça cool.

 ̋Quand on y pense, je ne fais pas des choses qui n’ont jamais été faites en sport automobile, mais elles n’ont juste pas encore été réalisées par des femmes... ̋

Le milieu est-il macho ?

Je n’ai pas vraiment senti que des portes se fermaient parce que j’étais une femme. En tout cas, jamais de manière flagrante. Selon Sarah, le sexisme en sport automobile n’est pas plus répandu qu’ailleurs : Il y a des idiots partout, on trouve exactement le même ratio dans le monde de l’entreprise ou ailleurs... Quand vous êtes en minorité dans un environnement, vous serez toujours confrontés à des gens qui ont un problème avec ça. L’automobile reste un sport où il y a majoritairement des hommes, où les femmes sont sous-représentées, mais c’est un des seuls sports au monde, parmi ceux qui sont les plus médiatisés et les plus populaires, où les femmes peuvent se mesurer aux hommes et... les battre. Ici, la différence physique ne joue pas. On voit bien que depuis qu’on a commencé à gagner des courses, on est encouragées, poussées par le public et la presse : on aime voir les femmes remporter des courses mixtes. J’ai presque envie de dire que c’est un sport assez féministe. (Elle rit)

Elle semble naviguer dans ce monde sans se soucier du genre, et c’est plutôt rafraîchissant. L’équipe dans laquelle je cours est un équipage féminin, c’est un projet porté et financé par une femme. C’est la première fois en vingt ans que c’est une femme qui me tend la main. Avant cela, ce sont toujours des hommes qui m’ont aidée : des chefs d’entreprise qui m’ont sponsorisée, des team managers qui ont cru en moi... et certains pilotes, aussi. Je pense d’emblée à Eric Van de Poele, mais il y en a eu tant d’autres qui m’ont prise sous leur aile et tous m’ont prodigué des conseils précieux. Et quand sur la piste, parfois, je me suis fait un peu bousculer par des mecs à l’ego fragile, qui n’acceptent pas de voir une femme leur tenir tête, j’ai choisi de penser que cela reste de la compétition et j’ai eu la force de le prendre comme un défi.

De garçon manqué à championne

Sarah Bovy reste à ce jour la plus jeune pilote à avoir couru les 24 Heures de Spa, elle était championne de kart à 12 ans... Mais qu’est-ce qui pousse une petite fille à se mettre derrière un volant ? C’est étrange, car mon père a fait du sport auto, mais il a arrêté un peu avant ma naissance. Donc je n’ai pas grandi dans ce monde, je ne l’ai pas vu en combinaison de pilote, il ne m’emmenait pas sur les circuits quand j’étais petite ; je ne peux donc pas dire qu’il m’ait insufflé cette vocation. J’étais juste un garçon manqué et, à 12 ans, je suis montée sur un kart par hasard, comme une activité du samedi... Après une heure sur la piste, c’est devenu une évidence. Du jour au lendemain, j’ai su que c’était ce que je voulais faire de ma vie et j’ai ensuite pris toutes mes décisions, que ce soit pour mes études ou pour les premiers choix de ma vie de jeune adulte, en fonction de cette passion.

Il est hélas compliqué de vivre du sport automobile et Sarah a dû improviser : J’ai étudié le marketing à l’Ephec, puis j’ai commencé à travailler. J’ai été chasseuse de têtes dans l’industrie pharmaceutique pendant cinq ans et je ne vivais pas de mon sport. Surtout que le sport auto coûte cher. Je devais trouver des sponsors, et quand je décrochais un budget, il servait à financer la course mais pas à me rémunérer. Alors, certaines années, je n’ai pas pu courir. J’ai longtemps eu une carrière d’amateur qui voudrait bien être pro, mais sans y parvenir. Au point que, juste après le covid, j’avais abandonné ce rêve ; j’avais même repris une formation en toilettage canin (elle rit). Les animaux sont ma seconde passion et, en fait, je suis contente d’avoir eu cette expérience professionnelle, cela me permet aussi de relativiser. J’ai acquis la certitude qu’il n’y a pas qu’une seule voie, un seul chemin pour être épanouie, et c’est une force.

