Qui est Laurent Durieux, le dessinateur belge qui affole les cinéphiles ?

L’illustrateur belge est fan de musique et de B.D. Pourtant, c’est le cinéma qui a fait de lui un artiste prisé, dont les collectionneurs du monde entier s’arrachent les affiches alternatives. Parmi ses plus grands fans, on trouve Steven Spielberg et Francis Ford Coppola ! Rencontre à Bruxelles, dans son cabinet de curiosités.

Par Sigrid Descamps. Photo Thomas Preudhomme. Dessins: Laurent Durieux. |

L'illustrateur belge s’est fait un nom dans le monde du cinéma avec des affiches alternatives, dont celles – parmi les plus emblématiques - de La Piscine, Les Oiseaux, Le Silence des Agneaux, Shining, Les dents de la mer... mais aussi de plusieurs films de Francis Ford Coppola. Le réalisateur du Parrain est d’ailleurs l’un de ses plus grands fans, et dit de lui qu’il « a tout compris du cinéma et l’a synthétisé à merveille. (…) Tout son talent consiste à retranscrire les idées et les thèmes d’un film de façon à la fois totalement inattendue et pourtant complètement évidente. » (Préface de « Mirages, tout l’art de Laurent Durieux »). 

Adoubé par les plus grands, sans cesse sollicité, l’illustrateur fait toutefois preuve d’une rare humilité. Lui, ce qu’il aime, c’est dessiner, tout simplement… En se laissant guider par ses coups de cœur. Récemment, il a réaslié du festival du film d’animation d’Annecy, qui vient de s'achever. On a sauté sur l’occasion pour le rencontrer. Dans son bureau, un espace d’une douzaine de mètres carré avec son ordinateur, son matériel de dessin, des B.D., une platine, des vinyles (et d’autres encore, par centaines, qu’il nous révèlera ensuite, bien rangés derrière les portes de meubles vintage), des livres sur des dessinateurs et illustrateurs, des petites voitures anciennes, des bouteilles de vin de Francis Ford Coppola et, sur les murs, de nombreuses affiches… Tout son petit monde, son moodboard...

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, vous n’aviez jamais rêvé de réaliser des affiches de cinéma…
Le cinéma est arrivé dans ma vie par accident ! Ce que j’ai toujours aimé, c’est dessiner. Ca a toujours été mon plan A. Je n’étais pas doué à l’école dans les cours généraux, mais le dessin, je maîtrisais. J’ai mis toute mon énergie là-dedans, j’ai suivi des études artistiques à Saint-Luc, puis à la Cambre. J’aurais aimé être dessinateur de B.D., j’en ai un peu fait, mais au début des années nonante, il était déjà difficile d’en vivre. C’est un rêve auquel j’ai renoncé, mais sans douleur. Je travaillais alors comme graphiste et illustrateur pour des institutions, pour le monde de l’édition... Et j’ai failli mourir d’ennui : il y avait peu, voire pas de place pour la créativité et l’imaginaire. C’était un peu de ma faute aussi : je savais faire de tout et je ne faisais rien pour mettre en avant ma singularité. Et puis, contrairement à ce que l’on pense, la Belgique n’est pas un pays qui valorise ses illustrateurs, cela ne fait pas partie de notre culture. Donc, je faisais ce qu’on me commandait : un peu de tout, sauf de moi. Et là, j’ai eu un déclic : si je continuais comme cela, j’allais faire une dépression et je me suis remis à dessiner pour moi, à faire des choses que j’aimais, où je pouvais montrer ce que je pouvais réellement faire…

En vidéo, quelques anecdotes sur l'actrice belge Virginie Efira :

