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À l’occasion de l’exposition AutoPhoto, la Fondation Cartier édite un ouvrage de luxe qui érige la voiture au rang d’œuvre d’art, tantôt graphique, tantôt onirique… La voiture, une œuvre d’art ? Il n’y a pas que les férus de bagnoles qui le pensent.

par Ingrid Van Langhendonck. Photos DR. |

Au tournant du 20e siècle, la voiture envahit le quotidien. Elle incarne tout ce que l’on attend du progrès et de l’ère industrielle. C’est un incroyable sentiment de liberté qui envahit les premiers propriétaires de ce véhicule individuel. Vécu comme une véritable révolution, il bouleversera jusqu’à notre conception du temps et de l’espace, ne serait-ce que par son influence sur le paysage urbain. Mais il n’y a pas que la technologie qui impressionne.

Dès les débuts de l’automobile, son esthétique, aussi, fascine. Sa forme, ses lignes, mais également le mouvement qu’elle induit. Artistes et photographes explorent ce sujet neuf, ce moyen inédit de parcourir le monde, le transformant en un nouveau vecteur d’expression. Incroyable rencontre que celle de la photographie, qui fige dans l’immobilité, et de la voiture,
outil de vitesse et de mobilité.

C’est ce lien privilégiée entre deux inventions technologiques qui ont, chacune, bouleversé et singulièrement modifié les rythmes de nos vies, que la Fondation Cartier a décidé d’explorer à la fois dans son expo parisienne AutoPhoto et l’ouvrage qui l’accompagne. Soit 600 clichés de plus de nonante photographes dont plusieurs grands noms du 20e siècle comme Jacques Henri Lartigue, William Eggleston, Lee Friedlander ou Andreas Gursky. Esthétiques, sociales, industrielles ou environnementales : toutes les facettes de l’automobile sont abordées dans ce beau livre, qui pose des questions, pose le regard et se pose, surtout, en véritable outil de contemplation.

L'auto architecte

Dès sa diffusion, la voiture modifie les paysages, où les routes sont autant de droites et de courbes sinueuses. La circulation, son brouhaha et son chaos bouleversent les villes. Ces phénomènes sont autant de sources d’inspiration pour les artistes. Jacques Henri Lartigue et Robert Doisneau comptent parmi les premiers photographes à vouloir capturer ce nouveau frisson. La vitesse automobile, le spectacle des phares dans la nuit, tous témoignent d’une société en pleine mutation, fière de sa nouvelle modernité.

L'auto témoin

Dans la seconde partie du 20e siècle apparaissent les premiers portraits de voitures, comme les photographies de Yasuhiro Ishimoto et de Langdon Clay, qui capturent des voitures, tantôt dans des rues désertes, tantôt dans des rues enneigées… Plus loin, les œuvres des photographes africains Seydou Keïta et Sory Sanlé montrent de fiers propriétaires posant le torse bombé devant leurs voitures. Toutes ces prises de vues plongent le spectateur dans des époques et des atmosphères très différentes, mais on y décèle partout une caractéristique fondamentale : la voiture comme incontestable emblème de réussite sociale.

L'auto révolution

La culture automobile, c’est aussi une industrie bouillonnante, des machines, une construction à la chaîne qui fascine car elle s’apparente finalement, elle aussi, à un processus de création. Robert Doisneau sera le premier à s’intéresser à la vie des usines automobiles. Voyez sa série sur l’usine Renault de Boulogne-Billancourt des années 30, ou celle de Robert Frank dans les années 50, au sein de l’usine Ford à Red River. Plus tard, les photographes contemporains, comme Stéphane Couturier, avec la série réalisée à l’usine Toyota de Valenciennes, donnent aussi à l’usine automobile des allures désincarnées aux lignes purement graphiques.

L'auto road trip

D'autres photographes se laissent emporter par cette promesse de liberté. Ils s’élancent sur les routes du monde et capturent ce que leur offre le voyage. À l’image de Nicolas Bouvier qui, dans les années 50, traverse l’Asie en voiture, immortalisant les décors et les minutes de son périple. Ce sont les premiers road trips photographiques. C’est aussi un travail sur le cadrage, sur le rendu du mouvement ou sur le point de vue qu’offre le pare-brise d’une voiture, comme un écran vers une nouvelle réalité.

L'auto sociétale

Vers la fin du siècle apparaissent les premiers clichés dénonçant les dommages causés à l’environnement par l’industrie automobile, mais également certains reportages révélant la beauté sculpturale, inattendue, bien que dramatique, des sites de déchets industriels.

Des photographes comme Jacqueline Hassink vont même jusqu’à s’interroger sur le statut et l’utilisation des femmes dans les salons automobiles. L’image de la voiture se ternit, ses belles promesses s’envolent en partie. Aujourd’hui, au-delà des enjeux écologiques, industriels et de mobilité, elle reste pourtant un objet essentiel de nos quotidiens. Qu’elle agace ou qu’elle fascine, elle marque son époque et nos histoires personnelles.