L’unisexe est-il le futur de la joaillerie ?

Les collections masculines en bijouterie se généralisent. Même la haute joaillerie s’y met ; et leurs créations ne se limitent pas à un public d’excentriques milliardaires basés au Moyen-Orient… Décryptage avec la créatrice Valérie Messika

Par Audrey Morard. Photos D.R. |

Depuis quelques années, le bijou pour homme gagne du terrain, sans jamais vraiment exploser. Mais les marques jouent le jeu : or noir, cuir et carbone donnent le ton. On se souvient de Dinh Van, qui éditait en 2010 une collection en carbone brossé sur cordon de son motif Pi en collaboration avec le sulfureux designer Lapo Elkann, faisant entrer résolument le bijou haut de gamme dans la cour des garçons…

Dix années plus tard, on assiste dans le monde de la mode et de la bijouterie à un véritable changement de paradigme : l’inclusivité et le non genré ouvrent de nouvelles possibilités, et font bouger les lignes… Dans ce contexte de liberté et d’ouverture, l’homme reconsidère le diamant, l’or et les pierres précieuses. Et cela a du sens, nous explique Valérie Messika qui s’est également lancée dans l’aventure : “Offrir un bijou est quelque chose qui reste pour l’éternité. On apporte un souvenir de soi dans la vie quotidienne de la personne qu’on aime. C’est un cadeau très fort. Il reste sur la peau. 

L’unisexe, le futur de la joaillerie ?

Voir un homme porter un bijou est une image encore trop rare. Même si les mentalités évoluent, le bijou reste associé au féminin. Cette idée persiste, à commencer dans les campagnes publicitaires où les modèles sont principalement des femmes. Rares sont les clichés avec des hommes, hormis pour les montres. Une habitude qui doit changer selon Valérie Messika : “Les maisons et les marques de joaillerie ont compris l’intérêt qu’il y a à communiquer avec des bijoux portés par les hommes. Plus le public masculin aura accès à ces images, plus il pourra se sentir concerné. Ces visuels, bien assortis, portés par des hommes à la personnalité forte ne sont pas anodins : ils ont le pouvoir de provoquer une réelle désirabilité chez les hommes. Sans cela, ils ne peuvent pas s’identifier, se projeter avec un bijou, et donc ne feront pas la démarche d’en acheter un”.

A l’instar de Messika, les maisons de haute joaillerie déclinent des gammes destinées aux hommes : Bulgari, mais aussi Cartier, qui éditait en 2019 une collection mixte rock et colorée baptisée Clash. L’emblématique marque américaine Tiffany & Co propose également une gamme de colliers et des bagues aux lignes épurées, et graphiques, notamment en or rose. Une couleur qui vient aussi bousculer les codes encore très fermés de la joaillerie. Plus récemment, la marque a célébré le mariage gay et édite même sa première ligne de bagues de fiançailles pour hommes ornées de diamants de taille rectangle. On le sent, le monde des bijoux aurait tort de ne pas proposer des bijoux pour homme et même unisexe. “Je pense vraiment que le non genré en joaillerie a de beaux jours devant lui. Le marché chinois, et asiatique dans son ensemble, a cette avance par rapport au marché européen. En Asie, les hommes arborent déjà des bijoux pour femmes, et inversement. C’est une tendance de fond et d’avenir”.

Chez Messika, le bijou unisexe existe donc désormais avec le bracelet MyMove. Cette année, la créatrice l’a imaginé avec du cuir, une première dans l’histoire de la maison. Valérie Messika ne cache son plaisir d’avoir travaillé sur un bijou à la fois pour les hommes et pour les femmes : “C’est justement parce que cette pièce est mixte que j’ai adoré travailler dessus. Elle s’adapte aux goûts de chacun. Un homme à la recherche d’un bijou brut et viril, c’est pour cela que j’ai créé un bracelet dans une version en cuir noir, pavé, ou non. Le but est toujours le même : créer le désir, mais on a changé les codes …”.

Allier le diamant au masculin

Valérie Messika s’est lancée dans la joaillerie pour homme il y a cinq ans. “Je suis entourée d’hommes dans mon quotidien. Tous me disaient : il faut absolument que tu crées des bijoux pour hommes ! Or la marque n’existe et ne fait sens que s’il y a des diamants. Imaginer des bijoux pour hommes avec des diamants a été mon principal défi. Cela aurait pourtant dû être plus simple : à l’origine le diamant était porté par les hommes et non par les femmes”. Et l’histoire lui donne raison, nombre de parures précieuses historiques, de couronnes piquées de diamants ou de pierres précieuses étaient des bijoux portés par les rois, les pachas et les empereurs. Le temps a fait glisser le bijou vers une symbolique plus exclusivement féminine et le faire coller aux codes de l’univers masculin s’est avéré être au final un challenge pour la créatrice “Je suis tout le temps dans l’exercice du féminin. C’est compliqué de rendre un bijou masculin.” 

Durant son processus de création, elle a ainsi dû porter une attention particulière à la proportion du poignet pour le bracelet et du doigt pour la bague. Ces deux parties du corps sont plus fortes et plus épaisses que celles d’une femme. Des caractéristiques qui ont un impact sur la volumétrie du bijou et son harmonie.

Il faut adapter les proportions mais aussi le choix des matières quand on imagine un bijou pour homme. On pense au noir ou au gris, mais s’interdire la couleur serait un travail trop littéral. Selon Valérie Messika, jouer sur les contrastes est un critère important. Pour accompagner l’éclat et la délicatesse du diamant, la créatrice s’est arrêtée sur le titane. “Le titane est très masculin. C’est une matière brute. Il amène de la masculinité pour les hommes qui ne sont pas forcément prêts à porter un bijou scintillant et brillant. On peut avoir le titane dans une version brillante ou plus mat. Je l’ai choisi brossé pour encore plus de contraste avec l’éclat de la pierre. L’idée était d’associer différentes couleurs de titane.” Ainsi, Messika a marié le titane anthracite au diamant blanc. Le titane noir, quant à lui, s’accompagne d’un diamant noir pour une touche plus rock, plus sombre et plus forte. Plus résolument masculine. Mais elle aussi décliné son bijou mixte dans un cuir vert anglais, orange ou bleu vif, pour davantage d’originalité et pour séduire les plus audacieux.

Le confort des bijoux a également été un élément prépondérant, “C’est important pour moi, mais c’est surtout un élément essentiel pour un homme, qui ne portera pas un bijou qui le gêne, aussi beau soit-il”. La créatrice ne s’en cache pas, certains hommes restent réticents à l’idée d’essayer un bijou. Mais elle se félicite d’avoir pu en convertir certains : “En posant le bijou sur eux, les hommes peuvent le visualiser. Ils se l’approprient et se projettent dans cette nouvelle ère. Certains le mettent à côté d’une montre, d’autres l’associent avec des cordons en cuir ou des morceaux de tissus”

Un homme peut, lui aussi, être sensible à la beauté d’un bijou. Pour Valérie, il est avant tout important que l’homme ne se sente pas déguisé. “Un homme veut un bijou qui lui ressemble. Il doit se sentir affirmé d’un style qui lui correspond. Amener chacun à s’approprier son bijou, c’est la clé de ma démarche”

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