Les mots du monde d’après Gilles Dal : « Zone de confort »

... Ça y est ! Je vis dans le fameux “monde d’après”. D’après quoi ? D’après avant, j’imagine. Enfin, il faudrait que je demande. Mais je ne sais pas à qui. Tout est si confus

La zone de confort, il faut impérativement en “sortir”. C’est comme ça : “Sortir de sa zone de confort” fait partie de ces formules archi-convenues qui volent sans cesse au-dessus de nos têtes, tels des vautours harcelants. Et c’est en l’entendant que je me dis que je dois être sacrément inadapté à l’époque, car j’y suis bien, moi, dans ma zone de confort ; je n’ai aucune envie d’en sortir ! Attention, j’entends bien les arguments : la zone de confort, c’est là où vous êtes bien, donc y rester, c’est la facilité, or la facilité, c’est mal, parce que ça vous empêche de vous dépasser, or vous dépasser c’est bien.

Voilà, grosso modo, l’idée ; ça ne va pas beaucoup plus loin. Je schématise un tout petit peu, je le reconnais, mais disons que le concept de “zone de confort” schématise lui-même pas mal, puisqu’il faut avoir l’esprit plutôt basique pour trouver cette injonction valable pour tout le monde : il est des tempéraments aventureux, des tempéraments en quête d’apaisement, toute une myriade de nuances intermédiaires, donc recommander à tout un chacun, sans exception aucune, de “quitter sa zone de confort”, me semble, comment dire ? Un diktat abusif, voire une pression inutile mise sur des épaules qui n’ont rien demandé.

D’autant que l’équation proposée me semble assez étrange : pourquoi, en effet, faudrait-il sortir de sa zone de confort si, précisément, elle est confortable ? Si on aspire à en sortir, c’est qu’elle n’est pas si confortable que ça ! Méditez là-dessus : si vous estimez que vous iriez mieux hors de votre zone de confort, c’est que votre zone de confort est plutôt une zone d’inconfort. Et qu’en la quittant, c’est précisément au confort que vous aspirez. Car enfin, de deux choses l’une : soit vous êtes bien là où vous êtes, auquel cas vous vous situez dans une zone de confort, qu’il serait bien étrange de vouloir quitter ; soit vous n’êtes pas bien là où vous êtes, auquel cas il est bon de changer, en effet... Mais dans l’espoir d’atteindre une zone de confort.

Prenons un homme préhistorique poursuivi par un mammouth. Terrorisé, il se réfugie dans une caverne. Considérons qu’en pareil contexte, ladite caverne lui tient lieu de zone de confort, puisqu’il s’y trouve au chaud et hors de danger. Question : y aurait-il un sens à ce que notre homme préhistorique veuille à tout prix en sortir pour “relever de nouveaux défis” et “partir à la rencontre de lui-même” ? D’accord, cet exemple est anachronique, tiré par les cheveux, il compare l’incomparable, alors j’en ai un deuxième : si, suivant les préceptes en vigueur, vous avez quitté votre zone de confort pour vous bâtir une nouvelle vie plus épanouissante, devez-vous aussitôt quitter cette nouvelle vie plus épanouissante, au motif qu’elle constitue une nouvelle zone de confort ? Je vous laisse méditer là-dessus.

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