Rencontre avec la céramiste Kim Verbeke : « Travailler la terre, c’est se reconnecter à soi ! »

Ses créations, inspirées par la Nature et ses changements de tons, séduisent les plus grands restaurateurs comme les particuliers. Les mains dans l’argile, la tête remplie de rêves, les pieds bien ancrés, Kim Verbeke évoque pour nous son approche du métier et le vif engouement généralisé pour la céramique. 
 

Par Sigrid Descamps. Crédit photo : D.R |

Entre la céramique et vous, c’est une longue histoire d’amour ? 

"Oui, je m’y suis mise tôt, durant mes études de biologiste. Je suis une touche-à-tout, qui a toujours été attirée par l’artisanat. On m’a offert un stage de poterie pour mon anniversaire quand j’étais encore à l’université ; j’ai tout de suite accroché. J’ai ensuite suivi des cours du soir, durant deux, trois ans… Je travaillais alors dans le privé à temps plein et ensuite, je suis devenue maman… Mais la poterie restait présente dans ma vie. A mon mariage, j’ai d’ailleurs reçu un tour de potier. De quoi continuer à cultiver ma passion en parallèle. C’est à la naissance de ma seconde fille que le réel déclic s’est fait ; je ne me sentais plus « alignée », j’avais besoin de me « rapprocher de moi ». Je me suis alors mise à la céramique de manière plus intensive. J’ai acheté mon propre four car je voulais gérer mes créations de A à Z. On est vite limité si on n’a pas de four car il faut aller faire cuire ses créations ailleurs. Par contre, quand on achète un four, on passe un cap. Avoir son propre four, ça veut dire qu’on va mieux connaître la processus de création et l’importance de chaque étape, on va pouvoir produire plus si on le souhaite, pour offrir, pour vendre, pour donner des cours… On dépasse le stade du simple hobby !"

Vous n’aviez toutefois pas encore franchi le cap de la professionnalisation…

"Non, pas encore… Je dis souvent que je rencontre des « personnes tremplins » qui me font avancer dans la vie. En ce qui concerne la céramique, ma rencontre avec le chef Stefan Jacobs a été marquante. Il travaillait alors à Bertinchamps. Pour mes créations, j’aime le contraste entre l’argile brute et l’émail plus subtil. Chez lui, j’aimais sa cuisine à la fois raffinée et ancrée dans le local, proposée dans un cadre brut… Nos univers collaient bien. Un soir, à la fin d’un repas dans son restaurant, j’ai mis ma timidité de côté et j’y suis allée au culot : je lui ai dit que je serai fière de lui faire de la vaisselle. Il a accepté ; ça a été ma première commande ! Par la suite, j’ai vendu des pièces sur des marchés de Noël notamment. Le bouche-à-oreille a commencé à bien fonctionner. Et puis, il y a les réseaux sociaux qui ont considérablement boosté ma visibilité. Très vite, je n’ai plus réussi à suivre les demandes. Et en 2018, je suis passée à 4/5 en me disant que j’allais progressivement me diriger vers un mi-temps, mais tout s’est accéléré avec toujours plus de demandes, de belles collaborations…  Fin 2018, j’ai compris que je devais faire le grand saut : j’ai pris un crédit temps d’un an et je me suis consacrée à la céramique à temps plein. Je m’étais donnée un an pour voir si ça marchait et surtout, si ça allait me plaire. Quand on passe de passion à métier, la pression est très différente. Il faut rester lucide sur ce passage de l’un à l’autre et savoir se poser les bonnes questions". 

Quatre ans plus tard, vous ne regrettez rien ?

"Oh non, j’ai fait le bon choix. J’ai donné ma démission en 2019 et je me suis installée comme indépendante. Depuis, ça suit son cours, même si je n’ai pas encore atteint ma zone de confort réelle. J’ai la chance d’avoir un carnet de commande rempli tout le temps ; je n’ai jamais dû faire de prospection, les réseaux sociaux et le bouche-à-oreille ont toujours bien fonctionné. Je mesure ma chance d’avoir des commandes et de vendre mes créations, mais attention, il faut préciser que ce n’est pas un métier où l’on devient riche. On gagne effectivement beaucoup, mais ce n’est pas monétaire : il est plus question ici de richesse liée à la qualité de vie, de s’offrir une forme de paix intérieure, un fil qui nous relie à l’humanité… Autant de choses qui n’ont pas de prix.  Je dis toujours que je gagne peu mais que je me lève chaque matin avec la niaque d’aller à l’atelier."  

