À Bologne, au cœur de la gastronomie italienne

Bologna la grassa, c’est ainsi que les Bolognais eux-mêmes désignent leur ville, tant la cuisine, les coutumes de table sont riches et anciennes. Le chef-lieu de l’Emilie-Romagne est le cœur de la gastronomie italienne. Visite guidée avec des pros.

Par Carlo de Pascale. Photos : Pinterest, D.R. |

True Italien Taste est le nom d’un programme soutenu par le ministère italien de l’Économie pour défendre à travers le monde le “vrai goût de l’Italie”. L’idée est de combattre certes la contrefaçon, qui est illégale, mais aussi de contrer ce que les autorités italiennes appellent l’italian sounding, à savoir les produits qui “ont l’air italiens”, qui utilisent l’italianité pour se vendre, mais qui n’ont en fait rien d’italien ni dans l’origine ni dans le goût. Un exemple au hasard ? Les pâtes Miracoli qui auraient bien besoin d’un séjour à Lourdes pour faire des miracles dans l’assiette. Ceci étant, cet italian sounding est aussi parfois, il faut bien le dire, le fait d’entreprises italiennes qui utilisent leur nom pour écouler des produits industriels de faible qualité.

Dans ce contexte de soutien à l’artisanat réel italien, des missions économiques sont régulièrement organisées pour permettre à des importateurs du monde entier de rencontrer des producteurs de produits de niche. Pendant deux jours, dans un hôtel quatre étoiles de Bologne, à un rythme effréné. Evy Valenti, acheteuse pour Graceffa (un importateur historique de produits italiens en Belgique, connu notamment pour ses magasins Italia Autentica) a enchaîné les rendez-vous toutes les demi-heures. Je me suis glissé comme une petite souris dans ses valises.

Vin bio, café artisanal, farines à la meule de pierre

Arriver à Bologne, c’est comme une vraie promesse de paradis. Si la passion du manger réunit tous les Italiens, à Bologne, c’est la garantie d’une gastronomie bien plus artisanale qu’artistique, et tant mieux. Ici, tant chez les détaillants que dans les restaurants, on ne déroge guère aux traditions. Parmesans de tous affinages, jambons séchés à point, pâtes fraîches parmi lesquelles trône le tortellino, escalopes dégoulinantes de fromage ou cochon de lait, les légumes sont rares, le cochon règne en maître. 

Bien que moins connue que Florence ou Venise au palmarès mondial des villes à visiter, Bologne mérite largement le voyage. D’autant qu’à l’instar d’une ville comme Bordeaux, le centre-ville autrefois un peu endormi est devenu ces dernières années une véritable ruche – même un dimanche pluvieux – où flâner, boire un verre ou s’enfiler en douce une assiette d’affettati (charcuteries) entre shopping et découvertes architecturales.

Mais Evy Valenti est là pour une mission plus importante. Vin bio, café artisanal, farines à la meule de pierre, piadine, charcuteries rares ou nettement plus industrielles, elle m’embarque dans un véritable speed-dating où il faut rapidement comprendre si un produit trouvera sa place dans la gamme de produits “haut de gamme” de l’entreprise, si le producteur est prêt à garantir une exclusivité, s’il exporte déjà via des solutions logistiques viables, etc.

Evy questionne, goûte et regoûte avec passion et prend parfois le temps de prendre le temps quand son palais croise une véritable pépite, comme le Mandorlato al Cioccolato, une confiserie pluriséculaire, une sorte de gâteau de fruits confits aux amandes et au cacao amer, tout droit tombé de la Renaissance dans nos assiettes. Quelques-uns de ces produits se retrouveront dans les linéaires de son employeur. À charge pour lui ensuite de convaincre le public belge, car en matière de gastronomie italienne comme ailleurs, le savoir-faire suffit rarement, il faut encore le faire savoir.

Véritable parc d’attractions

Mais depuis novembre dernier, Bologne, c’est aussi FICO un parc d’attractions agro-alimentaire tout entier consacré à la culture culinaire italienne. Son nom, acronyme de Fabbrica Italiana Contadina, que l’on pourrait traduire par “Atelier italien paysan”, évoque la vitrine du savoir-faire agroalimentaire italien. Nous sommes à la lisière de la ville. 

On arrive accueilli par une drôle de gare de péage : le lieu est un ancien marché de gros des fruits et légumes qui était au bord de la faillite, un espace de plus de 80 000 m2 transformé en une sorte de shopping mall immense. C’est si vaste que ce n’est pas immédiatement lisible : on hésite, parc, magasin, musée ? Pour donner une idée de l’ampleur de la chose, l’allée centrale fait un kilomètre et demi et on peut emprunter de drôles de tricycles pour s’y promener.

Alors on s’avance, on flâne, on découvre et on y trouve des restaurants à la pelle, des grandes marques italiennes (Alcisa, Mutti, Granarolo…), des lieux didactiques, les“manèges” qui sont comme des petits musées de sciences naturelles (l’homme et la terre, l’homme et l’élevage, etc.) et, en extérieur, des jardins avec des plantations didactiques et des animaux d’élevage. Particularité intéressante, les marques présentes ont aussi un atelier où l’on fabrique le produit : pâtes sèches ou fraîches, mozzarella ou même Grana Padano.

