Rencontre avec Vincent Dedienne : "Ma mère me voyait bien avocat"

En quelques années, l’humoriste français s’est imposé sur scène et sur les écrans. Désormais incontournable, l’homme – autant que l’artiste – fait craquer les gays, les jeunes filles, leurs mères et même les mamies. Un succès dont il s’étonne et qu’il peine même parfois à assumer, tout comme son image de gendre parfait.

PAR INGRID OTTO. PHOTOS CHRISTOPHE MARTIN, JEAN-LOUIS FERNANDEZ, PHOTONEWS. |

Vous venez de faire salles combles à plusieurs reprises chez nous avec votre seul-en-scène, Un soir de gala (qui revient le 20 novembre, ndlr). Un spectacle où vous campez des personnages féroces. Est-ce pour contrebalancer votre réputation de gentil garçon ?

(Il rit) Je ne sais pas si je suis gentil, mais j’ai été bien élevé et je me comporte bien dans la vie, du coup sur scène, c’est agréable de jouer les enflures ! Les personnages féroces sont plus amusants à jouer. Parce que les gentils ou bien les gens qui n’ont rien à se reprocher, les héros, au théâtre et au cinéma, souvent, c’est chiant... à jouer et à regarder. Déjà, il n’existe pas de film ou de spectacle où tout va bien et où les gens se comportent bien du début à la fin, il faut toujours qu’il y ait un caillou dans la chaussure.

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Ce spectacle vous a permis de remporter un Molière, le second de votre carrière. Les titres, les récompenses, est-ce important ?

La meilleure définition des récompenses a un jour été donnée par Fanny Ardant, aux César, elle a dit que ça faisait plaisir “comme une glace quand il fait très chaud”. C’est à dire que sur le moment, on est content, puis on oublie. On ne se réveille pas tous les matins en se disant “Oh j’ai eu un Molière !” Mais c’est vrai que sur le moment, ça fait très plaisir parce que ça récompense vraiment beaucoup de travail. On se dit “Ok, je ne me suis pas planté”. Et c’est bien, parce qu’on a toujours le doute que ce qu’on fait est pertinent... Et puis, je regardais beaucoup les cérémonies quand j’étais petit : les César, les Molières... Dans ma chambre je m’entraînais à faire des discours.

Vous vous projetiez, en somme...

J’avoue (il sourit).

Provoquer le rire, c’est en vous depuis l’enfance, non ? Il paraît que vous faisiez exprès de tomber pour faire rire vos parents...

C’est vrai ! Un jour, j’ai fait semblant de tomber pour voir ce que ça ferait, et mes parents ont ri. J’ai compris qu’il se passait un truc, que je pouvais déclencher le rire en faisant quelque chose. C’était bizarre... Très vite, le rire, les bruits et les expressions que cela faisait naître... J’ai vu ça comme un trésor à aller chercher chez les gens.

@Jean Louis Fernandez

Et l’amour de la scène, quand vous est-il venu ?

J’étais enfant. C’est d’abord le théâtre en tant que lieu qui m’a marqué. Il y avait un petit théâtre au milieu des vignes, chez mes parents, en Saône- et-Loire, avec cette construction en bois, les planches, le bruit du bois qui craque, les sièges vides qui attendent... J’imagine que les croyants ont ce genre de révélation quand ils entrent dans des églises. Moi, la découverte de ce théâtre, ça m’a intimidé, impressionné, ça m’a tout de suite plu aussi, mais de manière sensuelle, de manière physique. Quant à mon premier spectacle, je jouais... un castor. J’arrivais en faisant une roulade. Une entrée qu’il faudra que je refasse un jour, dans un spectacle ! (Rires)

Vous enchaînez les rôles sur scène, mais aussi au cinéma et à la télévision. Comment gérez-vous votre temps ?

Eh bien justement, il n’y a pas assez de temps pour tout, je trouve. Là, j’ai envie de jouer mon spectacle. J’aime jouer, beaucoup, longtemps. J’aime être en tournée. Il est question de le monter aussi à l’étranger, j’aimerais voir comment il marcherait aux États-Unis ou au Canada, par exemple. Mais ça me plairait aussi d’écrire pour d’autres et de jouer pour d’autres... J’ai envie de faire trop de choses, c’est bien ça, le problème : je suis souvent accablé par le fait de ne pas avoir le temps de tout lire, de tout voir, d’aller partout, c’est horrible ! Il faudrait que je me réconcilie avec l’idée qu’on n’a qu’une vie... Mais ça, c’est insupportable pour moi !

Si vous ne deviez garder qu’un seul aspect de votre vie professionnelle, lequel choisiriez-vous ?

Je serais malheureux, vraiment, si on m’obligeait à choisir. J’adore tout : le théâtre, le cinéma, la télé... Même quand je faisais des chroniques, j’adorais ça. J’ai vraiment aimé toutes les expériences que j’ai vécues jusqu’ici. C’est super de se diversifier. Mais mon vrai métier, c’est la scène. D’abord parce que c’est celui que j’ai appris, c’est l’école que j’ai faite, j’ai suivi une formation avec des professeurs, des metteurs en scène, j’ai fait mes armes pour ce métier-là. Et puis, le théâtre, je trouve que ça rend meilleur que le cinéma. Le cinéma est un sport plus individuel, le théâtre est plus collectif. Quand on est deux, trois, six... – la dernière pièce que j’ai jouée, on était vingt-deux ! –, on est obligé d’être attentif à l’autre, de partager la lumière, d’être un bon partenaire, d’être à l’écoute, et ça rend meilleur. Souvent dans le cinéma, on est concentré sur soi, on est inquiet pour son image. Ce sont des carrières plus individuelles.

