Marius Bosmans : rencontre avec la star montante de la gastronomie belge

Il a reçu le très convoité titre de Jeune chef wallon de l’année par le Gault&Millau, un an après avoir décroché une étoile pour son restaurant Arden à Villers-sur-Lesse, qu'il a su conserver lors de la cérémonie 2024 des Michelins. Nous avons voulu en savoir plus sur la nouvelle star de la gastronomie belge.

Par Ingrid Vanlanghendonck Photos : D.R. |

Il est de ceux qui incarnent cette nouvelle vision de la gastronomie, une cuisine pure comme du cristal, centrée sur l’ingrédient avant tout, une cuisine qui vise le zéro déchet et ne jure que par le local et de saison... Et l’écrin dans lequel est installé son restaurant se prête merveilleusement à cet exercice : le Château de Vignée est un petit bijou posé en bord de Lesse.

Érigé au XIIIe siècle, détruit plusieurs fois, puis reconstruit en 1756. Il tenait son nom des 360 hectares de vignes qui y avaient été plantées. Ces vignes aujourd’hui ont disparu : Napoléon les a fait raser, comme d’autres dans la région, car l’Empereur ne pouvait supporter qu’un vin ne soit pas français... Au fil du temps, le château est devenu un hôtel-restaurant, mais il a longtemps été un simple repaire de chasse. Ce n’est qu’en 2018 que la famille Teunissen-Ball prend possession des lieux et entreprend d’en faire l’hôtel chic, avec spa et table gastronomique, qu’il est devenu aujourd’hui.

En vidéo, découvrez cette adresse que nous avons testé :

Vingt-quatre chambres sublimes avec vue sur la Lesse et une immense cave à vins surprenante, creusée dans le centre de la cour du château. Cette cave fait désormais partie des plus belles de Wallonie. Le Gault&Millau lui a même accordé la mention de “meilleure carte des vins de Belgique” en 2021. C’est tout naturellement que les propriétaires ont cherché un jeune chef bourré de talent pour ponctuer ce beau projet et c’est par un jeu de rencontres que Marius Bosmans est arrivé ici, il y a deux ans. Prenant possession des cuisines, des jardins, des ruches, de la serre et des bords de Lesse, où pousse l’ail des ours.

Nous avons rejoint Marius Bosmans juste avant son service de midi. Calme et souriant, il s’exprime avec un léger accent flamand et nous apprend qu’il ne parlait pas un mot de français quand il est arrivé ici. Ça va vite quand vous n’avez pas le choix, presque toute ma brigade est originaire de la région et on ne parle pas fort le néerlandais par
ici, j’ai dû m’adapter
, dit-il en souriant. Originaire de la région de Louvain, où il a également étudié, Marius Bosmans s’est fait connaître en officiant notamment aux côtés de Gert de Mangeleer, chez Hertog Jan*** à Bruges, mais aussi chez Boury à Roulers. Quand on l’interroge sur son parcours, on ne peut pas s’empêcher de se demander si la vocation est née dans l’enfance.


Son restaurant offre une vue imprenable sur la vallée de La Lesse et une carte qui fait la part belle au terroir local.

Comment décide-t-on de devenir chef ?

Mon père était cuisinier, mais il avait fait le choix de ne travailler qu’en journée pour être avec ses enfants le soir. Il était tous les soirs à la maison et cuisinait pour nous, c’est souvent par là que le virus se transmet. Comme tous les enfants, je cuisinais parfois avec lui et ce sont des moments qui restent ancrés. Mais je n’ai pas pris conscience de cela tout de suite, et quand j’ai eu l’âge de me demander ce que je voulais faire de ma vie, j’ai essayé un peu de tout, même la mécanique ou l’électricité... Puis je suis tombé un peu par hasard à l’école hôtelière, à Louvain, et je trouvais que ça bougeait bien. C’était là que je pouvais être le plus créatif, et c’est ce qui m’a convaincu... J’étais le genre d’adolescent qui veut être le meilleur et je me suis lancé là-dedans avec ardeur : je travaillais comme étudiant dans des restaurants de la région pour avoir de quoi m’offrir des livres de cuisine ou de beaux couteaux...

C’est devenu une passion et j’ai eu la chance d’être encadré de profs qui m’ont laissé faire, ils ont encouragé mes progrès et m’ont souvent donné carte blanche. C’est lors de mon dernier stage que j’ai débarqué chez Boury à Roulers, ce qui m’a conduit ensuite chez Hertog Jan, où j’ai tellement appris. Quand j’ai arrêté à Bruges, Tim Boury m’a recontacté car il avait besoin d’un pâtissier. J’ai donc commencé à un poste qui n’était pas le mien. Quand je suis arrivé là, je ne savais même pas faire une chocomousse (il rit) ! Mais cela ne me faisait pas peur, et au final cela m’a appris la rigueur, car la pâtisserie demande une tout autre organisation en cuisine et, surtout, une plus grande précision.

Ce sont des qualités qui m’ont ensuite aidé quand j’ai attaqué les postes “chaud“, “froid“, ou pour cuisiner les poissons... En fait, j’ai trouvé cela tellement enrichissant, que dans mes cuisines aussi, aujourd’hui, je fais tourner mes hommes. Le chef en charge de la pâtisserie chez Arden était avant au “chaud”. Je sais combien c’est compliqué pour lui, car il cuisine depuis des années avec certains réflexes, il était rapide dans ses réalisations, et il a dû totalement modifier ses habitudes. Il apprend chaque jour, il doit prendre le temps de maîtriser de nouveaux gestes... J’aime vraiment l’idée d’être entouré de gens qui savent gérer tous les postes et qui savent tout faire.

