Thomas Gunzig et le déconfinement

Rencontre avec l’écrivain bruxellois en plein confinement, Il nous livre son regard à la fois amusé et acéré sur la société. 

Par Sigrid Descamps, Photos DR |

Concrètement, comment se passe votre confinement ?

Nous sommes cinq à la maison : je suis avec ma compagne et nos trois enfants de 7, 14 et 18 ans. Pour eux, ce n’est pas toujours facile. Ils sont privés de leurs activités, ils ne voient plus personne d’autres que leurs parents et frères et sœur. Mais ils ont vite bien assimilé ce qu’il se passait. C’est une génération qui a finalement déjà traversé pas mal de choses. Ils ont vécu la période des attentats, se sont retrouvés à l’école entourés de militaires armés, ont vu la police dans les rues…  

Quant à moi, encore une fois, je ne vis pas bien ce confinement. J’ai envie de sortir le soir, de voir mes amis… Alors pour occuper mes journées, je me réfugie dans le boulot. J’ai une fâcheuse tendance naturelle à la mélancolie qui devient plus présente si je ne fais rien. Pour des raisons de santé mentale, j’ai donc beaucoup travaillé. J’ai la chance d’avoir beaucoup de boulot sur des projets qui devraient voir le jour dans les mois, voire les années qui viennent : des scénarios, un roman que j’ai un peu lâché, et évidemment mes billets radio chaque semaine… Maintenant, on traverse une période d’incertitude, je ne sais pas si, au final, ces projets verront le jour.

La Culture est rudement touchée et il n’est pas assuré qu’il y aura encore de l’argent pour faire des films et monter des pièces de théâtre. Mais, en attendant, pendant ce confinement, je travaille tous les jours, et même plus que d’habitude. Je me lève tôt, je suis derrière mon bureau dès 7h30 et je termine tard, mes journées sont bien remplies. Je m’octroie juste une pause vers 11 h, pour faire du sport. J’ai dû ranger mes gants de boxe pour le moment, mais je vais courir, en veillant bien à respecter les mesures de distance sociales, même si cela me vaut, malgré tout, des regards courroucés de promeneurs. 

Vous qui attachez de l’importance au lien social, comment maintenez-vous le contact avec vos amis, par le biais de e-apéros par exemple ?

Pas du tout. Je ne fais pas d’appel vidéo, je ne participe pas à des apéros virtuels… Voir mes amis en faux, cela me déprime ! Je ne suis pas vraiment marrant à interviewer, hein ? (Rires).

Dans quel état d’esprit traversez-vous cette période de crise ?

Je ne la vis pas bien du tout. Il n’y a aucune raison de se réjouir, à aucun niveau. Tout d’abord parce qu’il y a des gens malades, des qui gens qui souffrent énormément, des gens qui meurent… dans le monde entier. Même si le nombre de décès est important, je pense qu’on a encore eu relativement de la chance en Belgique car notre système de santé fonctionne encore plus ou moins bien en dépit de ce qu’on lui fait subir depuis plusieurs années. Ce qui n’est pas le cas dans des pays où il n’existe pas de tel système ou d’autres encore où il existe des systèmes de santé mais qui fonctionnent à l’assurance. Le monde qui a l’habitude de souffrir, souffre encore plus fort. Quand je pense notamment au prix que vont payer les populations plus pauvres, fragilisées, les personnes en situation précaire…  je ne peux pas bien vivre cette situation. Peut-être que certains y parviennent, en étant extraordinairement égoïstes. 

C’est-à-dire ?

J’imagine que certains ont vu là l’occasion d’avoir enfin du temps pour eux, pour faire du yoga, du jardinage, ranger leurs tiroirs… Moi, je n’y suis pas parvenu. Je n’ai pas trouvé un quelconque avantage à cette situation. Je la trouve d’une telle brutalité, d’une violence extrême. Et elle nous a imposé, au-delà des contraintes sanitaires et économiques, qui engendrent déjà une certaine souffrance dans le corps et l’esprit, des contraintes violentes de distanciation sociale, d’isolement. Cela va à l’encontre de ce qui est ancré profondément en nous : le relationnel, l’humain, le contact. On vit une période d’incertitude importante, durant laquelle beaucoup vont perdre déjà le peu dont ils disposaient, et en plus de cela, il y a cette interdiction relationnelle. Nous n’avons même plus ces liens pour nous rassurer. Que des personnes âgées ne puissent plus voir leurs enfants et petits-enfants, que des couples se retrouvent séparés… c’est violent, compliqué. 

Ne nourrissez-vous pas l’espoir que cette situation inédite, de par sa violence, secoue les consciences ?

