Faut-il encore payer un pourboire au restaurant ?

Le pourboire, un vrai casse-tête pour beaucoup. La question échine aujourd'hui clients, employés et restaurateurs. Pendant ce temps, le gouvernement maintient le statu quo. À l'ère des paiements électroniques et de l'augmentation des prix, faut-il encore donner un pourboire ?

Par Camille Vernin, Photo : Unsplash |

Combien laissez-vous de pourboire au restaurant ? Cette question a priori anodine soulève un débat sans fin au sein de l'Horeca. Avec la disparition progressive du cash et le contexte inflationniste, cette interrogation est plus que jamais d'actualité. Car beaucoup l'ignorent, mais elle impacte directement le secteur qui opère dans un climat de plus en plus tendu. Outre le grand nombre de faillites, on observe une pénurie de main-d'oeuvre. Il manquerait actuellement 20 % de personnel dans les restaurants et hôtels de Bruxelles. 

Voici le pays où il ne faut jamais laisser de pourboire :

Une pratique vieille de 500 ans

Au 16e siècle, l'appellation « pour boire » renvoyait à la relation maître serviteur. Il s'agissait d'une gratification qui permettait à la personne qui le recevait de se payer à boire. Les métiers à pourboire étaient ceux des serveurs, des taxis, des coiffeurs, soit des tâches longtemps réservées aux domestiques au service des aristocrates puis des gens de la haute société. À tel point que, dans les années 20, les syndicats se sont même opposés à ces pratiques jugées paternalistes. Néanmoins, au fil des années, le pourboire s'est peu à peu enraciné dans la culture belge et française, où il reste dépendant du bon vouloir des clients. Contrairement aux pays comme les États-Unis où le pourboire s'est institutionnalisé (entre 15 et 10% de la note). En Belgique, il est d'usage de laisser un petit pourboire compris généralement entre 5 et 10 % du montant de l'addition.

La fin du cash

Chez nous, aujourd'hui, il ne s'agit donc pas d'une obligation, mais plutôt d'une marque de courtoisie. "Mon associé Alexis et moi avons beaucoup voyagé au Canada et aux États-Unis", explique Dimitri Magerus, chef et fondateur de Pinã Taqueria à Bruxelles. "Là-bas, la culture du pourboire est très oppressante. Tu paies au Starbucks et même quand le service est très mauvais, sinon tu te fais insulter. En Europe, la culture du pourboire qui était déjà mince, se meurt petit à petit". En cause, notamment ? La disparition progressive du cash. Les restaurateurs interrogés estiment en moyenne que 95% des paiements se font aujourd'hui par carte. À tel point que le nombre de restaurants cashless a fait un bon considérable. Une pratique qui n'est pourtant pas encore encadrée par la loi belge.

Ludivine de Magnanville, présidente de la Fédération Horeca Bruxelles et propriétaire d'un établissement à Bruxelles confirme cette réalité. "De plus en plus de restaurateurs décident d'arrêter le cash car c'est beaucoup d'ennuis (erreurs de caisse, cambriolages, vols...). Seul bémol, le personnel voit leurs pourboires chuter. Beaucoup de patrons décident donc de les faire passer directement via le terminal de paiement. Au moment où les clients règlent, ils ont le choix ou non de laisser un extra et de choisir le montant". Chez Pinã Taqueria, Dimitri explique utiliser le logiciel de caisse LightSpeed qui intègre une option de pourboire. "Tu choisis de payer 5, 6 ou 8% au moment de payer sur la machine, mais il y a aussi la possibilité de refuser de donner", explique-t-il.

Une zone grise 

Seul bémol, la grande majorité des pourboires en cash n'étaient pas déclarés. Ce qui n'est plus possible aujourd'hui. "Le pourboire est dans une vraie zone grise légalement et en termes de décisions politiques", se lamente Ludivine. "Qu'il soit en cash ou par carte, il doit être déclaré. Ce qui signifie que 30% du pourboire peut être aujourd'hui reversé à l'État. Quand on en parle aux politiques ou aux syndicalistes, ils tombent des nues. Tout le monde est d'accord sur l'absurdité de la situation, mais personne ne fait rien"

L'autre problème des pourboires via un terminal bancaire ? Le manque de transparence. Alors que les clients avaient l'habitude de laisser leur pourboire directement au serveur pour le remercier de son service, ils doivent aujourd'hui s'adresser à une machine. Où part l'argent ? Comment est-il redistribué ? Atterrit-il directement dans les poches du patron ? "La question du pourboire relève de la politique interne de chaque établissement", explique Ludivine. Comme beaucoup de patrons, il n'est pas question pour elle de toucher une partie de ces pourboires. "Il y a une limite à ne pas franchir en termes de respect, renchérit Dimitri. Même si certains employeurs le font".

Pour rassurer les clients, tous les deux expliquent que les pourboires sont bien distingués du reste des bénéfices, et qu'ils sont ensuite redistribués également entre tous les employés du restaurant. "C'est souvent la salle qui en bénéficie alors que la cuisine travaille tout autant si pas plus. Cette inégalité crée de vrais débats, de l'étoilé au restaurant de street food, je le sais d'expérience", relate Dimitri. 

Quel impact ?

Mais quelle est la plus-value réelle de nos pourboires ? Les avis divergent sur la question. Selon Dimitri, "en Belgique, je pense qu'il ne faut pas trop compter dessus, surtout dans notre catégorie de prix où le couvert tourne autour de 20€ le midi et 35-40€ le soir. Ce sont des additions qui prêtent moins à donner un pourboire à mon sens, contrairement à une brasserie traditionnelle. Chez nous, ce sera un tout petit complément, de quoi s'acheter une bière ou un paquet de cigarettes, par exemple"

Un son de cloche un peu différent chez Ludivine qui affirme : "Si chaque client laissait 1€, cela changerait la vie du travailleur. D'abord financièrement, mais surtout pour revaloriser son travail". En tant que présidente de la Fédération Horeca Bruxelles mais aussi restauratrice, elle souhaite que le gouvernement prenne en considération ce secteur en pénurie. Selon elle, c'est un faux problème de dire que de nouvelles mesures sur les pourboires arrangeraient les patrons. "Nous sommes uniquement là pour dire que les gens qui travaillent pour nous valent quelque chose. Car on sait que si un travailleur n'est pas satisfait d'une politique d'entreprise ou de la manière dont se comporte son patron, il va voir en face. Les seuls qui nous soutiennent aujourd'hui, ce sont les clients, ce n'est pas normal". 

L'exemple portugais

Quelle solution dès lors ? En premier lieu, l'éducation. Lorsqu'ils ont installé Lightspeed avec l'option de pourboire directement sur le terminal de paiement chez Pinã Taqueria, Dimitri et Alexis étaient seulement les troisièmes à Bruxelles. "On explique aux clients qu'ils ont le choix de refuser. Quand on prend le temps de leur parler, ils finissent quasiment tous par donner, il suffit de conscientiser la clientèle". La solution portugaise pourrait mettre tout le monde d'accord. Là-bas, pour sauver le secteur de la pénurie, une addition de 5% a été instaurée d'office, qu'il s'agisse d'un simple cappuccino ou d'un repas étoilé. Mais les clients ont toujours le droit de le refuser. Un système à tester chez nous ? 

Ne manquez plus aucune actualité lifestyle sur sosoir.lesoir.be et abonnez-vous dès maintenant à nos newsletters thématiques en cliquant ici.