Une soirée lecture, plaid moelleux sur les genoux, un thé fumant entre amis… Ces moments de bien-être portent chacun le nom de hygge — prononcez hygueu — et participent au bonheur des Danois. Si leur pays caracole en tête des nations les plus heureuses du monde, selon le World Happiness Report de l’ONU, c’est en grande partie grâce à la pratique quasi religieuse du home sweet home. Une vraie stratégie de survie dans cette région du monde, où la nuit tombe à 15 h ; mais où l’on a déjà réduit la journée de travail à six heures.
Signifiant “ bien-être ” en norvégien et se traduisant approximativement par “ cocooning ” en franglais, le concept a de quoi faire rêver la Belgique, qui figure parmi les plus grands consommateurs d’antidépresseurs de la planète. Notre pays s’intéresse seulement à la psychologie positive, explique Anne-Marie Etienne, professeur en Psychologie de la santé et du bien-être à l’ULg. Nous parvenons à soigner des dépressions, mais sommes médiocres en prévention, contrairement au Danemark qui s’interroge sur ce qui rend sa population heureuse, de manière constante. Le hygge en serait un élément-clé.
Chaleur humaine
Ces instants “ hygge ” sont parfois pratiqués chez nous, sans qu’ils ne soient nommés comme tels. Sont-ils à la portée de tous ? Pas forcément. Allumer une bougie et faire fondre des marshmallows dans un chocolat chaud ne suffisent pas à instaurer la béatitude, qui demande un travail de lâcher-prise pour atteindre un sentiment de plénitude, comme le décrit Meik Wiking, Président de l’Institut de recherche sur le bonheur de Copenhague et auteur du Livre du Hygge : mieux vivre la méthode danoise. Pour atteindre cet état de confort spirituel, le “ hyggeur ” abandonne toute source de stress pour accueillir la chaleur humaine dans sa demeure et prend chaque petit plaisir — l’odeur du café fraîchement moulu ou la douceur d’un tapis — comme objet de ravissement. Selon le mode d’emploi, on préférera donc le thé au champagne et un jeu de société en duo plutôt qu’une partie de Candy Crush seul, les yeux rivés sur l’écran.
L'envol du fast design
Mais si ce mode de vie s’immisce sous nos couvertures, c’est aussi parce que les marques de luxe, dont Hermès, Armani et Fendi, et les grandes chaînes de mode ont sorti l’artillerie pour le pratiquer coquettement, jusqu’à développer des lignes “ Home ” pour assouvir ce désir de cocooning insufflé du Grand Nord. Mes clients viennent avec une demande très claire, confirme Andrea Lennon, créatrice de l’enseigne bruxelloise The Corner : créer une ambiance chaleureuse chez eux. Des désirs que les leaders tels que H & M et Zara ont exaucé en démocratisant la décoration, permettant à M. et Mme Tout-le-Monde de se concocter un intérieur digne des plus charmants tableaux de Pinterest. Après la fast fashion, définie par des collections éclair et des prix très abordables, le train du fast design serait en marche, sur d’autres rails que ceux d’Ikea. Sur Instagram, les clichés d’intérieurs au style scandinave n’ont d’ailleurs jamais été aussi partagés, illuminés de bougies parfumées et de photophores stylisés. C’est que les Danois en sont les plus grands consommateurs au monde, avec six kilos de cire achetés par habitant, par an. Et ce n’est pas non plus un hasard si, dans la langue du pays, le mot rabat-joie se prononce “ lyseslukke ”, signifiant littéralement “ ce qui éteint les bougies ”.
L'époque, favorable au recueillement
Des rabat-joie qui n’ont pas leur place dans le monde du hygge, qui, s’il peut se pratiquer seul, s’opère la plupart du temps entre copains, au milieu d’une tribu qui se veut du bien. Il se caractérise par une grande prévenance spontanée, explique Meik Wiking. Personne ne domine la conversation trop longtemps. Le hygge consisterait donc à la fois à bâtir un refuge physique et une sphère rassurante pour l’esprit. Dans son essai Chez soi, Mona Chollet, journaliste au journal Le Monde, confirme d’ailleurs que hygger permet de se ressourcer, d’être mieux armé face au monde extérieur pour le découvrir autrement. Un dernier argument pour finir de vous convaincre de chercher le bonheur au fond d’une paire de chaussettes tricotées à la main.
Après le hygge, place au lagom ?
Dans la continuité du hygge, le lagom suédois est une philosophie de vie faisant référence à la juste mesure, au “ni trop, ni trop peu”. Un état d’esprit qui s’accompagne d’une dimension économique, puisqu’il induit surtout un mode de consommation plus rationnel et réfléchi.
Le mode de vie danois a ses bibles, à feuilleter dans un bain moussant, en pleine conscience.
Hygge, l’art du bonheur à la danoise, par Louisa Thomsen Brits, Editions Robert Laffont.
Le Livre du Hygge : mieux vivre la méthode danoise, par Meik Wiking, Editions First.
How to Hygge: The secrets of Nordic Living, par Signe Johansen, Editions Bluebird.