Pourquoi de plus en plus de chefs ferment leur resto pour les diners privés

Depuis peu, certains chefs n’hésitent pas à fermer leur restaurant pour se lancer dans de nouvelles activités, à commencer par les dîners privés. Comment expliquer ce choix et que dit-il du secteur aujourd’hui ? Trois chefs nous aident à décrypter cette tendance.

 

Audrey Morard, Photos D.R |

Une tendance qui peut étonner

Le 30 mai dernier, la cheffe Isabelle Arpin annonçait la fermeture de son restaurant situé sur l'avenue Louise à Bruxelles. Une décision réfléchie et difficile à prendre comme elle nous l’explique : “J’étais très attachée aux équipes et aux clients, mais je me sentais un peu enfermée dans le modèle classique du restaurant. J’avais besoin de me donner un second souffle, mais surtout, de m’adapter aux évolutions de la société. Il y a un vrai changement dans les habitudes et les comportements des clients. Je pense par exemple à la clientèle business, qui est moins présente sur le temps de midi. Ces constats m’ont motivée à me lancer dans de nouveaux projets.” Isabelle Arpin se consacre désormais à son son restaurant itinérant, à son activité de traiteur, La Bonne Étoile, installée sur la place Eugène Keym à Watermael-Boitsfort, mais aussi, à des dîners privés. Un univers que la cheffe a déjà exploré: “J’ai un peu travaillé dans des dîners privés pendant plus d’un an à Ostende, j’appréciais cette formule. C’est d’une certaine manière un retour aux sources. Je ne dirais pas que je n’aurais plus jamais de restaurant, mais pour le moment, c’est peu probable”.

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Isabelle Arpin a toujours reçu des demandes pour des dîners privés. Elle se rendait chez les clients les jours où son restaurant était fermé ou quand elle ne travaillait pas : “Je sais comment la logistique fonctionne, la qualité doit être là, similaire à celle d’un restaurant”. et ce choix se confirme, depuis l’annonce de la fermeture de son restaurant, la cheffe a vu les demandes de dîners privés augmenter. Elle en reçoit entre trois et quatre par semaine. “Cela va des buffets de dîners d’entreprises pour vingt personnes, aux dîners privés pour dix personnes. Les demandes sont différentes que ce soit en termes de cuisine ou de lieu”.

À l’instar d’Isabelle Arpin, d’autres chefs ont également décidé de se tourner vers les dîners privés. C’est le cas de Filippo La Vecchia, le chef charismatique de l’Osteria Romana à Bruxelles, qui a lancé, en avril dernier, Karma Club. Le temps d'une soirée, il invite un petit groupe de personnes dans un écrin inconnu pour vivre une expérience secrète et ultra-exclusive. Ce restaurant éphémère n'ouvre que deux soirs par mois et propose une grande tablée pour huit personnes. Le client ne sait pas ce qu’il va manger, ni même où le dîner va se tenir. Filippo La Vecchia a carte blanche. “Une soirée Karma est une expérience totalement différente. On quitte sa zone de confort des cuisines ultramodernes. Il faut imaginer un menu sans équipement haut de gamme comme un restaurant. On se met véritablement à poil”. Le chef compare le dîner privé à une pièce de théâtre. “On est sans filtres. Les clients ne doivent pas se rendre compte de la moindre erreur”.

Un contexte devenu difficile

Même son de cloche chez Filippo La Vecchia, qui a imaginé Karma Club en marge de son Osteria Romana. Les raisons de ce projet sont aussi économiques. “Les restaurants ne sont plus rentables. On arrive aux limites des limites. Un chef a aujourd’hui besoin d’un autre business pour vivre. Les restaurants ont des marges bénéficiaires notoirement minces, en raison de l’augmentation rapide des loyers, des coûts énergétiques et d’autres frais généraux. Des décisions politiques jouent aussi en notre défaveur. Il y a aussi eu la crise sanitaire et la guerre en Ukraine. S’ajoute à cela la nourriture dont le prix est instable et parfois très coûteux. Pour gagner de l’argent, il faut se lancer dans une nouvelle activité”. Filippo La Vecchia pointe aussi du doigt le manque de personnel depuis le Covid. “Il est de plus en plus difficile de trouver des travailleurs impliqués. Former coûte de l’argent et demande du temps. C’est triste à dire, mais les dîners privés permettent de réaliser de la marge car il n’y a pas de personnel à payer”.

Karma Club est l’occasion pour le chef de reprendre le contrôle sur de nombreux paramètres : “On obtient le résultat que l’on souhaite de A à Z, dans l’assiette comme dans l’organisation, mais le secteur doit être complètement repensé. Servir les clients sera toujours notre travail, mais se limiter au modèle du restaurant ordinaire ne sera plus possible, ni suffisant”.

Une vie apaisée

La cheffe Sofie Dumont a délaissé le monde de la restauration classique il y a dix ans, suite à sa maternité, qui la pousse à “commencer autre chose”. Elle devient chroniqueuse dans les médias, avant de se diriger dans le digital. Sur son compte Instagram, qui comptabilise aujourd’hui 135 000 abonnés, elle distille ses bons plans, des idées de recettes... La cheffe explique ne pas être surprise par le choix de certains restaurateurs de se lancer dans les dîners privés et d’autres activités. “Quand nous évoluons dans un restaurant, nous avons toujours des mets fixes à la carte.

Quand on est dans le personnel, on change d’approche, on est plus près du client. J’organise des dîners privés, mais cela reste assez exclusif. J’écoute à chaque fois les envies de la personne pour porter les plats à un haut niveau de cuisine. Le dîner privé demande autant d’implication et de labeur, le rythme reste soutenu… Sauf qu’on ne termine pas 2 h du matin” (rires).

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