Fashion Week : Peut-on encore vraiment célébrer la mode quand le monde tourne mal ?

Alors que les Fashion Week touchent à leur fin, nombre de voix s’élèvent pour accuser la futilité de ce rendez-vous, face aux événements funestes et aux combats qui prennent part en Europe. Est-ce vraiment inapproprié d’encore vouloir s’intéresser à la mode quand le monde tourne fou ?

Ingrid Van Langhendonck, Photos Photonews |

Le sentiment de ne pas être à sa place

Dès le début de la Fashion Week à Milan déjà, Sophie Fontanel, journaliste de mode française reconnue pour son œil très juste et sa plume redoutable, s'exprimait en regrettant de se trouver assise au milieu des photographes et des influenceuses, face à des shows, des robes sublimes, de grandes démonstrations alors qu’à quelques milliers de kilomètres certains vivent un véritable drame… Et elle avait raison. L'actualité brûlante s'insinue partout et il semble donc logique de s’interroger sur le bien-fondé de tout cela. N’est-il pas indécent de s’extasier devant une cascade de taffetas, un escarpin échancré ou de se demander ce que l’on portera à la plage cet été alors qu’un véritable drame se joue à un jet de pierre de chez nous… ?

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Où est la limite?

Mais la question doit se poser: à quel moment devons-nous nous replier sur les choses essentielles et nous sentir gênés de nous autoriser une quelconque légèreté, à quel moment devons-nous nous interdire toute futilité parce que des drames se vivent à d’autres endroits de la terre ? Le problème de la faim dans le monde, les conditions de pauvreté dans lesquelles vivent certaines populations et autres conflits armés qui font rage depuis des décennies n’ont, jusqu’ici, pas encore réussi à nous sensibiliser au point de remettre tout notre système en question et nous avons vaqué à nos occupations malgré tout. Pourtant, ce conflit ici, à nos portes, parce qu'il ne nous est pas tout à fait étranger, a le mérite de réveiller davantage nos consciences…

La vidéo du jour :

Et pourtant...

Mais d’autre part, il y a eu la pandémie et le secteur de la mode a été très cruellement frappé. Il y a tous ces métiers derrière les vêtements que l’on porte, derrière cette apparente futilité, il y a des petites entreprises, un marché, et toute une série de gens pour qui c’est aujourd'hui vital de vendre des vêtements et des accesssoires, de continuer à en créer et à en produire…
Contrairement à ce que l’on pense souvent, tous les acteurs du marché de la mode et du luxe ne sont pas richissimes. Au contraire, il y a parmi eux bon nombre d’artisans, de petites mains, d’ouvriers et de personnes aux conditions parfois précaires… Au nom de quel drame devrait-on les empêcher d'exercer leur métier?
Pour tous ceux-là, reporter, encore une fois, la présentation ou la mise en vente de leur collection signifierait une véritable mise à mort de leur activité. La hiérarchie des malheurs est toujours un exercice périlleux, mais on sait qu’une crise économique fait elle aussi énormément de dégâts …
Dès lors, on salue les initiatives, les minutes de silence et les hommages rendus par certains designers au début de leur défilé en hommage à l’Ukraine, mais comme de nombreux observateurs, on choisit de ne pas regretter de participer à ces semaines de la mode. Même si une certaine réserve et une once de pudeur sont de rigueur en égard aux circonstances, il est important qu’une certaine normalité, que les activités culturelles, les concerts, les expositions, et les autres manifestations de la créativité puissent continuer à exister un maximum, malgré les bombes, malgré les larmes…

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Rester debout

Même si on attend de l'industrie de la mode aujourd’hui, après tout ce qui nous a été infligé ces deux dernières années, de se prendre davantage en main, de regarder vers un avenir plus durable, de recentrer ses priorités et de se montrer plus humaine, il serait peut-être un peu prématuré d’estimer que la mode n’a pas sa place dans notre actualité et que parce que le monde va mal, elle devrait se terrer dans son coin et ne pas faire de vagues…
Sur les réseaux sociaux, on lit souvent que Churchill aurait déclaré, alors qu’on lui demandait de couper dans les budgets des arts pour participer à l’effort de guerre : « Mais alors pourquoi nous battons-nous ? »… Cette citation n’est pas rigoureusement exacte, mais l'homme croyait en l'importance de la culture comme un des fondements de notre humanité, et cette réplique sonne terriblement juste en ces temps difficiles…

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