Le sort s’en est toutefois mêlé : Un jour, un peu par hasard, j’ai entendu parler des Iron Dames. J’ai appris qu’il leur manquait un pilote à deux semaines du début de la saison. Je leur ai envoyé un mail. Aussi dingue que cela paraisse, ils sont revenus vers moi le soir même. Ils cherchaient bien une pilote, pile dans ma catégorie, et 24 heures plus tard, j’étais sur un circuit à Barcelone pour faire ma première course avec l’équipe... Cela fait trois ans que ça dure. Aujourd’hui, la course est mon activité principale, mais je fais pas mal de choses en marge de cela pour gagner ma vie. Je reste considérée comme  ̋amateur ̋, donc j’ai aussi plusieurs activités autour du sport automobile : dans la communication, l’événementiel ou le coaching, je travaille pour les réseaux sociaux de certaines marques et je débute en tant que Team Manager sur certains petits championnats... C’est dans cette voie que je vois ma carrière après la course.

Préparer le corps et l'esprit

Qu’elle soit psychologique ou physique, comment la préparation d'une sportive de cette trempe se déroule-t-elle ? Jusqu’ici, on s’entraînait beaucoup par nous-mêmes, sur base des conseils de préparateurs physiques, on savait quels muscles mobiliser et comment se préparer, mais depuis cette année, la team a décidé de nous préparer de manière plus professionnelle, en nous inscrivant à un programme mené par une société en Angleterre qui ne fait que de la préparation d’athlètes de haut niveau. J’ai fait toute une série de tests en décembre et on m’a prescrit un programme ultra-personnalisé, avec des analyses sur la manière dont je brûle les calories et le ratio entre muscles, eau et gras.

Un régime ? Oui et non. Depuis toujours je fais attention à ce que je mange car j’ai un gros désavantage en sport auto : je suis grande. Je mesure 1 m 85, et le pire ennemi du pilote est le poids. Je ne peux donc pas me permettre de prendre ni trop de gras, ni trop de masse musculaire tout en restant résistante pour pouvoir piloter en course pendant deux heures et demie d’affilée. Une diète trop sévère a un impact sur l’hydratation et donc sur la concentration et sur les performances. Mon programme diététique n’est donc pas du tout à vocation esthétique, mais je fais un sport très physique, où l’on doit maintenir un niveau de performance à 100 % sans interruption, on ne peut rien relâcher, un peu comme les cyclistes ou les marathoniens. Dans une voiture lancée à 300 km/h, la moindre seconde d’inattention peut être fatale.

Et qu’en est-il de la préparation mentale ? Je me suis rendu compte que chaque fois que j’ai trop cherché ma concentration, cela a eu tendance à augmenter mon stress et j’ai commis des erreurs au volant. Je fonctionne mieux quand je me mets en mode “positive attitude”, et que je m’autorise un peu de légèreté, je plaisante... Je ne me concentre que les quelques dernières minutes avant de me mettre au volant. Certaines coéquipières passent de longs moments avec un casque sur les oreilles à travailler leur concentration et à faire de la prévisualisation... Il n’y a pas de formule magique, mais il faut se connaître.
 

Quand elle n’est pas en course, Sarah cocoone en famille avec son homme et son chien : Nous avons passé le nouvel an avec un couple d’amis, en petit comité, avec mon chien dans un chalet dans les bois, et je n’avais besoin de rien d’autre. L’essentiel, la base, ce sont eux : mes proches et ma famille. Quand je rentre en Belgique, je consacre mon énergie à mon couple, je vais courir avec mon chien... J’ai la chance d‘avoir pour compagnon un homme qui partage ma passion et qui comprend l’importance de ma carrière. Il est avocat dans un grand cabinet et sait aussi ce que c’est de sacrifier certaines choses pour se donner les moyens de réussir. Depuis que je suis plus active sur les circuits, notre vie a beaucoup changé car je suis souvent à l’étranger, j’ai la chance de pouvoir compter sur lui et qu’il me soutienne dans cette aventure.

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