Le Parmigiano Reggiano est présent, mais FICO étant à huit kilomètres de la zone d’appellation, on ne peut y produire le divin fromage. Le parc est issu d’une association entre Eataly (un réseau de vingt magasins, moyennes et grandes surfaces, de produit italiens dans le monde, créé par Oscar Farinetti, un homme parfois controversé en Italie, proche de l’ancien Premier ministre) et la Coop, gros distributeur italien issu du monde coopératif. D’après Barbara, son attachée de presse hyperspeedée, Fico se veut une vitrine qui englobe tout l’art de vivre gastronomique à l’italienne en un seul lieu : vous goûtez de la mortadelle, vous voyez comment elle est produite et, dehors, vous rencontrez les cochons qui sont à la base de cette charcuterie.

Mais notre dynamique communicante aurait peut-être dû le dire encore plus vite, car l’exemple était mal choisi. La mortadelle présentée, bien qu’IGP (Indication géographique protégée) est fabriquée avec des cochons qui viennent de toute l’Europe (c’est autorisé), et sûrement pas les cochons toscans qui se trouvent dans l’enclos qu’elle nous fait visiter après que nous ayons gobé notre tranchette. Un enclos qui, au final, n’est donc qu’une sorte de zoo didactique…

Quelle est l’ambition réelle de Fico ? Nous voulons créer un lieu de réflexion sur un geste quotidien très important explique son administrateur-délégué Tiziana Primori, celui d’acheter un produit ou de commander un plat au restaurant. Et cette réflexion, c’est “Qu’y a-t-il dans le plat ? Qu’y a-t-il derrière le plat ?” Le parc espère en tout cas accueillir à terme six millions de visiteurs par an. Envisageable ? Pour le moment nous sommes dans les clous. Nous avons ouvert le 15 novembre dernier, et nous comptons déjà près d’un million de visiteurs. Les touristes sont pour nous très importants. C’est à ce public que nous voulons parler de notre modèle de développement durable de l’alimentation.

Rester sur sa faim

Pourtant, en fait de développement durable, au premier regard, la plus grande visibilité est donnée ici aux grandes marques de l’agroalimentaire. Certes, certains consortiums de produits nobles sont aussi présents, mais les pépites sont rares et l’amoureux de produits de niche risque de rester sur sa faim. Parmi les coups de cœur, toutefois, quelques jolis produits comme des charcuteries à base de cochon noir, la boutique du Parmigiano Reggiano, très belle, et le stand des “dragées” de Sulmona. Nul doute que FICO est donc encore en rodage et que son aspect didactique (avec notamment une fondation universitaire en son sein) va encore évoluer.

Mais s’il est indéniablement une vitrine de l’Italie, ce n’est pas à ce jour celle de son artisanat le plus rare. Et je n’y ai pas encore l’Italie du futur, où le développement durable prendra le pouvoir dans l’alimentation. En revanche, pour celui qui ne la connaît pas encore, le parc est un joli panorama de la gastronomie de la botte, à découvrir le temps d’une après-midi que l’on peut prolonger par un dîner sur place. 

www.eatalyworld.it

Le magicien de la mortadelle

La mortadella est un précieux saucisson qui a trouvé son ancrage dans la ville de Bologne, mais dont l’origine date de l’Antiquité. La corporation locale des charcutiers avait le privilège de la mortadelle depuis le XIVe siècle. Dans la recette, on trouve le cochon, les épices (clou de girofle, cannelle, macis, poivre…). Bref, tout ce qui fonde encore la mortadelle d’aujourd’hui. Elle peut bénéficier d’une IGP (indication géographique protégée) assez peu restrictive, mais il est encore au moins un artisan qui fabrique la mortadelle à l’ancienne : Silvio Scapin.

Celui-ci a délibérément choisi de ne pas se faire reprendre par l’IGP qu’il trouve trop laxiste. Du coup, on ne me permet même pas d’écrire Bologne sur ma mortadelle fulmine-t-il. Silvio est pourtant un passionné extrême : tous les matins, c’est lui qui assaisonne le mélange de viandes, où l’on ne trouve que des morceaux nobles, ne laissant le privilège des épices à aucun des membres de son équipe. Sa mortadelle, au bon goût de viande mijotée, a obtenu une des plus belles reconnaissances qui soit, le label “sentinelle du goût” de l’organisation Slow Food. On la trouve dans sa boutique de poche, en version “cochon classique” ou cochon rustique “Mora romagnola”. Une adresse à ne pas manquer si vous visitez Bologne.

Artigianquality (macelleria Scapin), 88 via Santo Stefano. Bologne. www.artigianquality.com.

Quelques adresses incontournables

Antipasti, tagliatelle al ragù, tortellini, gnocchi, cotolette, cochon de lait et autres classiques se dégustent dans quelques restaurants traditionnels de Bologne. Mon top six, dans le désordre :

  1. L’Osteria La Fontana (83 via Fondazza)
  2. Grassilli (3 via dal Luzzo)
  3. Leonida (2 vicolo Alemagna)
  4. Cesarina (19/b via Santo Stefano)
  5. Anna Maria (17/a via Belle Arti)
  6. Osteria del capello Rosso (9 via dei Fusari)

Pour boire un verre : visitez la grande bibliothèque remplie de vins italiens de l’Enoteca storica Faccioli (15/b via Altabella) ou savourez l’ambiance hyper authentique de l’Osteria Del Sole
(1/d Vicolo Ranoccchi).