Petit lexique des lieux à boire

Bars et cafés rythment notre vie. Ils possèdent une longue histoire et une multitude de dénominations. Voici donc un petit guide pour ne plus confondre bistrot, café, brasserie, troquet ou estaminet…

Texte et photos : Pascal Laroche. |

La mise en scène est parfaite : une table en bois, un percolateur, une tireuse à bière et la patronne, faiseuse d’ambiance. Après avoir accroché son statut social au porte-manteau perroquet, la foule s’y engouffre et s’y mélange. Georges Courteline était de ceux qui y allaient souvent, cherchant l’inspiration dans un verre d’absinthe, cette boisson maudite qu’on appelait la « Morphine des poètes ». Les ouvriers, eux, y assommaient leurs soucis à coup de vin de mauvaise facture. Émile Zola raconte leur histoire dans l’Assommoir. Les cafés ont toujours été des lieux d’invention d’une forme de sociabilité, des établissements populaires où des alliances se nouent depuis la nuit des temps. Le Chat Noir et La Closerie des Lilas à Paris, la Taverne du Passage et le Sésino à Bruxelles, le bistrot évoque des sons, des odeurs, des images. Ils façonnent l’histoire des villes et des villages. Très appréciées des voyageurs, les fermes auberges du Moyen-âge proposaient leurs bières brassées sur place, accompagnées de fricadelles, d’omelettes ou de tartines de fromage blanc. Succulent ! 
Des pros du zinc parisiens militent pour inscrire leurs cafés et terrasses au Patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Portons un toast à cette idée : allons boire un pot dans un caboulot, une buvette, un bar, un cabaret, un estaminet, un caberdouche, une bodega, un bar à schnick ou un café. Santé !

 

Les tavernes et les auberges

Petites, rustiques et enfumées, avec leurs marmites à découvert, leurs serviettes rappeuses et leurs couverts en étain, les vraies tavernes ont des relents du Moyen-Âge. La Taberna était l’endroit où les propriétaires de vignobles commercialisaient les produits de leur domaine. On s’y entassait, assis, ou debout, sous un plafond bas, en attendant qu’une table se libère. La taverne devenait auberge si les voyageurs avaient la possibilité de s’y arrêter pour la nuit, dans une chambre petite, et dans son jus. 

L’estaminet

L’estaminet est né à peu près en même temps que la révolution industrielle, l’âge d’or de la vie intellectuelle et artistique noire jaune rouge. Le cabaretier d’antan convoite cette nouvelle classe sociale qui a de l’argent : les bourgeois. Alors, il astique son établissement, le décore et y serre toutes sortes de boissons locales et provinciales : bière blanche de Louvain, bière brune de Malines, faro, lambic et un mix des deux baptisé le Half en half. Nouveauté : la bière coule d’une pompe fraichement installée sur le comptoir. Sociétés colombophiles, chorales, caisses d’épargne, etc., on s’y rassemble dans des arrières salles à toutes sortes de réunions. Vers la fin du siècle, on compte à Bruxelles un estaminet pour treize ménages. La Bécasse, dans le centre de Bruxelles, ou encore l’Imaige Nostre-Dame sont les témoins vivants de ce passé, pas si désuet.

L’assommoir 

Voici l’estaminet du pauvre, un cabaret de bas étage où les ouvriers « s’assomment » en consommant de l’alcool parfois frelaté. Bu avec très peu de modération, le genièvre y fait des ravages, car il faut oublier les dures conditions de labeurs. Emile Zola en plante le décor dans un livre et ce n’est pas très glorieux : « Des alambics aux longs cols, des serpentins descendant sous terre, une cuisine du diable devant laquelle venaient rêver les ouvriers soulards ». Ambiance…

La brasserie 

C’est l’établissement populaire par excellence. Confortables, grandes, claires et lumineuses, les brasseries se multiplient dès le milieu du XIXe siècle, le long de la Senne à Bruxelles, et aux abords des étangs. On y déguste volontiers une Pils, cette nouvelle bière de fermentation basse, mise au point en Bohême, à… Pilsen. D’ailleurs, très vite, la brasserie va devenir le lieu où l’on brasse de la bière. La famille Wielemans fait fortune. C’est l’époque du Café des Mille Colonnes et la Brasserie du Roy, à Charleroi, du Métropole et de la Taverne l’Espérance à Bruxelles, et du Café Métropolitain à Anvers . 

Les cafés 

Les cafés bourgeois ont vu le jour en même temps que la construction des grands boulevards, envoyant les estaminets populaires au fond des impasses. Élégants, avec leur mobilier d’époque, leurs appliques en bronze, leurs grands miroirs et leurs dorures, ils s’installent dans les quartiers mondains et dans les Galeries Saint-Hubert, le place-to-be de la deuxième partie du XIXe. Autour de la Bourse, le Falstaff, qui porte le nom d’un truculent personnage d’une pièce de Shakespeare, où le Cirio, où Annie Girardot, Jacques Brel et Bruno Crémer ont tourné une scène de la Bande à Bonnot, étaient les QG de ces intellectuels qui sirotaient volontiers des thés, des liqueurs, des produits glacés, et des petits cafés, dont le viennois, devenu liégeois au crépuscule de la Grande Guerre, lorsque l’Autriche, rangée du côté des envahisseurs, se prend une déculottée aux portes des forts entourant la Cité ardente. Une défaite un peu corsée…

Les bistrots 

Où sont passés les ouvriers ?  Ils sont dans les bistrots, où les discussions s’animent autour des intérêts collectifs. C’est l’antre du syndicalisme, le tanière des agitateurs qui y organisent leurs premiers meetings en vidant leur épargne (ces petits casiers en bois derrière le comptoir qui autrefois servaient à mettre de l’argent de côté pour se chauffer en période hivernale). Les bistrots sont des parlements du peuple disait Balzac, qui les écumait pour y tremper sa plume. L’origine du mot bistrot remontrait à la déroute de la grande armée napoléonienne face aux troupes du Tsar Alexandre 1er et ses régiments cosaques. En garnison à Paris, les vainqueurs ont soif. Mais ils sont interdits de sortie. Pour éviter de se faire prendre, ils pressent les cabaretiers de faire vite. Ce qui, dans leur langue, revient à dire : « Bistro, bistro ! ». (Les linguistes n’accordent aucun crédit à cette explication.) 

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