Créer des maisons comme des arbres est-il l'architecture du futur ?

Depuis vingt ans, l'architecte italien Stefano Boeri s’engage pour changer le rapport entre la ville et la nature et redéfinir la pratique de l’architecture et de l’urbanisme. Du vert pour tous et des journées entières dans les arbres : voilà son credo ! 

Par Agnès Zamboni. Photos Studio Boeri, Gianluca Di Loia. |

Stefano Boeri a fondé, en 2008, à Milan, Stefano Boeri Architetti, un cabinet, avec une antenne à Shanghaï et à Tirana, qu’il dirige aujourd’hui avec ses deux partenaires, les architectes Francesca Cesa Bianchi et Marco Giorgio. L’agence conduit de nombreuses réalisations, dont certaines sont en cours, en Italie, Albanie, Suisse, Chine, France et aussi des chantiers de villes projets, au Caire, à Huanggang, Liuzhou et Cancun.  

Dans son livre « Green Obsession », manifeste de sa philosophie, publié en novembre 2021, il explique : « Nous avons une obsession : celle de créer des bâtiments pour les arbres, qui peuvent aussi être habités par des humains et même des oiseaux. Nous sommes également obsédés par la conception de Forest Cities; des villes où les plantes et la nature ne sont pas moins présentes que les humains, et où toutes deux créent un habitat dans lequel les surfaces minérales sont réduites au minimum nécessaire à la vie. Nous avons l'obsession de créer de grands corridors planétaires pour la biodiversité, qui seraient capables de relier parcs, oasis naturelles et forêts au sein de grands systèmes territoriaux ». 

Comment réduire notre empreinte carbone en régulant notre alimentation ? La réponse en images : 

Bien dans ma tour ! 

L’obsession de Stefano Boeri n’est pas seulement de revégétaliser la ville mais également de proposer un regard différent sur l’architecture par le biais de la biodiversité pour « introduire un point de vue des autres espèces vivantes, pas seulement celui de l’homme ». Son approche, n’est pas seulement celle d’un bâtisseur, mais aussi celle d’un homme qui veut protéger le monde et la biodiversité. Elle s’appuie sur des essais scientifiques, sur conséquences de la crise environnementale et climatique, en explorant les voies possibles pour se diriger vers des pratiques plus écologiques comme le repeuplement des villages abandonnés, le développement de connexions et de corridors verts pour reconnecter la ville et la campagne.

Emanuele Coccia, philosophe italien et professeur à l'École Des Hautes Études en Sciences Sociales, habite dans l’une deux tours milanaises du Bosco Verticale, signées Stefano Boeri Architetti et inaugurées en 2014 : « Dans cet appartement, toute opposition qui caractérisait la culture architecturale et urbanistique moderne devenait impensable. Les arbres n'étaient plus à l'extérieur de la ville : ils étaient à l'intérieur de la maison ou plutôt, ils semblaient être la maison elle-même. La forêt n'était plus une réalité exotique et lointaine : c'était un fait domestique… La modernité européenne n'a jamais cessé d'imaginer qu'on pouvait retourner vivre dans les forêts, qu'on pouvait construire une maison dans la forêt : le symbole de ce retour romantique à la nature a été la « cabane » (...). 

Pour la tour Easy Home Huanggang Vertical Forest Complex en Chine (visuel ci-dessus), la botaniste et paysagiste Laura Gatti a sélectionné plus de 400 arbres. Tandis qu’en Albanie, dans la ville en devenir de Tirana, les architectes ont conçu des bâtiments qui peuvent s'adapter au fil des ans sans devenir obsolètes. « Le concept de flexibilité est fondamental lors de la conception : les bâtiments doivent nécessairement répondre à des besoins et des usages diversifiés dans le temps et il en va de même pour le paysage environnant… », a déclaré Francesca Cesa Bianchi.