D’où les affiches de cinéma ?
(Rires) Non, pas encore, mais on y arrive. J’ai commencé avec des dessins pour moi, du rétro-futur… Je dessinais pour mon seul plaisir, persuadé que ça n’intéresserait personne. C’est lors d’une expo que quelqu’un m’a conseillé d’envoyer mes travaux dans des magazines spécialisés. J’avais tellement peu confiance en moi alors que je n’y avais même pas songé. J’ai alors envoyé mes dessins à la référence mondiale : le Lürzer’s Archive Magazine, un magazine spécialisé, distribué dans le monde entier, qui compile le meilleur de la création. Ils ont tout publié ! Mon objectif était de me faire remarquer par des agences de pub et de décrocher des contrats. Aucune agence ne m’a contacté. Par contre, un éditeur d’affiches américain l’a fait. Spécialisé dans les affiches de cinéma alternatives, il m’a demandé de travailler sur une affiche de Charlie Brown et Snoopy. C’est comme cela que la galerie Mondo a découvert mon travail et m’a contacté. Je ne la connaissais pas et quand j’ai découvert ce qu’ils faisaient, les artistes avec lesquels ils bossaient, je suis tombé de ma chaise, scotché par la qualité de ce qu’ils proposaient. J’ai tout de suite voulu travailler avec eux. Trois jours après, je recevais un mail et depuis, on travaille ensemble… En fait, je ne savais même pas qu’il existait des affiches de cinéma alternatives, c’est tout un monde que j’ai découvert. J’ai abordé les commandes de ces affiches comme tout autre travail sauf que cette fois, ça a matché. Mon style rétro, ma manière de raconter les histoires, d’exprimer tout un univers en le condensant dans une seule image, ça a provoqué un raz-de-marée sur lequel je me suis laissé porter.

Comment choisissez-vous vos sujets : la galerie vous commande des affiches ou lui soumettez-vous vos idées, vos envies ?
Un peu des deux, on travaille généralement avec leur liste de licences : ils signent des contrats avec des maisons de production et voient ensuite à quel artiste ils peuvent demander le travail. Et ils visent toujours juste. Les Américains sont les rois de l’image : ils ont créé la pub, le marketing… Ils savent lire des images, ils comprennent le travail d’illustrateur. Je me caractérise par mon dessin rétro, mon amour pour l’univers visuel des années 40, 50, mon approche de la lumière… Ils savent exactement quels films me proposer. Dans l’autre sens, il m’arrive de dessiner un projet autour d’un film et dans ce cas, je leur envoie et s’ils aiment, ils se mettent en quête de la licence.

Ensuite comment cela se passe-t-il ?
Je visionne me film deux fois, pas plus car cela voudrait dire que je n’ai pas accroché, ce qui est rare. Le but est de comprendre ce que le réalisateur a voulu raconter au-delà du premier degré. La première vision me permet de cerner l’histoire, de voir si le film me plaît.  Si c’est le cas, s’il m’intéresse, je me lance. La deuxième vision me permet de repérer certaines scènes, des détails, des objets, une lumière… sur lesquels je vais travailler, que je vais pouvoir condenser. Ma mission, c’est de trouver le bon angle, celui qui n’a pas encore été traité. Faire ce qui a déjà été fait n’a aucun intérêt. J’aime quand les gens me disent qu’ils n’avaient pas vu ceci ou cela dans un film et qu’ils l’ont découvert via mes affiches, qu’elles aient amené un autre éclairage. Parfois, c’est relativement « facile » car on me demande de travailler sur des films, dont les affiches n’étaient pas toujours réussies. Par contre, parfois, on me demande de m’attaquer à des chefs-d’œuvre comme « Les dents de la mer »  ou « Le silence des agneaux », et là, ça demande plus de boulot. C’est donc un challenge permanent, j’adore !

Combien de temps dédiez-vous à une affiche ?
Cela dépend. L’idée me vient souvent assez vite. Je commence par des croquis que je mets ensuite en couleur à l’ordinateur. Ca, ça me prend une après-midi. Une fois que l’on a les accords, je travaille dessus et cela me prend entre trois jours et trois mois, où je bosse de 9h à 19h, 21 h, 3 h du matin. Difficile de dire pourquoi je mets parfois autant de temps… Une affiche, c’est une addition de détails. Et moi, je vais à fond dans les détails ; quand je dessine quelque chose, j’aime aussi dessiner ce qu’il y a « derrière ». Dans le résultat final, c’est masqué, mais moi, j’ai besoin de savoir que c’est là. Luchino Visconti nourrissait cette même obsession pour ce que l’on ne voit pas mais qui est là quand même : sur le tournage du Guépard, il avait exigé que toutes les armoires, fermées, soient remplies de linge et vêtements d’époque, cela participait à l’atmosphère générale ! Eh bien, dans mes dessins, c’est pareil et donc, ça prend du temps.

Quel fut votre projet le plus compliqué ?
Il y en a eu plusieurs. Pour L'étrange créature du lac noir, j’avais imaginé le marais sous forme de carte géographique, ce qui a été bien ch… à réaliser (rires). J’ai eu du mal aussi avec l’affiche de La planète interdite, qui demandait un rendu de matière particulier, une multitude de petits traits... Celle de Labyrinthe fut laborieuse aussi, mais là, je n’avais pas vraiment accroché à l’univers du film, et j’ai eu du mal à trouver l’angle d’attaque… Les affiches qui ont été les plus difficiles ne sont cependant pas nécessairement mes préférées. C’est propre aux arts graphiques : on peut travailler énormément sur un projet et ne pas aimer complètement le résultat, comme on peut travailler simplement sur ce qui sera un chef-d’œuvre. Bon, en même temps, c’est rarement simple. Si on se met à travailler facilement, en mode automatique, c’est qu’on a perdu l’appétit.