Combien de pièces créez-vous par semaine ?

"C’est très variable, cela dépend des pièces… et des semaines (rires). Le rythme peut varier très fort d’une semaine à l’autre. Il m’arrive de travailler intensément durant quinze jours d’affilée puis, j’ai besoin de souffler... Je ne sais pas tourner de manière systématique, je ne suis pas un robot. Disons que je peux faire 100 tasses ou 40 assiettes sur une journée ; je parle de forme brute, pas de produit fini. Nous travaillons actuellement à deux – plus une stagiaire -  à l’atelier et grosso modo, on doit créer entre 200 et 400 pièces, finies, par mois."

Pièces que vous vendez ensuite en ligne…

"En effet, mais pas tout. Je travaille à la commande pour des restaurants. J’aime beaucoup cela, c’est du sur-mesure complet, qui demande un beau dialogue entre eux et moi. S’il s’agit d’une première commande de tout un service, il me faut plusieurs semaines, voire mois, pour tout faire. Et il y a le suivi aussi car, en cuisine, on casse (rires). Régulièrement, je dois donc réassortir certains services ou imaginer des pièces supplémentaires. Je travaille également sur commande pour des particuliers ; une famille, qui a justement découvert mon travail dans un resto par exemple et qui souhaite avoir son propre service sur mesure ; mais c’est plus rare. Il faut savoir que pour ce type de demande, il y a parfois un délai de réalisation d’un an, voire un an et demi. Je limite ces commandes car je me suis rendu compte que trop travailler comme cela nuisait à ma créativité. Je préfère consacrer du temps et de l’énergie à mes créations personnelles et plus libres, que je vends en ligne, via des ventes saisonnières… Je crée au rythme des saisons car j’aime rester en connexion avec la nature : les changements qui s’y opèrent sont inspirants. Je choisis par exemple mes émaux en accord avec les tons du moment. Et à chaque saison, je mets mes productions en ligne. Généralement, en quelques jours, quasiment tout le stock est écoulé." 

Vendre en ligne semble un peu contradictoire avec votre approche très humaine…

"Il est clair que je préfère le contact, le lien humain… aller présenter mes créations sur des marchés, organiser des ventes éphémères… C’est la pandémie qui m’a poussée à vendre en ligne. Au début, j’étais réticente car je trouve important que les gens voient et touchent la matière. Il s’est cependant vite révélé que c’était un canal de vente important. Les gens qui sont déjà familiers de mon travail aiment beaucoup. Je ne pourrai toutefois pas le faire tout le temps, cela demande une sacrée logistique, le rythme saisonnier me convient bien. Et puis, je caresse toujours l’idée d’ouvrir une boutique liée à l’atelier. Je trouve toujours cela très vibrant, il y a une âme quand les deux sont liés. Je rêve donc d’un lieu hybride, où les gens pourraient à la fois voir comment le travail se fait et le résultat. Je devrais dans ce cas, sans doute dédier seulement deux jours par semaine à la vente. Si je fais les deux de front, je ne m’en sortirai pas. J’aime prendre le temps de parler avec les gens, être là pour eux à 100 % et si je leur parle tout le temps, je n’ai plus le temps de créer (rires). En attendant, je peux sans doute imaginer juste avoir quelques pièces sur une étagère dans un coin. L’idée suit son chemin…"

Quel impact la pandémie a-t-elle eu sur votre métier d’une manière générale ?