Notre amie la forêt

Pour Giorgio Vacchiano, chercheur et maître de conférences en gestion et planification forestières à l'Université d’Etat de Milan, la forêt nous protège : « Les forêts sont les vêtements de notre planète : des systèmes en constante évolution, méga-divers et hyper-connectés. Ils sont liés à l'atmosphère et à l'hydrosphère, au sol et au feu, aux terres urbaines et agricoles, et à la biosphère – y compris les humains. Ce sont les grands connecteurs de la nature, à travers lesquels nos vies sont entrelacées avec celles des autres humains, sur toute la planète et à travers les générations futures ».  

Et les arbres permettent de conserver la chaleur l’hiver et la fraîcheur l’été dans les appartements, avec à la clef de substantielles économies de chauffage et de climatisation, et une réduction importante des émissions de CO2. La présence de ces arbres contribue également au bien-être physique et mental des habitants, qui sont ravis. Et pour lutter contre les pucerons sans avoir recours aux pesticides, on installe des milliers de pucerons sur la façade. 

Dans le Bosco Verticale (ci-dessus),  les feuillages persistants ont été placés côté sud, les espèces caduques au nord et à l’ouest et les tonalités fraiches et printanières à l’est. A Huanggang en Chine, ont été sélectionnées des espèces endémique le Ginkgo biloba, l’Osmanthus fragrans ou l’Acer griseum, des arbustes comme l’Hibiscus mutabilis, des herbes vivaces, des fleurs et des plantes grimpantes comme Ophiopogon bodinieri, Sedum lineare et Liriope spicata), qui absorbent 22 tonnes/an de CO2 et produisent 11 tonnes/an d'O2. 

Et en Belgique ? À Anvers, le Palazzo Verde recouvert de toitures végétalisées, avec flux de recyclage et matériaux innovants, a accueilli 86 arbres, 1000 arbustes et 1200 plantes. Ce tout premier projet sur le sol belge peut nettoyer plus de 30 tonnes de CO2 par an. À Bruxelles, dans une ville entourée par la superbe Forêt de Soignes, un projet signé Boeri a trouvé naturellement sa place. Il sera planté au Val d’Or, à Woluwe-Saint-Lambert…  

Le droit au vert ! 

La forêt urbaine est aussi une source d’équité sociale. C’est le cas du tout premier logement social Vertical Forest au monde, réalisé à Eindhoven aux Pays-Bas. Il reprend tout le savoir-faire et l'expérience acquis par Stefano Boeri Architetti lors de la construction de la toute première « Forêt Verticale » à Milan en combinaison avec les technologies de construction de dernière génération comme la préfabrication de la partie principale du bâtiment, la rationalisation de certaines solutions techniques pour les façades et l'optimisation des ressources pour réduire les coûts de construction.

La tour verticale résidentielle Trudo, de 19 étages (70 mètres de haut) avec 135 arbres d'essences variées sur chaque de ses 4 façades, 10 000 arbustes et plantes de plus petites dimensions, regroupe 125 appartements. Les loyers sont abordables pour accueillir majoritairement des personnes à faible revenu et en particulier les jeunes couples. Chaque appartement offre une surface de 50 m2, dotée d’une terrasse de plus de 4 m2 et d’un micro-environnement naturel. « La tour Trudo à Eindhoven représente la réalisation d'un grand objectif pour nous tous, à savoir celui de rendre la typologie de construction de la forêt verticale accessible même aux locataires à faibles revenus. Une trentaine de logements ont été réservés aux personnes socialement défavorisées, demandeurs d'asile, réfugiés politiques et personnes handicapées. Ils pourront tous vivre avec un loyer abordable et socialement avantageux (633,20 € par mois) dans l'un des endroits les plus attractifs d'Eindhoven ; c'est pour montrer que vivre au contact des arbres et de la verdure - et profiter de leurs avantages - n'est pas l'apanage des riches mais pourrait bien devenir un choix possible pour des millions de citoyens à travers le monde », déclare l'architecte Stefano Boeri.

Car reverdir les zones défavorisées permet aussi d’économiser de l’argent sur le long terme, de réduire la criminalité et d’améliorer la santé, tout en permettant aux plus jeunes générations de se reconnecter et d’apprendre à respecter le monde naturel. 

stefanoboeriarchitetti.net

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