L’événement Kaizen
Depuis sa sortie le 14 septembre, Kaizen, le documentaire du Youtubeur Inoxtag relatant son ascension de l’Everest, est sur toutes les lèvres. Pendant presque 2h30, le jeune homme de 22 ans retrace son parcours et sa préparation pour atteindre le plus haut sommet du monde qui culmine à 8849 mètres. On le voit à Chamonix-Mont-Blanc s’entraîner à la mer de Glace avant de s’attaquer à la Dent du Géant, mais aussi gravir l’Ama Dablam au Népal. Au moment où nous écrivons ces lignes, Kaizen recense plus de 27 millions de vues sur Youtube depuis sa mise en ligne le samedi 14 septembre.
Inoxtag n’est pas le premier Youtubeur à investir la montagne. Il y a trois ans, Lena Situations et son petit ami Seb La Frite filmaient leur ascension du Kilimandjaro, le plus haut sommet du continent africain. D’autres ont déjà pris rendez-vous avec l’alpinisme à l’image de l’influenceuse Daniela Pinto, suivie par plus d’un million de personnes sur Instagram et connue pour ses vidéos humoristiques aux côtés de son époux Nico Cappone. La trentenaire s’est lancée le défi de gravir le Mont-Blanc en juin 2025. Un challenge qui est d’ailleurs mentionné dans sa biographie Instagram.
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Un cadre idéal pour appliquer les codes de la culture internet
Selon Vincenzo Susca, professeur des universités en sociologie de l’imaginaire à l’Université Paul-Valéry à Montpellier et auteur du livre Industrie culturelle et vie quotidienne (Editions Liber, 2021), l’attrait des influenceurs pour la montagne et l’alpinisme n’est pas surprenant. « Depuis la pandémie, la montagne est devenue un véritable facteur de séduction sociale. Elle constituait durant la crise sanitaire le lieu idéal pour respirer, s’éloigner des autres et des villes où il y avait un danger de contamination ». Le réchauffement climatique contribue lui aussi à son essor. « La montagne est désormais un endroit agréable. On observait auparavant des populations du Nord aller vers le sud pour les vacances d’été. C’est désormais l’inverse qui se produit ».
La montagne représente un cadre idéal pour les influenceurs avec ses sommets et ses pentes vertigineuses. Il n’y a qu’à voir les images de Kaizen pour s’en rendre compte. Les cimes sont par moments représentées en noir et blanc comme pour leur donner un caractère mystérieux, puissant et inatteignable. La montagne invite à se dépasser, prendre des risques, se challenger. Des aspects centraux de la culture d’internet et des réseaux sociaux. « Il y a une idée de surenchère envers le quotidien. Cela fait partie du jeu de la culture de la performance qui traverse notre société de part et d’autre » détaille Vincenzo Susca.
Ajouter une couche de réalité et de vivant
Dans Kaizen, la montagne et les randonnées se transforment en lieux de mise en scène. Elles sont au cœur de déceptions, de chutes, d’amitié, de rencontres, de prises de risques, de plaisir. « Il y a tout un story telling autour de l’expérience d’Inoxtag. On peut d’ailleurs parler de marketing de l’expérience. Les influenceurs ont la capacité de cristalliser le rapprochement entre l’industrie culturelle et le public, donc entre le monde des médias et la vie quotidienne. On ne saisit pas très bien jusqu’à quel point ce sont des personnes comme les autres ou bien des artères de communication. Il est alors difficile de distinguer quand se termine la mise en scène et quand débute la vie quotidienne ».
À l’heure de l’hypermédiatisation, du virtuel et de la mise en scène, il existe paradoxalement un besoin d’authenticité et de réalité dans nos sociétés contemporaines. « La montagne est un excellent moyen d’ajouter cette couche de réalité, de vivant, de chair, de nature, d’air. Tout le contraire d’une vie numérique. À travers l’alpinisme, les influenceurs veulent montrer qu’ils ne sont pas seulement une incarnation et un corps médiatiques, mais aussi un corps physique ».
Selon le chercheur, le documentaire d’Inoxtag va renforcer l’attrait pour la montagne et même l’alpinisme. « On voit déjà des personnes qui n’ont pas la culture de la montagne l’investir et appliquer des stéréotypes médiatiques. On en voit prendre des selfies avec des vaches, hurler et chanter dans la montagne pour des vidéos. Les influenceurs ont suivi cette démarche. Ils ont senti que l’alpinisme et les montagnes n’étaient plus seulement réservés aux alpinistes de jadis. Les influenceurs sont des avant-gardistes. Leur manière de mettre la main sur la montagne est innovante. Il y a quelque chose de pop et de ludique qu’on ne connaissait pas d’elle. Je ne serai pas étonné de voir apparaître dans le futur de nouvelles pratiques où les codes du spectacle et de la vie numérique soient transposés à la montagne comme des escape rooms ».
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