L'avenir de l'hôtellerie selon Jean-Michel André, CEO de Limited Edition Hotels

L’homme derrière le Jam, Le Berger, le Jardin secret et le Domaine de Ronchinne a révolutionné le concept de l’hôtellerie en Belgique ; il évoque sa vision du secteur et ses défis à venir.

Par Sigrid Descamps. Photos D.R. Marie-Françoise Plissart. |

Quand a démarré l’aventure de Limited Edition Hotels ?
En 2002, avec l’achat du Monty, un petit hôtel de 18 chambres à Woluwé. Mes associés (Philippe Bonnet et Eric Jacques) et moi y avions réalisé des travaux, mais l’avons à peine exploité ; on l’a revendu au bout de quelques mois. On a vite compris qu’un hôtel de cette taille, c’est comme un restaurant avec quatre tables : on paie du monde mais cela ne rapporte pas grand-chose. On est passé à la vitesse supérieure avec le White Hôtel sur l’avenue Louise, avec 60 chambres. A l’époque, il manquait d’hôtels avec une identité originale chez nous. On a fait appel à 60 designers belges qui ont chacun refait une chambre. On a été les premiers à imaginer un hôtel différent, qui mettait le design en avant à Bruxelles. On y a lancé les soirées « Plastic », qui ont permis à l’établissement de devenir une vitrine des arts plastiques. Les artistes se produisaient dans les chambres et le hall d’accueil se muait en dancefloor. Après quelques années, on l’a revendu.

Quand vous revendez un établissement, vous n’avez pas l’impression de vous séparer d’un de vos bébés ?
Non parce que j’ai le sentiment d’avoir fait tout ce que je pouvais faire dans cet hôtel. De plus, garder ne fait pas partie de ma nature et si je veux me lancer dans un nouveau projet, j’ai besoin de fonds. Je suis plus porté par les projets à venir que par ceux qui existent. On me dit parfois que je devrais les conserver et les transmettre à mes filles, mais je leur ferais un cadeau empoisonné, qui les obligerait à faire de l’hôtellerie alors qu’elles n’ont pas choisi cette voie. Selon moi, un hôtel est bon pour être revendu au bout de cinq, sept ans d’exploitation. A l’époque, revendre le White nous a permis d’acheter le Jam. C’est un bâtiment qui n’intéressait pas les promoteurs classiques car ses plafonds sont trop bas pour créer des logements. Mais il se prêtait pas mal pour faire un hôtel, où on a fait pour la première fois appel au designer Lionel Jadot pour réaliser le bar et le restaurant.

Un endroit bien connu des Bruxellois, grâce à son bar, son resto, sa piscine, où l’on retrouve aussi votre souci de collaborer avec des artistes et où vous organisez des événements. Des éléments qui font l’ADN de Limited Edition Hotels ?  
Ce qu’on veut, c’est créer des hôtels atypiques. Avant la pandémie, l’hôtellerie bruxelloise était florissante, on voyait affluer de plus en plus de touristes avec des profils très variés : des jeunes, des moins jeunes, des couples, des familles, des gens seuls… Avec un point commun : tous cherchent de plus en plus des hôtels différents. Aujourd’hui, on ne va plus à l’hôtel seulement pour bien dormir, on veut également vivre une expérience, se trouver dans un lieu où il y aura un bon restaurant, dans un chouette quartier, un hôtel aussi où l’on fera de belles photos… En fait, on veut désormais conserver des souvenirs de son hôtel. Je suis moi-même le premier client de cette démarche.

Une autre de vos réussites, c’est l’Hôtel du Berger, à Ixelles…
Et pourtant, ce n’était pas gagné. On l’a acheté après quelques hésitations : le bâtiment était complexe à transformer, dans une rue sombre et surtout, c’était un hôtel de rendez-vous. Le dossier était un peu compliqué (rires), mais une habitante du quartier a réussi à me convaincre de franchir le pas. On l’a rénové en respectant le côté Art déco et l’esprit des années 30, en conservant un maximum d’éléments existants que l’on a détourné, revisité. On l’a également agrandi en achetant le bâtiment voisin. Et en 2016, on a racheté le bâtiment arrière, pour en faire Le Jardin secret, avec ses 33 chambres supplémentaires.

Vous possédez également le Domaine de Ronchinne depuis 2008, l’exception bucolique du parcours ?
Totalement. Je suis un homme des villes, je n’y connais rien en arbres et plantations… (rires). Avec les années, on a trouvé le bon modèle ; on a augmenté le nombre de chambres, ajouté un espace bien-être… On y met en avant le côté classique et campagnard, mais avec une touche d’originalité malgré tout. Le salon et l’espace wellness ont été repensés et décorés pour donner une tout autre identité au lieu, qui attire chaque année pas mal de monde, notamment des touristes français, hollandais, allemands, qui aiment se balader dans cette région. Cette année, cela a été différent. On a perdu la clientèle d’affaires, les séminaires. Par contre, avec le staycation, on a vu affluer plus de touristes belges, même en semaine. Cela a permis d’équilibrer.

