Une heure avec Jérémie Renier

Acteur, réalisateur, il est l’une des figures de proue du cinéma belge. Mais s’il consacre une grande partie de son temps à son métier, il en réserve aussi à ses activités d’entrepreneur et surtout, à sa famille.

PAR SIGRID DESCAMPS. PHOTOS : INGRID OTTO SAUF MENTIONS CONTRAIRES. MAKE-UP ARTISTE : NUNZIA INCORONATO |

Rendez-vous est pris un après-midi d’hiver, au Café Léopold, non loin du Cinquantenaire. Jérémie arrive avec quelques minutes de retard, confus mais souriant. "Je suis désolée, j’attendais ma mère qui venait baby-sitter ma fille." La naissance d’Elisha – "Ma première fille" lance-t-il fièrement, lui qui est déjà papa de deux garçons de 13 et 18 ans – aura été l’un des événements clés de 2018.

Une année charnière marquée aussi par la sortie de Carnivores, le premier long-métrage qu’il a coécrit et coréalisé avec son (demi-)frère Yannick, salué par la critique mais injustement oublié aux Magritte. Qu’importe les prix, l’expérience demeure intense pour Jérémie : "Faire ce film avec Yannick était une évidence. À deux, nous sommes plus forts. Nous avons tout fait à quatre mains, comme un monstre à deux têtes."

Sorti au printemps, le film a renforcé plus encore les liens fraternels. De là à déjà imaginer un second film, il n’y a qu’un pas. "L’envie est là. J’ai aimé toutes les étapes. Sur le plateau, j’ai vraiment eu le sentiment d’être à ma place, comme la cristallisation d’une envie qui était là depuis toujours. Tout ce qui touchait à la technique aurait pu me sembler étranger, mais en fait, tout m’était familier, coulait de source... Je me suis senti bien tout de suite. Donc oui, j’ai envie de réitérer l’expérience, à nouveau avec Yannick, mais il nous faut trouver le bon sujet, et surtout, du temps, beaucoup de temps. Car celui que l’on consacre à un film bouffe tout le reste." Or, “le reste” pour Jérémie, ça compte... et cela demande une sacrée gestion !

Du temps pour les siens

Dans L’Ordre des médecins, sorti ce 23 janvier, Jérémie incarne un pneumologue dévoué à son métier, jusqu’à en délaisser sa famille. Une dérive que l’acteur tente d’éviter. "Ouf ! J’ai cru d’abord que vous alliez me balancer “Comme vous, quoi” !", lance-t-il en riant. "Le métier d’acteur est particulier dans la mesure où il y a des moments où je suis complètement pris par ça, d’autres, où je ne tourne pas et je suis alors totalement disponible pour les miens."

"Après L’Ordre des médecins, il y a eu le tournage de Frankie d’Ira Sachs, avec Isabelle Huppert. J’y joue son fils, et elle, une actrice, avec qui il a des rapports conflictuels car, à cause de son métier, ils se sont très peu vus. Je me suis demandé si j’étais moi-même assez présent pour mes enfants. J’ai donc eu une grande discussion avec eux, surtout avec mon fils cadet. J’ai voulu savoir s’il souffrait de mes absences. Il m’a avoué qu’il avait parfois eu du mal à certains moments de sa vie, mais qu’il comprenait que cela fasse partie de mon métier. Le fait d’en parler, d’en prendre conscience, c’est déjà important, pour lui, pour moi, pour nous tous."

"Ma famille, c’est ce qui compte le plus à mes yeux. J’essaie de bien faire la part des choses. Je ne sais pas si j’y arrive. Il faudra poser la question à mes enfants dans une dizaine d’années, quand ils auront passé plusieurs heures chez le psy !" (rires).

Et quand il parle de “famille”, cela ne se limite évidemment pas à ses enfants. "Quand on est acteur, on est amené à vivre des choses que l’on n’a pas encore vécues, voire que l’on ne vivra jamais. Dans L’Ordre des médecins, mon personnage est confronté à la mort d’un de ses parents. Ça m’a touché, j’ai pas mal projeté, j’ai du mal à concevoir le fait que mes parents meurent un jour car ils ont toujours été là pour moi." Des parents présents, qui ne l’ont pas influencé dans son choix de carrière. "Ils sont tous les deux ostéopathes. Ma sœur a suivi des études de médecine. Moi, le milieu médical ne m’a jamais vraiment attiré. J’ai arrêté l’école tôt. Le cinéma m’a happé très jeune..."

Le temps des voyages 

Révélé par les frères Dardenne à 15 ans dans La Promesse, il ne quittera plus les plateaux ensuite... Un métier qui lui a permis de s’affirmer, mais aussi de s’adonner à d’autres passions et, au final, de concrétiser d’autres rêves. 

"J’ai eu la chance de pouvoir voyager beaucoup, très vite, très jeune, grâce aux tournages, à la promotion, à l’argent gagné aussi... J’ai eu cette liberté de pouvoir découvrir des tas de choses ailleurs. Or, depuis que je suis gamin, j’ai toujours rêvé d’avoir un lieu à moi, un bar, un club ou un restaurant. J’ai aussi toujours aimé la nuit, sortir... À l’étranger, j’ai toujours aimé aller à la découverte de lieux insolites, notamment ceux dédiés à la vie nocturne. Or, quand je revenais à Bruxelles, je me disais souvent “Tiens, il manque un truc comme ça ici”. J’ai donc eu envie de créer des lieux qui me plaisent, où j’aurais envie d’aller. Et comme j’aime ma ville, j’ai eu envie d’y partager ce que je découvrais ailleurs, d’y créer des lieux qui n’existaient pas." C’est comme cela que sont nés le Jalousy et le Vertigo.

