Orta : le label bruxellois en circuit court

Il y a deux ans, Marion Schoutteten et Gauthier Prouvost, un couple de trentenaires franco-belges, lançaient Orta, un label bruxellois qui redéfinit les codes de la confection textile et du retail. Un pied dans le passé, un autre dans le présent.

PAR MARIE HONNAY. PHOTOS CAMILLE BERNA ET D.R. |

Dans les années 80, les ateliers textiles de la région française du Nord-Pas- de-Calais employaient des centaines de couturières qualifiées. Jusqu’il y a trente ans, ils fournissaient des marques de mode parmi les plus connues au monde. Ils ont ensuite fermé leurs portes les uns après les autres. En Belgique, il n’en existe plus aucun. Issus du secteur de l’immobilier (pour lui) et du marketing mode (pour elle), Gauthier et Marion Prouvost ont pourtant choisi de miser sur le savoir-faire et l’expérience de ces usines. Par souci d’éthique ? Oui, en partie, mais pas uniquement. Avec son positionnement "pure player " qui la rend unique en son genre sur le marché belge, Orta se différencie donc des autres marques au style similaire. Et ce, tant en termes de distribution que de mode de production.

Un business en ligne

" La vente en ligne (notre seul canal de distribution ) nous permet de réduire au maximum les intervenants et, par conséquent, de consacrer plus de budget à la production proprement dite". Si voir ces grands ateliers remplis de machines devenues inutiles leur a donné envie de contribuer à leur renaissance, le business model d’Orta repose sur des arguments beaucoup plus pragmatiques. " Quand nous sommes arrivés dans l’une des deux usines lilloises avec lesquelles nous travaillons, elle n’employait plus que deux personnes. Depuis deux ans, elles ont pu engager une poignée de couturières ", précise Marion. Mais ce pari du made in Europe n’était pas que le fruit d’une réflexion éthique. " Notre business model s’appuie sur un ancrage dans le présent. Orta, ce sont onze capsules par an (une par mois, sauf en août). Chaque mois, nous proposons dix nouveaux modèles de vêtements, la majorité en dessous de 100 euros. Pour maintenir ce rythme,nous devons pouvoir compter sur des ateliers particulièrement réactifs, capables de nous fournir des prototypes très rapidement et de les modifier s’y a lieu puis, lorsque la pièce est proposée sur notre e-shop, de répondre à nos demandes de réassort ".

Des liens étroits avec la communauté 

Le made in Europe d’Orta serait donc un outil stratégique, plutôt qu’un gage de qualité ?

" Il ne faut pas se mentir. Question qualité, certains ateliers chinois n’ont rien à envier aux Européens, mais ce qui fait la différence, c’est le niveau de suivi. Lorsque vous demandez cinq prototypes du même modèle de salopette avant de le valider, ce n’est possible qu’avec une usine proche du studio de création. Le nôtre est situé à Ixelles et emploie désormais dix personnes : modéliste, développeurs Web, responsables communication et réseaux sociaux... Ce circuit court nous permet d’avoir une longueur d’avance en matière de tendances (puisque rien n’est anticipé à plus de trois mois) et surtout, de créer une dynamique avec nos clients, précise Marion. Si j’ai un doute par rapport à un imprimé, je réalise un sondage auprès de notre communauté. Nos clientes sont très actives sur Instagram. Nous recevons en moyenne quatre messages personnels par jour. Elles nous racontent qu’elles portent telle ou telle pièce depuis un mois (et qu’elles en sont satisfaites), nous demandent de décliner un modèle dans une autre couleur ou, comme c’est le cas de la salopette Jules, notre best-seller du moment, en version courte pour l’été. Compte tenu de l’aspect très communautaire du label, nos clientes n’hésitent pas à nous faire part de leurs envies. Et comme nous publions des vidéos de nos usines, mais aussi de la vie du studio, elles ont l’impression de faire partie de la saga Orta. Gauthier ajoute que, si les clientes ne sont pas toujours au courant de l’approche éthique du label, c’est l’attractivité des pièces qui reste le premier argument de vente. Le made in Europe ne veut plus dire grand-chose. Il serait donc stupide de braquer l’attention des clients juste sur ce point ".

From Brussels with love 

Le studio design de la rue de Washington à Ixelles est rempli d’échantillons de tissu, de bouts de laine, de boutons, de galons en dentelle ou de liserés en velours... Autant d’inspirations commandées en un nombre d’exemplaires suffisants pour pouvoir être envoyés rapidement dans les ateliers français en vue du prototypage. " L’idée, c’est d’aller vite, mais sans perdre en qualité et en proposant le prix le plus juste. Si un chemisier est validé du pouce par la communauté (aussi impliquée dans le quotidien du label que si elle se trouvait physiquement dans le studio ou à l’usine), il faut pouvoir l’adapter rapidement, mais sans multiplier les surcoûts liés, par exemple, à des envois trop fréquents de matière première entre le studio et l’usine ", ajoute Gauthier. " Depuis le lancement de la marque, nous avons toujours tenté de viser juste en produisant à la demande. Nous ne jetons rien. Contrairement à certains de nos concurrents, nous n’organisons pas de pop-up ou de ventes éphémères. Mobiliser une petite équipe pendant trois jours n’est pas rentable. D’où l’importance de communiquer un maximum avec nos clientes via les réseaux sociaux ". Le prochain challenge du duo : grandir sans devoir repenser son modèle. Une gageure si l’on considère le manque de couturières qualifiées aptes à rejoindre les deux usines françaises, partenaires d’Orta. Si le présent du secteur textile prend clairement une dimension plus humaine et solidaire, son futur reste, à de nombreux égards, encore incertain.
 

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