En fait, je vais vraiment plomber l’ambiance, mais… pas du tout ! L’Histoire, qui est déjà assez longue et bien documentée, nous a prouvé que l’être humain n’apprend jamais de ses erreurs et des grandes catastrophes par lequel il passe. L’Humanité a déjà connu tellement de guerres, de crises majeures, qu’on pourrait se dire qu’on a enfin appris l’importance de la solidarité, de l’entraide, de la nécessité d’abandonner l’individualisme. Mais en réalité, ce n’est pas le cas. Même si, sur le moment, on assiste à beaucoup de beaux discours, de grandes résolutions, une fois que l’on retrouve un rythme normal, l’humain retrouve très vite ses mauvaises habitudes. Chaque crise fait apparaître une petite solidarité de façade, mais quand on regarde plus profondément, c’est le « chacun pour soi » qui l’emporte. Cela a été démontré par toutes les crises économiques, toutes les guerres, tous les grands bouleversements mondiaux. On ne tire aucune leçon. Je suis convaincu que dès la crise sera passée, on retrouvera les grandes dynamiques de détricotage de la sécurité sociale. Je suis désolé, je ne suis pas très optimiste ! 

Pensez-vous que les différents acteurs de la culture et les médias ont une carte à jouer ?

Du côté de la presse, peut-être que les informations d’ordre économique auront leur nécessité car beaucoup de gens vont se retrouver dans des situations d’urgence, de précarité…  Il est très présomptueux de croire que les médias et les artistes aient un rôle à jouer. Alors certes, on peut  imaginer que le champ artistique aide à donner du sens aux choses. Par le biais d’histoires. Peut-être qu’il y aura des histoires à raconter autour de ce moment particulier que nous sommes tous en train de vire. Mais je ne pense pas que ça aidera les lecteurs, les spectateurs, à vivre. Au mieux cela les aidera à donner du sens, et encore, de manière très individuelle. 

Pensez-vous écrire, si pas maintenant, dans quelques mois ou années, une nouvelle, un roman ou un scénario sur la pandémie ?

Il me faudra effectivement quelques mois avant de retrouver quelque chose à dire. La création dans des circonstances comme celles-ci est très compliquée. Personnellement, je n’arrive pas à écrire quoi que ce soit. Nous sommes plongés dans une telle incertitude ! La création demande de la concentration, de l’investissement personnel. Et pour l’instant, je n’y arrive pas. Je suis très attentif à essayer de suivre la situation, la comprendre… J’ai lu une très belle citation de Pedro Almodovar qui disait « Il est impossible d’écrire de la fiction quand on en vit une ». Et c’est tout à fait cela : ce que l’on vit stérilise la fiction. Il y a sûrement des choses qui vont s’écrire, se faire. Il y a notamment un angle intéressant à aborder par le biais de toutes ces situations générées par le confinement.

Peut-être verrons-nous des histoires autour de gens qui veulent se voir mais n’y parviennent pas ? Plutôt des récits sur fond de confinement, que sur le confinement lui-même. J’avoue que là, je ne sais pas sur quoi je pourrais écrire. Tout me semblerait grotesque et ridicule par rapport à ce que nous vivons. Et je n’ai pas envie de tomber dans le travers d’un énième journal de confinement, je trouve cela insupportable. On s’en fout en fait de savoir comment untel ou untel vit ou ne vit pas bien son confinement. Cela n’a aucun intérêt. Déjà que je ne supporte par les journaux intimes en temps normal ! (Rires).  

Vous poursuivez vos chroniques en cette période troublée. Pensez-vous que l’humour a, plus que jamais, sa place dans le quotidien ?

L’humour, oui et tout ce qui apporte de l’émotion, qui peut créer du lien. Les émotions nous permettent de nous sentir liés par un destin commun. Elles sont traduites notamment via des élans communs : les gens qui applaudissent à leur fenêtre, ceux qui cousent des masques… Le rire est sûrement important, mais il faut qu’il transporte une autre émotion. Personnellement, j’ai veillé à faire des chroniques moins piquantes et moins sombres aussi peut-être qu’à l’accoutumée. Nous n’avions pas besoin de ça.

Avez-vous le sentiment au travers de vos écrits de parfois faire bouger les choses ?

Non. Mon pouvoir d’influence doit être assez nul. Il faut être réaliste : les personnes qui me lisent ou m’écoutent sont déjà acquises à une certaine cause, elles partagent déjà des valeurs communes. Je ne vais donc pas les bouleverser dans leurs convictions. Au mieux, je trouverais parfois les mots qui y donneront un sens. En fait, mon but n’est pas de réveiller les consciences. Au travers de mes mots, dans mes billets, dans mes romans, je cherche des choses différentes,  je tends à apporter une perspective amusante. 

Quelle leçon allez-vous tirer de tout cela ?

À titre personnel, aucune (rire). Du moins, pas plus que d’habitude. Les leçons tirées devront être collectives, on devra se dire « Bon sang, le service public, l’état providence la sécurité sociale, c’est quand même vachement bien, on ne doit pas y toucher ! »  On vit une magnifique démonstration par l’absurde que les politiques menées ne sont pas les bonnes !  J’espère que dans un, trois, cinq, dix ans, on n’aura pas oublié ce par quoi on passe aujourd’hui !

Comment voulez-vous vivre le déconfinement ?

Je l’espère incroyablement festif. J’ai envie de voir du monde, de boire des coups avec mes amis, de voir des gens, la ville, de retourner au resto, au théâtre, au cinéma… de revivre !

Suivez So Soir sur Facebook et Instagram pour ne rien rater des dernières tendances en matière de mode, beauté, food et bien plus encore.

Lire aussi :