Si vous n’étiez pas devenu humoriste, qu’est-ce que vous auriez aimé faire dans votre vie ?

Je n’en sais rien. Ma mère me voyait bien avocat. Mais ça ressemble trop à humoriste (rires). C’est quand même un métier d’éloquence et de spectacle, finalement. Enfin, peut-être pas de spectacle, mais ce n’en est pas très loin. Je pense que j’aurais travaillé dans le milieu du jeu de société, une de mes autres passions. Comme le théâtre, c’est encore un de ces endroits où on est en lien les uns avec les autres. D’ailleurs ça ne s’appelle pas jeu « de société » pour rien. De plus en plus dans ma vie, j’aime trouver comment être en relation avec les autres parce que tout a tendance à nous isoler en permanence aujourd’hui. Donc voilà, si je n’avais pas été humoriste, j’aurais eu un petit magasin de jeux de société. Ou une papeterie. J’aurais vendu des stylos...

@Christophe Martin

Quand on relève les adjectifs qui vous qualifient dans la presse, on trouve “gracieux, virtuose, décalé, poétique, brillant, fin, élégant, gentil, poète, raffiné...” Êtes-vous conscient d’incarner le nouveau charme à la française, voire carrément le petit ami ou le gendre idéal ?

(Surpris) Ah bon ?! Oh, là, là, c’est n’importe quoi ! Tout ça, ce sont les mots qu’on dit aux gens qui sont un peu moches ! (Rires) C’est comme quand on dit de quelqu’un qu’il a vachement de charme. Personnellement, je déteste me regarder, me voir. C’est ça qu’il y a de bien aussi avec le théâtre : on ne se voit pas. Au cinéma, on se voit en gros plan, sous toutes les coutures, je déteste ça. En même temps, tant mieux si on m’imagine petit ami ou gendre, parce que c’est amusant de jouer les lovers dans des films. Mais, j’ai quand même toujours la sensation que je suis... (il cherche ses mots).

Pas un imposteur, quand même ?

Pas loin. Je ne suis pas loin d’un sentiment d’imposture. Comment dire ? (Il marque une pause). Si j’étais cinéaste, je me prendrais pour un rôle comme ça seulement après avoir vérifié que les autres ne sont pas libres. Il y a tellement d’acteurs géniaux : William Lebghil, François Civil... Je trouve qu’il faut faire ce pour quoi on est très fort aussi. Il y a quelques années, j’avais un peu le syndrome Tchao Pantin : je voulais montrer que je n’étais pas qu’un rigolo, que je pouvais faire ci et ça... Eh bien cet état d’esprit, je l’ai de moins en moins. Je trouve que c’est bien aussi de creuser son sillon, de faire ce pour quoi on est fait.

Pourtant, vous dites aussi aimer sortir de votre zone de confort...

Vous voulez dire que je suis paradoxal ? (Il rit) Je ne cours pas après le contre-emploi, mais j’aime le challenge. J’aime non seulement sortir de ma zone de confort, mais aussi sortir de celle des spectateurs. Je trouve que c’est bien de déplacer un tout petit peu les gens, de ne pas leur donner tout à fait ce à quoi ils s’attendent. Parfois, on nous dit “Il faut faire ce que le public aime”, moi je trouve qu’il faut faire ce que le public ne sait pas encore qu’il aime. Ou faire ce que le public va découvrir qu’il aime. Il faut toujours un peu déplacer... Ça ne veut pas dire qu’il faut faire complètement n’importe quoi, mais c’est bien de faire des petits pas de côté de temps en temps.

En fait, vous aimez surprendre ?

C’est comme dans une relation amicale ou amoureuse, il faut éviter de ronronner. C’est pour ça qu’au bout de quatre ans, j’ai arrêté mes chroniques télé alors que ça marchait à fond, les gens adoraient et moi, je m’amusais beaucoup, mais je sentais que j’allais tomber dans un petit ronronnement, et je me suis dit que c’était le moment d’arrêter. Peut-être que j’y reviendrai plus tard...

Où vous voyez-vous dans dix ans ?

Je pense que je ferai toujours ce métier. Peut-être que je vais m’en lasser, mais je n’ai pas l’impression. Pour l’instant, ça me convient bien. Ce que je me vois bien faire, c’est alterner des grands moments de travail, comme ceux-là, et des grands moments de rien du tout... faits de puzzles et de jeux de société ! Plus ça va, plus j’ai de goût pour le farniente, pour ne rien faire. L’oisiveté, c’est génial. La contemplation, le rien, c’est génial. Et ça, c’est une denrée qui tend à manquer !

Quels sont vos projets dans l’immédiat ?

En parallèle à la tournée, j’ai tourné une comédie musicale de Diastème avec Alex Beaupain. J’adore chanter. J’ai tenté plusieurs fois de participer à N’oubliez pas les paroles ; j’étais un candidat sérieux mais je n’ai pas été repris. Nagui a été sympa : des années plus tard, il m’a invité dans l’émission (on a appris entre-temps qu’il animerait plusieurs éditions spéciales d’une autre émission, Le maillon faible, avec des célébrités, ndlr.). Dans quelques mois, je jouerai Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce, dont Xavier Dolan a tiré un film, que j’ai envie de jouer depuis longtemps. L’histoire d’un homme malade qui revient dans sa famille pour annoncer qu’il va mourir, mais il n’arrive pas à leur dire.

Ça va être marrant, dites donc !

Non, ça ne va pas être marrant (rires) ! Là, pour le coup, ça sera intéressant de voir si les spectateurs sortiront de leur zone de confort avec moi.

Un soir de gala, le 20 novembre au Cirque royal, cirque-royal-bruxelles.be

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