À la rencontre de deux mompreneurs

Clio Goldbrenner et Emilie Duchêne ont réussi un pari fou : créer une marque, devenir les enfants chéries de la mode belge, incarner l'entreprenariat au féminin, jouer les supermamans tout en tentant de trouver un peu de temps pour elles… Interview de deux working mums surdouées.

Par Ingrid Van Langhendonck. Photos Nathalie Gabay. |

Parce qu’on se demande bien de quoi est fait le périlleux quotidien de ces deux créatrices qui, depuis plusieurs saisons, incarnent le meilleur de la mode belge, nous les avons rencontrées, ensemble, pour découvrir comment se passent leurs vies de “Mompreneurs” et évoquer leur prochaine collaboration sur le thème mère-fille… Bien qu’on n’exige jamais d’un homme qu’il explique comment il fait pour gérer de front sa carrière et son rôle de parent, c’est avec le sourire et en assumant pleinement l’importance de leur vie de maman que Clio Goldbrenner, fondatrice de la marque éponyme de maroquinerie, et Emilie Duchêne, créatrice des bijoux personnalisés Thea, se confient.

Toutes les deux ont lancé leur marque en 2011 et ont rencontré un succès quasi immédiat. Toutes les deux ont eu à adapter leur quotidien et leur manière de gérer leur entreprise afin d’assumer leur rôle de mère… Une force ou un obstacle à contourner ? Un peu des deux, il semblerait.

Comment devient-on une super working mum ?

CLIO : Après quelques années chez L’Oréal, j’avais simplement envie de bosser pour moi, d’avoir mon projet propre. Mes parents ont travaillé dans la fabrication de sacs, ils étaient indépendants tous les deux, je pense que cela forge le caractère. Créer ma marque, c’était un investissement, j’ai dû le structurer, faire un emprunt, j’ai pris des risques et je les ai évalués. J’ai même donné mon nom à mon projet, c’est un risque énorme. Il y a une part importante de mise en danger, mais aujourd’hui je suis ravie d’avoir osé, c’est une des forces de la marque, parce que les clientes s’identifient.

ÉMILIE : Enfant, j’ai vu mes parents bosser jour et nuit dans leurs boutiques. Mon père (Luc Duchêne, fondateur entre autres de Chine et Mer du Nord, ndlr) est un entrepreneur pur jus, à l’américaine. C’est un fonceur, qui estime que tu dois tout tenter, que toute idée est un coup de poker et que si tu échoues, tu en sortiras avec des apprentissages. Il m’a transmis cette audace. Néanmoins le projet Thea n’était pas un business au départ, plutôt un projet personnel, un moment de création en marge de mon job chez Mer du Nord. Je ne pensais pas qu’il deviendrait ce qu’il est aujourd’hui, je ne l’ai pas élaboré pour en vivre, mais pour qu’il soit unique, je suppose que c’est cela qui a plu.

Emilie Duchêne

Est-ce qu’en démarrant votre marque, vous avez envisagé comment s’organiserait votre future vie de maman ?

CLIO : Pas le moins du monde ! J’avais 24 ans. Je n’ai pas pensé à une quelconque organisation familiale. Heureusement, je suppose (rires). Mais les choix que l’on fait dans son couple sont déterminants. Je vis avec un homme qui m’encourage, qui me porte et ne me reproche jamais la moindre absence Il m’épaule et nous sommes une équipe. Sans cela, tout serait plus compliqué. La naissance de ma fille m’a amené à trouver un nouveau rythme. Pour moi, il est indispensable d’être à la sortie de l’école pour venir la chercher. Maintenant que je suis maman à nouveau, je suppose que cela va demander d’autres adaptations, mais ces deux naissances ont tout bouleversé et je veux que mes filles me sentent près d’elles malgré l’intensité de ma vie professionnelle.

ÉMILIE : Pour moi, c’est différent, la marque porte le prénom de ma fille. Ce projet, je l’ai imaginé quand je suis tombée enceinte, donc le rapport à la maternité était forcément présent, mais je n’ai pas pensé à une quelconque organisation. D’abord parce que je ne comptais pas vivre de ces bijoux, mais aussi parce que j’ai toujours travaillé de manière assez flexible, sans horaires ni bureau fixe. J’ai toujours vu mes parents bosser. Pour moi, ce n’est pas antinomique d’être à la fois maman et chef d’entreprise.

Clio Goldbrenner dans son showroom bruxellois. ©Joakeem Carmans.

Au final, avez-vous l’impression que cette vie comporte plus d’avantages que d’inconvénients par rapport à une vie de salarié ?

ÉMILIE : D’un point de vue purement organisationnel, c’est plus facile au quotidien. J’établis mes horaires, je peux passer la journée à garder ma fille malade et bosser jusque tard dans la nuit. J’ai une grande liberté de mouvement, mais le revers de la médaille, c’est que ça ne s’arrête jamais. La notion de vacances ou de week-end n’existe pas comme chez les salariés. Parfois, j’envie certaines amies qui tirent le rideau quand elles quittent le boulot, installent le “Out of office” sur leur boîte mail pendant les vacances et déconnectent à 100 %.

CLIO : Moi aussi, je rêve parfois qu’il n’existe pas d’emails (elle sourit). Aujourd’hui, par exemple, je devrais être en congé de maternité et je suis au bureau. J’ai un bébé de deux mois et je suis déjà sur le pont. 

ÉMILIE : Je reçois parfois via les réseaux sociaux des messages de femmes qui n’osent pas se lancer et qui se disent admiratives. Je vois bien que ce que je fais dégage une énergie positive, mais certaines femmes le vivent comme une pression: il faut réussir sur tous les fronts!

CLIO : Être entrepreneur, c’est oublier l’idée d’attendre qu’on vienne te chercher et croire en soi. Mais c’est aussi ne se fier qu’à soi-même. C’est une liberté, mais c’est une pression également.

Vous l’organisez comment, cette transition entre le chef d’entreprise et la maman attentionnée ?

CLIO : Justement, depuis la naissance de Sienna, j’ai besoin de ménager des moments en famille, où je refuse de regarder mon téléphone. Je cloisonne. Au bureau, je suis à 300 %, je mange en cinq minutes, je n’arrête pas une seconde, mes journées sont très denses. Bien sûr, je suis joignable pour mes équipes en cas d’urgence, mais j’arrive à déconnecter. En tout cas, j’ai appris. Par contre, je ne sais pas aller dormir sans avoir vérifié une dernière fois mes emails.

ÉMILIE : Moi je ne déconnecte jamais, je bosse de partout, toujours. Bien sûr, les deux heures du soir, avec le bain et le dîner, sont réservées aux enfants, mais tout le reste du temps, je suis hyperconnectée. En vacances, je réponds à mes mails, même de mon transat. Parce qu’au final, cela me stresse moins de savoir que tout est sous contrôle ; plutôt que de manquer un mail important. Mais c’est aussi probablement parce que nous ne sommes que deux dans l’équipe : Thea, c’est une toute petite structure… Alors, je privilégie la qualité avec mes enfants, je vis intensément mes moments avec elles. Je suppose que toutes les femmes qui ont leur propre business doivent renoncer à l’idéal de la mère au foyer. 

CLIO : Pourtant, je regrette parfois un peu de ne pas prendre plus de temps pour moi, c’est vrai qu’après le boulot et les enfants, tout le reste ne semble pas indispensable…

ÉMILIE : Je prends des moments pour moi, mais je suis aussi de celles qui lisent leurs emails pendant la manucure. Comme j’ai le sentiment de bosser en permanence, je n’ai pas de culpabilité, je suis juste une espèce de bureau mobile… (rires)