Rencontre avec Jean-Paul Lespagnard, le plus liégeois des designers du monde

Résident bruxellois aux racines ardennaises mais au cœur liégeois, l’artiste envisage la planète comme un immense terrain d’exploration et de création. Styliste, il est aussi designer de mobilier, d’objets déco... Parmi ses récents ouvrages : l’aménagement d’un vaste espace de coworking en Cité ardente.

Par Sigrid Descamps. Crédit photo : Jules Cesure sauf mentions contraires |

Liège, à cinq minutes à pied de la gare des Guillemins. Dans l’éco-quartier Paradis Express, se dresse le nouvel espace de coworking Silversquare. Un peu de 3200 m2, répartis sur trois étages, avec 74 bureaux et 248 postes de travail, des zones de détente et de réunion. C’est là, peu avant l’inauguration officielle, le 6 avril, que l’on rejoint Jean-Paul Lespagnard, qui nous offre une visite guidée des lieux, qu’il a entièrement aménagés, du sol au plafond, du mobilier à la déco en passant par la vaisselle.

« Je n’avais jamais travaillé sur un projet de cette taille, nous avoue-t-il. Cela représente plus de trois ans de travail. J’ai approché l’aménagement en m’inspirant de la localisation du lieu, entre la gare des Guillemins et la Boverie. J’ai imaginé des liens entre l’international et le local. On trouve donc ici tout un ancrage liégeois, mais aussi des tas de références à mes voyages au Maroc, au Mexique, en Inde, en Grèce… Mon moodboard était composé à 99% de photos de mes voyages. La seule image qui montrait un lieu où je ne suis jamais allé, était celle d’un des appartements de Kanye West (rires). Comme j’aime marier les contraires, j’ai aussi joué sur le concept de l’extérieur à l’intérieur. J’ai imaginé les bureaux comme des petits bungalows, que les occupants peuvent personnaliser en choisissant, parmi des objets que j’ai créés ou ramenés de voyages : plans de travail, lampes, des tapis, de la déco... Les petits espaces de travail individuels en béton sont, eux, inspirés par les abribus des années 80. » On va trouver également une fausse plaine de jeux, vrai espace de travail, avec un toboggan et une colonne de pompier ! L’ensemble est à la fois sobre et décalé. « J’ai joué sur une base neutre grise, confirme le designer. La chaleur arrive par le biais de touches colorées qui peuvent être déplacées : des coussins, la vaisselle, les caisses de rangement orange… et tout cela vivra et évoluera en fonction des mouvements et envies des gens. »

Comment trouver le style de votre maison ? La réponse en images : 

On vous connaissait styliste, créateur de costumes de scènes, concepteur d’objets de déco, on vous retrouve décorateur… Comment vous présentez-vous avec toutes ces casquettes ?

« C’est mon chemin de vie qui m’a mené là où je suis aujourd’hui, au croisement de tous ces univers, qui se nourrissent entre eux, tout le temps. Quand je rencontre des gens pour la première fois, j’explique que je suis Belge, mais que je travaille dans le monde entier, et que bien que Liégeois d’origine ardennaise, je suis basé à Bruxelles, où j’ai un studio de création, où j’imagine des vêtements, de la déco d’intérieur et développe des objets. Je pense que je serais triste si je devais me cantonner dans un seul secteur. »

La mode occupe toutefois toujours une place centrale ?

« Oui, c’est la base de tout. C’est d’ailleurs en voyant régulièrement mes pièces, sélectionnées par des acheteurs, accrochées au milieu d’autres dans des espaces multimarques, que je me suis dit que ça ne représentait pas ma création et que j’ai décidé de développer un univers complet tout autour de mes vêtements avec du mobilier, des objets, des accessoires… C’est dans cet esprit que j’avais d’ailleurs ouvert la boutique Extra-Ordinaire à Bruxelles (qu’il a fermée en janvier dernier, ndlr). Le noyau de mon univers reste la mode. Je produis encore des vêtements… Dès l’enfance, j’ai su que je voulais travailler dans la mode. J’ai d’abord étudié les arts plastiques, à Saint-Luc, à Liège, avant d’apprendre la mode en cours du soir au centre de formation Château Massart. J’ai réellement appris le métier sur le terrain, en travaillant, entre autres, aux côtés des stylistes Anna Sui et Anemie Verbeke, et de la chorégraphe Meg Stuart. Travaillé avec ces femmes a été crucial. Ce sont mes bonnes fées, mes marraines… Puis, ma collection Ich Will ‘nen Cowboy Als Mann a remporté deux prix au festival de mode de Hyères, en 2008. Et ça a tout changé. Avant cela, je n’étais personne, je ne sortais pas d’une école prestigieuse… Or, c’est un monde qui fonctionne à la validation. Ensuite, je me suis mis à produire mes collections… et à voyager, à beaucoup voyager, à travailler partout, pour des compagnies de danse contemporaine notamment. »