A contrario, quelles sont celles dont vous êtes particulièrement fiers ?
Il y a celle de Waiting for Julien, qui était à l’origine une demande d’une maison de disques qui voulait que je revisite Ascenseur pour l’échafaud car elle voulait rééditer la B.O. de Miles Davis. Sauf qu’elle n’avait pas les droits, donc j’ai conservé l’idée, mais ça ne porte pas le nom du film. Et puis, il y a celle du Géant de fer, une des premières que j’ai faites. Et celle de Bambi, un de mes films préférés. C’est dur de choisir en fait car dans chaque affiche, et là j’en ai fait plus de 200, je mets tellement de moi, que je ne lâche jamais rien et je vais chaque fois jusqu’au bout de mon idée.

Vos affiches, dès qu’elles sont mises en vente, partent en quelques heures. Comment vivez-vous ce succès ?
Je travaille avec Mondo depuis 2011, les gens ont eu le temps de s’accrocher à mon esthétique, mon univers. Comme je ne lâche rien, les gens qui me suivent savent qu’ils ne seront pas déçus du résultat. Je suis par ailleurs plein de respect pour ces gens qui s’intéressent à mon boulot, qui sont conscients ce que j’ai mis dedans. Et puis, mes œuvres sont vendues à prix très abordables, on démarre avec Mondo autour de 65, 85 dollars. Du coup, énormément de gens y ont accès.

On en retrouve toutefois dans certaines galeries à plusieurs milliers d’euros…
Comme mes affiches sont recherchées, elles se revendent successivement et les prix grimpent. L’art contemporain est devenu inabordable, sauf la sérigraphie, qui est très accessible et peut prendre de la valeur très vite et très fort. Personnellement, je ne touche rien sur ces ventes ultérieures, mais je suis content car c’est une valorisation de l’amour et de l’énergie que j’ai mis dedans.

Qui sont vos fans ?
Il y a de tout. J’ai rencontré comme cela un jour un vieux monsieur, qui possédait toutes mes affiches. Sa maison en était remplie. Je sais que certains collectionneurs américains ont toutes les affiches en plusieurs exemplaires. Il y a aussi des cinéastes français et belges, qui aiment beaucoup ce que je fais, comme Fabrice DuWelz, pour qui j’ai réalisé l’affiche du film Adoration.

Vous bossez de plus en plus pour les cinéastes belges ?
Oui, et j’en suis fier. L’une de mes plus belles collaborations dans le cinéma belge, ce fut avec Jan Bucquoy sur La Dernière Tentation des Belges. Le film est bricoleux, mais avec de l’âme, du fond… Il a grandi en moi. J’ai appris que Alice on the Roof l’aimait beaucoup et ça m’a fait plaisir car elle est extra dans ce film. Avant cela, j’ai aussi fait l’affiche de Music Hole, une espère de Pulp Fiction à la sauce belge, assez drôle. Mais j’aime le cinéma belge. Je suis proche de Jaco Van Dormael par exemple et là, je viens de revisiter Bullhead de Mikael Roskam.

Quid de Francis Ford Coppola ?
On m’en parle souvent (rires). Ce métier me permet des rencontrer des gens de son calibre. Il avait découvert mon travail sur Jaws et a voulu travailler avec moi ; j’ai d’abord revisité l’affiche du Parrain et il a adoré. Il a voulu mettre certaines de mes affiches sur les étiquettes de ses bouteilles de vin, puis il m’a demandé de refaire l’affiche d’Apocalypse Now pour la ressortie du film en blu-ray. Ce qui est drôle, c’est que je ne suis pas un fan de cinéma, quand on se voit, on parle d’art, de vin, de politique, jamais de ses films. Cela surprend toujours mes amis fans de cinéma qui eux, m’avouent qu’ils ne sauraient pas quoi lui dire. Moi, je garde la tête froide, j’ai des rapports tout à faits normaux avec lui, bien que j’aime son cinéma. Je pense que ce serait différent par contre si je rencontrais Paul Simon, Paul McCartney ou Joni Mitchell !

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