Le premier, sis dans le quartier du Sablon, est un cocktail bar et club privé, dont les portes ne s’ouvrent que sur délivrance d’un mot de passé envoyé aux membres chaque week-end. Le second, installé dans l’une des plus vieilles maisons de la capitale, au cœur des Marolles, est à la fois bar à cocktails et restaurant bistronomique, ouvert à tous, 7 jours sur 7. 

"C’est un autre métier qui me confronte à d’autres enjeux que ceux du cinéma. Mais j’aime ça. Mon temps est pris par pas mal de choses en dehors du métier d’acteur. J’adore passer de l’une à l’autre. Que l’une me donne des idées pour l’autre. Tous ces univers se nourrissent mutuellement."

Le temps à gérer

Autre univers, autre projet, plus ambitieux encore : un hôtel à Valence.

"J’ai découvert Valence il y a quelques années et j’y vais régulièrement. C’est une ville en pleine expansion, mais où je trouvais qu’il manquait de chouettes logements. Ma femme - qui est designer d’intérieur - pensait, elle aussi, depuis longtemps à un projet d’hôtel. C’est conceptuel, un peu fou. On espère ouvrir les portes d’ici 2020." En attendant, Jérémie partage son temps entre Valence, Bruxelles et Paris. 

"Chacune occupe une place à part. A Valence par exemple, le cinéma n’a pas sa place. Le boulot, c’est à Paris. Et à Bruxelles, mais différemment. Bruxelles reste surtout “ma” ville, j’y suis domicilié, c’est là que vit ma famille. J’aime y être aujourd’hui et me dire que demain, je serai en Espagne, sous le soleil..."

"Je tourne vite en rond quand je reste quelque part ; j’aime bouger, aller d’une ville à l’autre, d’un univers à l’autre encore une fois. Bon, cela demande une bonne compagnie aérienne ; je viens d’ailleurs d’en acheter une (rires). Non, je plaisante. En fait, ça demande une sacrée logistique et un bon agenda... Hum, c’est peut-être pour ça que je suis toujours en retard partout (rires)."

"Heureusement, il y a aussi la technologie. Je ne suis pas du tout geek, j’ai un vieil iPhone, je ne vais pas sur les réseaux sociaux. Par contre j’utilise beaucoup le téléphone, Skype, les mails... Parfois trop à mon goût. Cela devient difficile de se déconnecter, or c’est nécessaire ! Mais surtout, j’ai la chance d’avoir à mes côtés une femme merveilleuse qui peut travailler partout, et mes enfants. Tout un petit monde qui bouge, qui grandit, pour lequel je m’organise au mieux !"

Du temps pour lui

Avec toutes ses activités, Jérémie Renier a-t-il encore le temps de s’occuper de lui, d’autant que la quarantaine approche ? "Ah mais c’est horrible de dire ça", réagit-il en feignant de vomir. "Beurk, parlons plutôt de fin de trentaine, c’est plus joli non ?" (Rires). "Plus sérieusement, je me fous du temps qui passe. Quand je regarde ma filmographie, je me rends compte que j’ai traversé pas mal d’étapes. Il y a des choses géniales que je faisais à 17 ans, spontanément, que je ne faisais plus et que là, j’ai envie de refaire. Comme bosser avec un réalisateur simplement parce que, humainement, je le trouve intéressant. Mais peut-être que dans deux ans, j’aurai d’autres envies encore. Ça évolue sans cesse, c’est ça qui est gai. Franchement, à part la peur de perdre mes cheveux, vieillir ne me hante pas. Je sais que je devrais faire plus attention à ma peau. Les maquilleuses me le répètent sur les plateaux et elles me filent chaque fois des crèmes. Parfois j’y pense, mais souvent, je zappe."

Puisqu’on parle de physique, comment s’entretient-il ? "Je ne suis pas de régime particulier et je ne suis accro à aucun sport. Je pratique du yoga, de la méditation, mais ce n’est pas régulier. Là encore, je dois trouver le temps. Je m’adapte aussi aux besoins du métier. Mon corps est mon outil de travail. Parfois, un rôle demande que je sois plus maigre, parfois le contraire. Là, je vais jouer un coach de ski alpin, sec, un peu rustre, ça va me demander une adaptation."

Et son look, l’adapte-il aussi au gré des envies ou des exigences du métier. "Là aussi, cela dépend du rôle, des réalisateurs. Parfois, cela se confond. Le look du personnage dans L’Ordre des médecins pourrait être le mien. Ses tatouages par exemple, ce sont les miens. J’en ai plusieurs qui ont tous une signification."

"Côté fringues, aujourd’hui, je porte du American Vintage. Une marque que j’ai découverte sur un tournage et que j’ai adoptée dans la vie de tous les jours. Mais je ne peux pas dire que j’ai un style défini. Je peux être très chic un jour, porter un training le dimanche ou partir carrément en couilles : enfiler une chemise à fleurs ou... piquer le pull blanc de mon attaché de presse!" Celui-ci nous fait d’ailleurs signe qu’il est temps de se dire au revoir, Jérémie ayant d’autres interviews à donner. On se salue et l’on se donne rendez-vous à une prochaine fois, sans doute un prochain film. Tout dépendra... de son agenda!

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