Ils ont des abeilles sur leur toit

De plus en plus d’entreprises installent des ruchers sur leur toit. Objectif officiel : sensibiliser clients et employés aux enjeux de la biodiversité. Mais l’initiative est “win-win” puisqu’en échange, les abeilles mesurent même la qualité de l’air.

PAR ELODIE DEVILLERS AVEC D.B. PHOTOS D.R. |

Des boîtes noires disséminées sur le toit, un homme revêtu d’une vareuse et d’un chapeau d’apiculteur : vous ne rêvez pas, il y a bien des ruchers chez Caméléon, en pleine commune de Woluwe-Saint-Lambert, à Bruxelles. Cette célèbre enseigne de revente de vêtements de marques a choisi d’accueillir des abeilles sur les quelque 2000 m2 de toiture végétale installée sur son éco-bâtiment. Un projet qui date de 2013.

Si le miel produit est partiellement vendu en magasin, il ne constitue pas la motivation première de l’initiative. Nous nous sommes lancés par réelle conviction environnementale, argumente Bruno Pfalzgraf, Managing Director de Caméléon. Michaël van Cutsem est partner chez Beeodiversity, une entreprise spécialisée dans la gestion globale de projets axés sur la préservation de la biodiversité, grâce aux insectes pollinisateurs. Selon lui, installer des ruches en ville n’est pas vraiment nouveau. Mais de plus en plus d’entreprises se lancent dans ce type de projet. Cela fait souvent partie de leur stratégie de “Corporate Social Responsibility” (CSR). L’abeille est en effet un vecteur idéal pour sensibiliser le personnel, les fournisseurs, la clientèle, à l’environnement. 

En 2008, le directeur du département développement durable de Tractebel Engie avait également installé une ruche sur le toit de l’entreprise. L’idée est née à l’occasion de la journée de la biodiversité. J’avais vu des reportages sur le sujet et cela m’avait semblé une bonne idée, explique Tony Moens de Hase, CSR and Environmental manager chez Tractebel. D’autant qu’un de nos cadres est apiculteur depuis une trentaine d’années et qu’il a pu nous épauler dans le projet. Celui-ci a en tout cas suscité un vif engouement. Dans la foulée, certains employés se sont d’ailleurs inscrits à des cours d’apiculture. Mais sa mise en place n’a pas été sans mal : comme l’accès au sommet de son immeuble n’était pas aisé, Tractebel a attendu qu’une entreprise voisine développe sur son toit son propre projet de rucher pour créer un partenariat avec elle et y déposer le sien. 

Quatre milliards par an

Hormis certaines contraintes techniques de ce genre, les firmes font parfois également face aux réticences des employés — notamment les personnes allergiques — qui craignent cette proximité avec les ruches. Les abeilles demeurent en effet des insectes sauvages ! Nous avons expressément choisi une espèce réputée peu agressive, explique Roxane Decraemer, Marketing Specialist chez AG Real Estate, qui a installé des ruches dans six différents sites du groupe depuis 2015. Et les risques sont faibles lorsque l’on gère le projet avec un apiculteur professionnel. Il y a bien entendu celui du choc anaphylactique pour les personnes allergiques ou le risque d’essaimage, c’est-à-dire la fuite d’un essaim. Mais nous tenons à notre objectif : offrir un gîte favorable au développement des abeilles en ville, et aider à rappeler au public l’importance des insectes pollinisateurs pour la biodiversité. 

Reste que n’installe pas une ruche qui veut. Il faut que le biotope soit adéquat. Une colonie est active dans un rayon de 1,5 km en moyenne, et visite quelque quatre milliards de fleurs par an. Sans cette masse florale critique, impossible que la ruche survive. Et puis il faut aussi s’assurer de la qualité de l’air. D’aucuns estiment que les abeilles se portent mieux en milieu urbain qu’à la campagne car elles y seraient à l’abri des pesticides. Cette croyance est toutefois à nuancer ! La pollution et le manque de biodiversité propres aux grandes villes peuvent aussi freiner leur développement. Raison pour laquelle Beeodiversity a été mandatée par des entreprises bruxelloises pour réaliser une étude basée sur l’analyse de l’air.

Elle a installé onze ruches dans autant d’endroits stratégiques de la capitale. Nous y avons contrôlé la présence de 500 substances, des pesticides, des métaux lourds de type plomb et arsenic, ainsi que la biodiversité. Comme les abeilles couvrent une superficie de 700 hectares, leur miel et le pollen sont de formidables indicateurs de la qualité de l’environnement, explique Michaël van Cutsem. 

Vigiles de l'air

Des entreprises comme Spa emploient déjà cette méthode afin de contrôler la qualité de l’air autour des sources et, in fine la qualité de l’eau, grâce à ces farouches butineuses. Les abeilles, vigiles de notre santé... Certaines associations d’apiculteurs n’apprécient pas forcément, estimant que l’intérêt des entreprises pour ces insectes relève davantage de l’exploitation marketing et publicitaire que d’un réel engagement environnemental. Il y a peu de greenwashing dans cette démarche, conteste le gérant de Beeodiversity.

Il s’agit d’une vraie volonté d’agir et de sensibiliser. Cette tendance devrait donc perdurer. Pas seulement avec les ruches, mais aussi au travers de l’installation de potagers urbains sur les toits, par exemple. Ramener la nature en ville ? Un enjeu d’importance, autour duquel tout le monde peut se mobiliser, qu’importe la taille, qu’importent les motivations...