Comment définir l’ADN de la haute cuisine quand on parle de restauration ? Qu’est-ce qui justifie certains prix, et pourquoi paie-t-on parfois autant pour s’attabler quelque part ?

Les gens paient pour une expérience. Chaque moment est orchestré. Les plats sont pensés jusque dans les moindres détails, ils sont beaux. Parfois même, cela signifie de ne pas savoir ce que l’on mange ou recevoir un plat qui semble simple une fois posé devant vous, mais qui représente en réalité des heures et des heures de travail. Il y a au final une frontière très ténue entre ce qui est bon et ce qui est très bon.

C’est ce que nous cherchons dans notre art et c’est sa particularité. Bien sûr, on peut avoir des sensations avec ce que j’appelle la comfort food. C’est bon, on passe un bon moment. Demandez à un grand chef de vous préparer un spaghetti bolognaise et peut-être que vous ne le trouverez pas aussi bon que celui de votre maman... Mais nous allons chercher plus loin dans la sublimation du goût des choses. Une simple carotte peut être un moment de dégustation étonnant et c’est ce que nous recherchons. C’est cela, notre démarche !
 

Cette sublimation d’un simple morceau de légume ou cette multiplication des recettes sans viande, doit-on en conclure que la gastronomie du futur sera forcément végétarienne ?

Je ne pense pas que le problème soit de manger de la viande, en soi. À mes yeux, le problème est dans l’excès. Ce qui compte, c’est "hoe je ermee omgaat", comment on approche et comment on pense cette consommation... Quand on regarde ce qu’il se passait il y a une ou deux générations, nos parents et grands-parents n’avaient pas ce choix de viande à portée de main. Aujourd’hui on ne sait plus où donner de la tête dans les supermarchés. On avait autrefois une consommation plus raisonnée de viande, et quand on abattait un cochon, on en mangeait toutes les parties, pas seulement les plus beaux morceaux. Au centre de ma réflexion, il y a surtout le fait que je ne me retrouve pas dans ce gaspillage, qui n’a pas de raison d’être.

Pareil pour les légumes : je travaille beaucoup avec la fermentation. En été, dans ces jardins, on récolte des prunes, des fraises, des choux ou d’autres légumes que je fermente et que je peux ensuite servir toute l’année. Il en va de même pour les tomates, que j’ai cultivées ici, en serre cet été, et je les fais fermenter, j’en garde le jus pour exploiter le goût de la tomate, même au cœur de l’hiver. C’est aussi important pour moi de pouvoir gaspiller le moins possible. Nous faisons pousser nos herbes, nous avons des serres en été. Le biotope autour de la Lesse donne une saveur particulière aux aromates. L’ail des ours pousse par ici, nous l’intégrons dans nos recettes.

Si l’avenir de la gastronomie est dans l’épure, on le ressent dans les moindres détails. Avant, les restaurants gastronomiques avaient de longues descriptions lyriques de leurs plats, parfois même à la limite du ridicule. Aujourd’hui, on trouve chez Arden, comme de plus en plus souvent sur les cartes des grands restaurants, une simple liste d’ingrédients, énumérés les uns à la suite des autres. Pourquoi tant de mystère ?

Si on accepte l’idée que la haute gastronomie est une expérience, alors pour moi, elle doit rester une surprise. J’aime l’idée de sublimer le produit et ne mettre que ce produit en avant, en laissant planer le mystère sur le reste. Chaque plat est en outre une cascade de préparations complexes, que je ne pourrais décrire sur la carte. Et puis cela me permet de garder mes recettes un peu exclusives, je n’ai pas envie d’être copié. Mais aujourd’hui, les gens sont plus informés sur la cuisine, ils connaissent les produits, se renseignent sur les préparations et les gens qui poussent la porte chez Arden sont prêts à se laisser surprendre.

Néanmoins, nous ne jouons pas à l’obscurantisme non plus : une fois à table, quand on sert le client, on lui explique plus en détail chaque préparation et on en sait bien davantage sur le travail en cuisine. Aujourd’hui, les gens sont attentifs à ce qu’ils mangent, je le suis moi aussi. Et je pense que la cuisine devient plus légère. Je ne défends pas une cuisine forcément light, mais j’évite par exemple les hydrates de carbone, car on ne vient pas ici pour manger des frites. Je peux faire un chips fin et je n’exclus rien, mais j’aime l’idée que le client sorte de chez Arden sans se sentir alourdi. Je veux que, quand arrive le dessert, on soit encore dans l’envie de goûter les choses, qu’on ait encore de l’appétit, pour que chaque moment de la partition ait sa place, jusqu’au chariot de mignardises. Avant de laisser le chef repartir en cuisine, on lui demande simplement ce qui l’inspire pour développer autant de créativité. Je ne suis jamais aussi inspiré que dans ma cuisine. Ce qui m’inspire, c’est de faire, d’expérimenter, de goûter et de voir émerger les choses au fil de mon travail. Je suis de ces chefs qui ne sont jamais aussi créatifs qu’aux fourneaux. Et nous ne regrettons pas, nous non plus, qu’il ait abandonné la carrière de mécanicien.

En pratique :

Où ? Château De Vignée, 27/29 rue de Montainpre, 5580 Rochefort

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