Anya Taylor-Joy : « Il ne s’agit pas que des échecs »

Brillante dans le rôle de Beth Harmon, l’actrice nous raconte son rapport obsessionnel à ce personnage singulier.

Par Lucy Allen (Interview People), Photos Netflix. |

Lancée en octobre dernier, Le Jeu de la Dame (The Queen’s Gambit), série au succès phénoménal se déroule dans les années 1960 et retrace le parcours de Beth Harmon, une jeune orpheline, joueuse d’échecs prodige, qui rêve de devenir numéro un mondial tout en luttant contre ses propres démons et sa dépendance à la drogue et à l’alcool. 

Comment avez-vous abordé votre rôle de Beth ? 

Je dois dire que c'était assez spontané. Quand j’ai appris que Scott voulait me rencontrer, je n'avais pas encore vu le scénario, alors j'ai acheté le livre, et je l’ai dévoré en une heure et demie. Après cela, je pense que je n'ai jamais couru aussi vite pour rejoindre une réunion. Nous étions instantanément sur la même longueur d'onde et j'ai eu l'impression de pouvoir vraiment comprendre ce sentiment de solitude et cette volonté d'essayer désespérément de donner un sens à un monde qui ne lui était pas naturellement familier et la montée de ses dépendances.
J’ai ressenti comment les échecs lui ont permis de se révéler bonne dans quelque chose et de se sentir dès lors acceptée par le monde. On sent que Beth cherche sa place, parce que tout au long de son histoire, tout le monde l'a négligée ou carrément abandonnée. C’est pour cela qu’elle ne fait pas confiance aux gens. Essayer désespérément de trouver une place, de s'intégrer, ce sont des sentiments que j’ai aussi ressentis étant enfant. J'ai très vite été obsédé par elle et j'ai eu énormément de chance de m’entendre si bien avec Scott et qu'il prenne soin de moi, parce que j'étais très profondément en fusion avec Beth. Scott me disait souvent: «Prends soin de toi aussi, s'il te plaît!»

Pourtant, il semble impossible de savoir ce qu’elle ressent… 

Je ne pense pas qu'elle sache elle-même ce qu'elle ressent la plupart du temps. Je pense qu’elle ne fait que réagir à ce qui se passe, c’est pourquoi elle est toujours dans une posture défensive : c’est cela qui la rend si agressive sur l'échiquier. C'était merveilleux d'être dans sa tête mais aussi oppressant parfois : incarner ce sentiment de défense, ce sentiment d’être encerclée de murs en permanence… je m’y sentais un peu sous pression [rires].

La série explore aussi le poids du génie, surtout quand il confine à la folie comme ici. Le génie, ici n’est-il pas destructeur?

Il y a deux explications : d’une part, il y a l’idée que si elle peut faire certaines choses, elle se prouve qu’elle n’est pas un problème, que ce n’est pas elle la raison pour laquelle tout le monde l'abandonne. Elle peut enfin se dire : « Je ne suis pas un cancer : si je peux atteindre le sommet, alors j’en vaux la peine. Mais il y aussi cette dépendance, et le plus difficile pour elle, c’est aussi qu’elle découvre les échecs exactement au moment où elle prend ses premiers analgésique, elle finit donc par avoir l’impression qu’elle ne peut pas gagner sans, et c’est là qu’elle commence à se perdre.

Mais les drogues la transforment, au point qu’elle peut enfin se libérer et écouter son instinct face à l’échiquier. Peut-on dire que cela la libère en quelque sorte ? 

Evidemment. Avant tout parce que cela bloque le côté gauche de son cerveau, celui qui l’aliène et qui ne la laisse jamais tranquille. Je pense que tout toxicomane vous dira que ça marche… jusqu'à ce que cela ne marche plus. Il y a une bonne raison pour laquelle on prend ce premier verre ou ce premier cachet : c'est parce que cela fonctionne, au début. Mais on sait que le problème avec les drogues, c’est qu'elles finiront par ne plus agir, et qu'elles vous rendront fou, ou qu’elles vous tueront.

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