"Quand le covid est arrivé, on s’est tous demandé ce qui allait nous tomber dessus. Paradoxalement, on a assisté à un énorme engouement pour les métiers d’artisanat, dont la céramique. A plusieurs niveaux : du pouvoir d’achat, tout d’abord ; on pensait que les gens n’allaient plus rien acheter. Au contraire, le budget habituellement dévolu aux vacances a été investi dans les intérieurs, notamment dans la vaisselle. Plusieurs restos ont également profité de cette pause forcée pour refaire leur déco, commander de la nouvelle vaisselle… Le visage du métier a changé aussi ; de la même façon que beaucoup de gens se sont intéressés au jardinage, à la fabrication du pain maison, certains se sont tournés vers la céramique. Les gens ont eu besoin de prendre du temps pour eux, de se recentrer… La céramique existe depuis la nuit des temps. Le métier de potier a toujours existé. Chez nous, on reste à petite échelle, mais dans certaines régions du monde, il existe des traditions très fortes autour de cette discipline. Il y a une connexion profonde et ancrée avec la Terre, qui fait écho chez les gens. Je ne suis pas étonnée d’avoir assisté à un retour vers les métiers manuels durant la pandémie… On vit dans une société où règne la frénésie, il y a beaucoup de stress, de fatigue, de burnout, de boreout… On est trop dans la performance, la rentabilité, le besoin de se mettre en compétition… Avec parfois une perte de sens et de valeurs. Les gens ont besoin d’activités qui les ancrent, les stimulent. Travailler la terre, utiliser ses mains, cela permet de se reconnecter avec son corps et avec soi. La céramique – comme la boulangerie d’ailleurs – apporte en plus un sentiment de fierté : on crée quelque chose d’utile avec ses mains, à partir d’un élément simple. Et cet engouement n’a pas faibli depuis : le nombre de commandes n’a pas radicalement baissé, et les cours de céramique ne désemplissent pas !"

Se lancer dans la céramique, est-ce un hobby à la portée de tous ?

"Oui, il n’y a pas de profil type ; par contre, ce n’est pas un hobby dans lequel on se lance seul chez soi. Il faut apprendre aux côtés de quelqu’un et puis, à un moment ou l’autre, vous aurez besoin de cuire vos productions et cela ne se fait pas dans le four de la cuisine, il faut du matériel spécialisé (la cuisson prend plusieurs jours et tourne autour des 250 degrés, ndlr). La matière première, l’argile, n’est pas très onéreuse. Ce qui peut s’avérer coûteux par contre, c’est le tour, le four… et les cours. Pour débuter, l’idéal est d’aller à la découverte de différentes techniques par le biais de stages ou d’ateliers d’initiation chez des professionnels. Cela permet aussi de voir ce qui nous convient le mieux selon notre tempérament. La technique du modelage se maîtrise par exemple plus vite et elle est plus vite intuitive que le tour, qui demande une certaine expérience. Si on accroche, je conseille de s’inscrire dans une académie ou, carrément, de suivre une formation dans une école dédiée." 

 

Et si on veut créer sa propre production ?

"Alors… Le secret, c’est l’exercice dans la répétition des gestes, la curiosité sans fin et la résilience (rires). Il faut s’y adonner régulièrement. Idéalement, il faut suivre une formation, qui peut prendre plusieurs années. Il arrive que certains se lancent en autodidactes. De toute façon, il faut investir dans du matériel ; acheter un tour et si on veut aller plus loin, un four. Pour un tour, comptez un bon millier d’euros. Un four, par contre, ça grimpe déjà à 5 000, 6 000 euros. A quoi vous devez encore ajouter l’installation électrique triphasée et surtout, la consommation d’électricité. Et ça, ça représente un coût et malgré tout ça, on n’y est pas encore : il faut travailler, travailler, travailler… tout en veillant à ne pas perdre le feu sacré. Pour tout métier artisanal, il faut avoir les épaules solides, se remettre en question régulièrement, bien s’entourer et surtout, rester fidèle à soi-même. Moi, je sais que je si ne tourne pas, je m’éteins !"

kimverbeke.com

Ne manquez plus aucune actualité lifestyle sur sosoir.lesoir.be et abonnez-vous dès maintenant à nos newsletters thématiques en cliquant ici.