Fashion Week : 6 looks Courrèges décryptés par son créateur artistique, le Belge Nicolas di Felice

Directeur artistique de Courrèges depuis 2020, Nicolas di Felice mène la maison de mode entre héritage du passé et modernité. Alors que la Fashion Week de Paris s'achève ce mardi, le créateur belge décrypte six silhouettes nées de son imagination ou celle du regretté Pierre Courrèges disparu en 2016.

 

Marie Honnay, photos Photonews |

Pour mieux comprendre comment un designer nommé à la tête d’une marque de prêt-à-porter iconique peut inscrire celle-ci dans le présent sans tourner le dos à l’héritage légué par un créateur aussi prolixe et avant-gardiste que l’était André Courrèges, nous avons proposé à Nicolas di Felice de commenter six looks : trois issus des archives de la Maison qu’il dirige depuis 2020 et trois autres sélectionnés parmi les silhouettes de son défilé printemps/été 2023.

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Le designer de 39 ans s’est livré à cet exercice avec enthousiasme et souci du détail. Preuve de l’attachement de ce Wallon - que rien ne prédestinait à se hisser parmi les grands noms de la mode d’aujourd’hui - pour une maison dans laquelle il se sent visiblement très heureux. « Quand on rejoint une marque aussi emblématique et ancrée dans le patrimoine que l’est Courrèges, le fait d’être Belge est plutôt une bonne chose. Pour un créateur parisien, cet héritage peut faire peur. Là où j’ai grandi, entre Namur et Charleroi, je n’avais pas accès à ces références mode. J’ai découvert l’univers d’André Courrèges pendant mes études à la Cambre. D’emblée, j’ai été fascinée par son design net et radical, sans fioritures. Cette simplicité est très proche d’une esthétique belge dans laquelle je me reconnais. ».
Une Longue robe blanche

« Cette robe blanche est inspirée d’une petite veste typique, type blouson, que dessinait souvent André Courrèges. On reconnaît les poches rondes emblématiques et la matière : un double crêpe qu’il utilisait en version lainée très texturée. Comme sur les pièces des années 60, la carrure est étroite. On note aussi un travail de surpiqûre qui encadre le vêtement. Cette robe figure parmi les 4 silhouettes du défilé qui font directement référence à ce fameux blouson. Cette fois, j’ai opté pour une crêpe plus légère. La poche ronde, nous l’avons réalisée dans un tissu technique. Le bas de la robe présente des traces d’érosion, clin d’œil symbolique à ce dialogue passé/futur que certains détails techniques rendent encore plus formel. J’ai aussi dessiné une sangle en cuir qui se porte sur le côté ou devant, un peu comme une ceinture de sécurité punk qui nous protégerait du “temps qui passe”, le thème de cette collection. Au centre du podium, j’avais placé un grand sablier. Mon propos, c’est que quoi qu’il arrive, dans la vie, à l’instar de mes mannequins, nous devons continuer à marcher. »

Ensemble jupe, top court et veste


« Cette silhouette portée par Anne-Catherine Lacroix, un mannequin belge qui m’inspire beaucoup, est composée d’un crop top, d’une jupe en denim et d’une veste Scuba Biker, ma version contemporaine et oversize de l’iconique veste vinyle qu’André Courrèges avait imaginée au début des années 80. Ma version modernisée dans un esprit motard est proposée en version cuir ou vinyle, longue ou courte (une pièce que Dua Lipa et Bella Hadid se sont appropriés dès la sortie du défilé, ndlr). Comme on peut le voir sur les souliers et le bracelet de cheville en nacre, clins d’œil à l’univers du surf, cette collection s’inspirait des sports nautiques et des vêtements de plage. Chez Courrèges, j’ai la chance de faire défiler beaucoup de pièces et de les proposer quasiment toutes en boutiques par la suite. Pour ce défilé, j’ai fait cohabiter des jupes midi très fendues comme celle-ci et des modèles ultra mini en denim. »

Robe de naïade noire


« Pour cette silhouette inspirée de la robe zip créée par André Courrèges dans les années 70, j’ai remplacé la fermeture éclair par un jeu de boutonnages. Les 220 micro-boutons qui subliment cette pièce en crêpe-viscose de soie noire lui confèrent une dimension romantique qui m’est propre. Quand je dessine, je n’ai pas une femme précise en tête. Je suis entouré de beaucoup de femmes – jeunes et moins jeunes – qui m’inspirent au quotidien. J’aime savoir que chaque personne qui entre dans nos boutiques - de ma mère à mes copines – vont trouver des pièces qui les rendent belles. Mon souhait est de faire de Courrèges une marque qui soit la plus universelle possible. Avec cette robe, on est clairement dans un registre ultra féminin, mais j’ai aussi développé une ligne hommes qui rencontre beaucoup de succès chez les femmes. »

Archive : robe en crêpe traversée par un zip blanc


« Cette robe de 1974 qui repose sur un patronage rectangulaire s’enroule autour du corps de la femme. L’idée, c’est de pouvoir laisser ou non apparaître certaines parties du corps en la dézippant. Lorsque je développe une collection, je consulte peu d’images d’archives. Je me laisse plutôt guider par des détails techniques et par l’esprit novateur d’André Courrèges. J’ai la chance de travailler dans le siège historique de Courrèges, au numéro 40 de la rue François-Premier à Paris. Mon bureau est installé dans l’ancienne garçonnière d’André Courrèges. En collaboration avec l’architecte belge Bernard Dubois, nous avons restauré la boutique historique en faisait cohabiter les codes de la marque (comme le blanc, l’abondance de miroirs et un esprit très cocon, typique des années 60) et des accents plus contemporains. »

Archive : ligne Sport Futur d’André Courrèges


« On cantonne souvent André Courrèges à un style futuriste ou à des filles en perruques qui dansent sur des rythmes frénétiques. C’est très réducteur. Si, au début de sa carrière, son travail était fortement ancré dans celui de son mentor Cristobal Balenciaga, il s’est assez vite détourné de ces lignes pour créer sa propre signature. On pense parfois, à tort, qu’André Courrèges dessinait des vêtements … pour aller dans l’espace. C’est tout, sauf le cas. Ce qu’il voulait, c’était habiller les gens au quotidien. Chez Courrèges, le lien avec l’univers du sport (foot, surf, automobile…) est très présent.  Aujourd’hui, quelques années seulement après la relance de la marque, quand je vois la boutique remplie de gens, je me sens heureux. Comme André Courrèges, ce qui m’anime, c’est d’habiller la rue. »

Archive: petite veste de tailleur et pantalon


« Certaines images d’archive montrent André Courrèges en train de débattre avec Pierre Cardin sur un plateau de télé : un échange plutôt animé. Les deux créateurs n’étaient pas raccords sur le port du pantalon par les femmes. Cette silhouette, la 42ème du défilé de 1965, présente une tenue composée d’une veste de tailleur et d’un pantalon : un ensemble élégant, mais visiblement très confortable. Même si le terme n’est pas très sexy, cette notion de confort est centrale dans mon travail. Pour moi, la coupe est déterminante. Si j’aime travailler au concept des défilés en créant un décor et une musique qui me permettent de raconter une histoire et de véhiculer un message, je fais encore partie de ces designers qui coupent et épinglent les vêtements. Je conserve un lien direct avec la matière. Dans notre univers connecté où l’on passe notre vie à swiper, on a tendance à ne même plus prendre le temps de regarder ce qui est beau. Les codes esthétiques propres à Courrèges sont pour moi une sorte de guide qui, plutôt que de m’enfermer dans un carcan, me permettent d’embrasser le futur de la maison. »

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