Est-ce l’idée qui vous amène à trouver un lieu ou un bâtiment qui vous donne des idées ?
Cela dépend. Ce que je veux surtout, ce sont réaliser des choses différentes chaque fois. Parfois, tout part du bâtiment. Parfois, c’est le contraire. J’aime en tout cas qu’il soit dans un quartier vivant, dans lequel il va pouvoir s’inscrire, où il y aura une connexion avec les habitants. Ce sont les meilleurs ambassadeurs. Il y a deux façons de faire parler de son hôtel : via les réseaux sociaux, qui offrent une belle visibilité internationale. Et via les habitants. Personnellement, quand je pars en city-trip dans une ville, j’essaie d’abord de voir qui j’y connais et ce que cette personne, qui connaît sa ville, peut me recommander. C’est dans cet esprit de connexion que j’organise des événements dans les hôtels que je lance : l’idée est de faire connaître le lieu aux Bruxellois. Il y a eu les soirées « Plastic » au White, des défiles de mode et des ventes vintage au Berger, des pop-up stores au Jam…

Le Jam que vous venez de revendre, pour rebondir sur d’autres projets…
Oui, il va devenir le premier maillon d’une chaîne. On va en voir éclore d’autres en Belgique et à l’étranger, à Lisbonne… J’y termine ma mission pour me consacrer à d’autres projets : on a acheté un bâtiment rue de Stassart, où on veut développer un projet inspiré des hôtels capsules du Japon. En parallèle, on va investir quatre étages de l’ancien bâtiment de la Royale belge sur le boulevard du Souverain. Là encore, on va travailler avec Lionel Jadot, qui décorera l’hôtel, le bar, le restaurant… Au rez-de-chaussée, se trouveront d’autres installations, dont une salle de sport, un food market, une galerie d’art… Il s’agit d’une belle réhabilitation d’un bâtiment d’exception. Si tout se passe bien, ces deux projets verront le jour en 2023.

Vous parliez de la visibilité sur les réseaux sociaux. Servent-ils à attirer la jeune clientèle ?
Pas toujours directement. Les jeunes sont très attentifs à ce qui s’y passe et on leur demande bien plus leur avis qu’avant. Une famille qui part en vacances n’hésite plus aujourd’hui à demander à ses ados d’aller chercher les infos sur la Toile. On se doit donc d’être présent sur Facebook, Instagram, et même TikTok. Et cela fonctionne : on voit parfois débarquer ici des jeunes gens qui se prennent beaucoup en photos dans nos établissements et qui publient ensuite des clichés qui rapportent des milliers de likes.

Au point de penser à l’aspect instagrammable de vos espaces ?
Je n’aime pas trop ce mot ; c’est comme si on concevait les choses dans ce but. Prenez la piscine du Jam. Quand on l’a imaginée, c’était parce qu’on trouvait sympa de la mettre là, il y avait la place, la bonne orientation. C’est devenu un lieu propice aux publications sur les réseaux, mais ce n’était pas le but recherché. La première fois qu’on m’a dit qu’elle était « super instagrammable », j’étais scié (rires). Mais je m’y suis fait. Pour nos établissements futurs, on reçoit désormais des projets où de jeunes architectes placent des « selfie spots », où les gens se prendront en photo. C’est dans l’air du temps. Il y a un hôtel à Paris, où suite à la publication d’une influenceuse à la fenêtre de sa chambre avec vue sur la tour Eiffel, celle-ci a été prise d’assaut et tous ses occupants reproduisent la même photo. Depuis, l’hôtel ne loue plus la chambre à la nuit, mais à l’heure, pour faire des photos ! Personnellement, je préfère trouver mes propres espaces pour prendre une photo, mais je comprends le phénomène et je dois en tenir compte.

Jouez-vous le jeu des influenceurs ?
Au début, on a été un peu impressionnés par le nombre de followers et il nous arrivait d’offrir une nuitée dans une chambre en échange de publications. Mais on s’est vite rendu compte qu’on ne savait pas mesurer l’impact réel. On a donc changé le système : maintenant, ils paient leur nuit et si leur publication, où apparaît un code de réservation prévu à cet effet, ramène effectivement de la clientèle par la suite, on les rembourse.

Vos idées naissent-elles de vos voyages ou sont-elles inspirées par ce que vous voyez dans les magazines et sur les réseaux ?
J’achète beaucoup de livres et de revues de déco… Mais ce sont les voyages qui restent le plus inspirant. Avant, une belle déco suffisait pour sortir du lot, aujourd’hui, il faut raconter une histoire, amener un plus. C’est l’expérience qui va faire la différence. Et en cela, les voyages sont nourrissants. Je pense par exemple à l’atsukan, installé au sous-sol du Jam : il a été inspiré par un séjour que j’ai passé dans un ryokan traditionnel à Kyoto.

Quels hôtels trouvez-vous inspirants ?
Le Standard de New York, sur la High Line : il est dans un quartier qui bouge, chaque chambre a une vue sur la ville… J’adore. Je reste admiratif du travail effectué par Mama Shelter. Et le groupe Soho House reste une référence, qui mêle l’hôtellerie et le club, avec salle de sport, du wellness… Il y a toute une vie sur place. Je suis déjà allé au Shoreditch à Londres et à celui de Berlin.

Qu’est-ce que selon vous la pandémie va changer dans les années à venir ?
Plusieurs choses. La clientèle déjà : la tendance du mini-trip chez soi, qui existait déjà avant la Covid - chez nous, près de 30 % de la clientèle étaient constitués de Belges - va s’accentuer. Elle va sans doute aussi réfléchir à une autre façon de voyager, moins polluante, chercher des lieux avec moins de monde... Et l’hôtellerie, qui s’est longtemps appuyée sur ce tourisme de masse, devra revoir son approche également. Partout, il s’agira de renforcer le côté expérience !

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