Leçon de design en 5 points

Laurence Humier est une ingénieure belge, créatrice et éditrice des Meeting Chairs, elle figure parmi les designers référencés dans le Vitra Atlas of Furniture Design, une bible compilant 7 000 sièges dessinées par 500 créateurs de premier plan. Elle nous livre un cours de design express.

Marie Honnay - Photos DR |

1. Le design n’est pas qu’italien, quoique…

Laurence Humier. « Après mes études d’ingénieure architecte, j’ai eu la chance de décrocher un stage chez le grand architecte japonais Tadao Ando, un homme brillant, doté d’une forte personnalité. Le côtoyer m’a permis de comprendre qu’un design innovant est synonyme de rupture avec la norme. Après d’autres voyages au Yémen et au Maroc, j’ai choisi de m’installer en Italie. Pas parce que c’est le pays du design, mais parce que j’y avais un amoureux. Une fois là-bas, j’ai découvert la force des micro entreprises, une spécificité italienne qui, à l’époque, n’existait pas chez nous. Ce sont les artisans du nord de l’Italie, porteurs d’un savoir-faire unique, qui m’ont convaincue de rester. Je ne pense pas qu’en termes de design, on puisse parler d’un pays qui soit, plus que d’autres, prescripteur de tendances. Lorsqu’on se retrouve dans une démarche créative, chaque lieu est source d’inspiration. L’Italie reste néanmoins, à beaucoup d’égards, un pays de fabricants et d’artisans comme on en trouve nulle part ailleurs. »

2. Une bonne chaise, c’est une chaise qui innove

Les Meeting Chairs (MC), c'est un concept basé sur la coordination de trois mouvements mécaniques. Prévue pour s’intégrer dans une salle d’attente ou de réunion, cette série de sièges s’ouvre et se ferme d’un coup, à l’aide d’un piston. S’attaquer à la création d’une chaise, la pièce de mobilier la plus emblématique de l’histoire du design, peut sembler ambitieux, mais pour moi, ce travail a surtout été le fruit d’une rencontre avec des fabricants passionnés. Le prototype a été réalisé par un atelier qui a fabriqué, entre autres, le mobilier de Jean Nouvel pour la Fondation Cartier. La réalisation a été confiée à une société partenaire de grandes marques comme Molteni, Vitra ou Cassina. C’est elle qui fabrique la chaise .03 du Belge Marteen van Severen. »

3. Un bon designer doit rester les pieds sur terre

 

« Lorsque j’ai exposé les MC au salon de Milan en 2007, je m’attendais à un retour rapide des éditeurs. J’ai toutefois dû patienter jusqu’en 2010 pour que le MoMA de New York s’intéresse à mon projet et l’intègre à sa collection. Quatre ans plus tard, le Vitra Museum a fait de même. La parution des MC dans l’Atlas of Furniture Design devait suivre. L’encyclopédie n’est finalement parue que fin 2019. Le critère de sélection ? Le caractère innovant du projet. L’Atlas comprend 7.000 sièges. Pour y entrer, il faut donc innover sur le plan de l’esthétique, de la fabrication ou de la fonctionnalité. La décision de m’autoproduire et de proposer les MC sur mon e-shop (le design a été conçu pour pouvoir être facilement expédié) est né d’une obligation : celle d’avancer sans attendre qu’un éditeur s’intéresse à moi. D’autant que je ne vise que les plus grands. »

4. Le design du futur est hybride

« A ce stade de ma carrière et de ma vie, j’ai encore envie d’apprendre. A titre privé, je prends des cours de tango et de voile. Dans mon métier, je compte progresser et expérimenter de nouvelles disciplines. J’envisage le métier de designer comme une itinérance. Si l’Italie m’a séduite par la présence, dans de nombreuses régions, d’artisans talentueux, la richesse de sa gastronomie m’a également beaucoup inspirée. Mes recherches actuelles portent sur la gastronomie moléculaire adaptée au design. Pour cela, j’ai rencontré des fabricants de fromage, d’huile ou encore de vin. Cette cuisine des matériaux peut par exemple donner naissance à une chantilly de cire d’abeille dont le principal atout est de pouvoir doubler de volume sans ajouter de la matière. Ce travail qu’on peut comparer à celui d’un alchimiste repose sur un procédé créatif très différent de la conception de mobilier. Il est aussi beaucoup moins lourd sur le plan de l’investissement. »  

5. L’empreinte belge n’est pas qu’un concept marketing

« Mes pérégrinations à travers le monde font-elles de moi une designer nomade ? Probablement, mais je conserve un ancrage fort en Belgique. J’expose lors de rendez-vous importants comme le festival Reciprocity à Liège, ma ville d’origine, et je suis épaulée par la plateforme de soutien à la création Wallonie Bruxelles Design Mode. L’engouement pour le design belge qu’on peut percevoir partout, y compris à Milan, est forcément un atout. Pour l’instant, je vis à Naples, une ville dont le riche passé m’inspire énormément, mais le design reste, à mon sens, l’expression d’une culture et d’une identité. Depuis dix ans, la Belgique l’a compris et soutient ses designers. Lorsqu’on est confrontée au contexte économique très difficile de l’Italie, on ne peut que se réjouir d’être belge. »   

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