Les voyages sont votre moteur ?

« Oui, et les rencontres. C’est en voyageant que j’ai découvert des savoir-faire qui n’existent pas ou plus chez nous. J’ai réalisé que je pouvais faire produire mes créations partout dans le monde. L’objectif n’est pas économique. Il ne s’agit pas de faire des marges plus grandes, car je bosse toujours en mode local, uniquement avec des petites structures artisanales à taille humaine. »

Vous vous apprêtez d’ailleurs à reprendre la route ?

« Oui, avec un projet nomade : je vais aller présenter et vendre mes créations un peu partout dans le monde. L’idée est d’organiser un roadshow, avec plusieurs escales et à chacune, une vente éphémères de quelques heures, dans un lieu précis. L’événement sera annoncé à l’avance. Je proposerai de tout, à tous les prix. Car contrairement aux idées reçues, le design et la mode ne sont pas forcément chers. Prenez mon presse-papiers en forme de gaufre dorée, un de mes best-sellers : il coûte 60 euros. Le stock sera réapprovisionné au fur et à mesure. Le parcours n’est pas encore défini ; le point de départ sera le jour de l’ouverture officielle de SQ Guillemins (le 6 avril dernier donc, ndlr). Après quoi, je ferai peut-être étape à Paris, durant la Fashion Week. Le reste, on verra… (sourires). »

En fait, vous ne savez pas rester en place ?

« (Il rit) Le mouvement est essentiel chez moi. Ce n’est pas pour rien que je travaille aussi souvent dans le monde de la danse contemporaine. Un milieu où, entre parenthèses, j’adore travailler car je suis obligée à chaque fois de repartir de zéro, en collaboration à un projet qui n’est pas le mien, c’est passionnant. Travailler dans cet univers rejoint totalement mon approche de la mode où, dès le début, j’ai pris en compte le confort, la façon dont la personne qui va les porter va bouger… Le mouvement, la liberté de mouvement m’intéressent donc oui, tout comme la surprise, les propositions… Je précise toutefois que j’analyse toujours bien tout avant de me lancer. J’essaie toujours de voir comment optimiser tout ce que je fais. Si on me propose de travailler sur un spectacle de danse dans une ville par exemple, je profite de mon temps libre pour aller à la rencontre d’artisans sur place. »

En tant que Liégeois, le désormais célèbre « P… je viens de Liège quand même », lancé spontanément par Bouli lors des César, ça vous touche ?

« Et comment. En réalité, je viens de Harzé, près d’Aywaille, je suis venu étudier à Liège. Je suis donc harzéen, liégeois, wallon, bruxellois, belge, européen, citoyen du monde (rires). Je me sens tout ça à la fois. Mais il m’arrive souvent, quand je suis à l’étranger de me dire que je suis là alors qu’au fond, je ne suis qu’une petite personne qui débarque de sa campagne ardennaise et qui se retrouve soudain à l’autre bout du monde à créer des objets. Je comprends donc parfaitement ce que Bouli a voulu exprimer ce soir-là. » 

Votre autre actualité, c’est la vente de vos archives ?

« Oui. Je possède un grand studio de création à Bruxelles, où sont stockées toutes mes archives. Avec des pièces que j’ai créées pour mon showroom lors d’une fashion week à Paris, mais aussi des dessins que j’ai faits à l’école… Je veux faire place nette, remettre tout à zéro en somme. Je vais donc offrir une partie de mes archives à divers musées, et le reste, je vais le mettre en vente les 12, 13, 14 mai, rue de Stassart. Il faudra s’inscrire online pour prendre rendez-vous. ». 

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Site internet : jeanpaullespagnard.com

Instagram.com : jeanpaullespagnard

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