Allergie ou intolérance : comment les chefs belges adaptent leur menu

Prenez une table lambda. Ajoutez un allergique aux fruits de mer, un intolérant au lactose, un adepte du régime sans gluten... et vous obtenez le nouveau casse-tête des chefs.

PAR LAURA SWYSEN. PHOTOS PEXELS SAUF MENTIONS CONTRAIRES. |

Il est révolu le temps où les gourmets intolérants au lactose, au gluten ou souffrant d’une quelconque allergie alimentaire devaient fuir les sorties restaurant par peur de gonfler comme Marge Dursley, la tante de Harry Potter. Aujourd’hui, les chefs abordent ouvertement le sujet et tentent, tant bien que mal, de répondre aux demandes de leurs clients.

Pas d’ail, de crustacés, de fruits secs, de lactose, de gluten... Ils doivent redoubler de créativité pour composer un nouveau menu selon les allergies et intolérances de leurs invités du jour, parfois en plein coup de feu. Il ne se passe presque plus un service sans une adaptation pour cause d’allergie, constate Marie Trignon, la cheffe de la Roseraie, à Modave. Pour faire face à ce changement, la cheffe de cet établissement gastronomique familial a mis en place un protocole bien particulier. Nous avons la chance d’avoir de nombreuses réservations de longue date. Nous contactons les convives une semaine avant leur venue afin de confirmer leur présence et de connaître leurs allergies ou intolérances éventuelles en fonction du menu que nous proposons.

Notre équipe de salle pose également à nouveau la question à table, et vu que nous préparons tout sur place, à la minute, nous pouvons facilement nous adapter. Le maître d’hôtel vient me voir fréquemment en cuisine afin de s’assurer que j’ai toutes les infos en tête quand j’envoie les plats. Il est essentiel d’avoir une bonne communication entre la salle et la cuisine.

En vidéo, l'ex-candidat de Top Chef Paul Delrez nous livre sa recette du bonheur :

Un menu à la carte

La flexibilité fait aussi partie des fondements de Menssa, le nouvel établissement de Christophe Hardiquest. La décoration a été pensée afin de favoriser les échanges avec le chef,son équipe et ses clients. Installés autour d’une grande table qui serpente dans la grande salle, qui accueillait autrefois le restaurant Bon Bon, les clients communiquent directement avec l’équipe et observent le dressage de leurs assiettes. Le chef prend le temps d’accueillir chaque client afin de le questionner sur d’éventuelles allergies. Il repense ensuite sa recette et prépare, à la minute, un plat correspondant aux besoins de ses invités du soir. L’expression “à la carte” n’a jamais sonné aussi juste.

Est-ce que les allergies ont modifié ma façon de travailler ? Bien sûr ! Nous élaborons des desserts sans lactose, du pain sans gluten... Nous réfléchissons à deux fois quand nous créons de nouvelles recettes, explique le chef. En me rendant chez mon médecin, j’ai découvert que j’étais moi-même intolérant au lactose. Je dois réfléchir différemment, manger différemment. Je goûte encore mes plats, mais je dois faire attention. Pour moi, les allergies sont le reflet de la santé de la société et de la planète. Il est grand temps d’en prendre conscience et de se positionner.

Chasser le croisé

Pour garantir une cuisine adaptée à tous les estomacs, les chefs doivent respecter plusieurs règles comme communiquer la présence d’allergènes dans leurs plats (ce qui implique de connaître parfaitement l’origine et la composition des ingrédients utilisés) ou encore mettre en place une série de mesures afin d’éviter une contamination croisée – soit la présence accidentelle d’allergènes, qui peut être le résultat d’un mauvais nettoyage ou d’un stockage inadapté. L’AFSCA organise régulièrement des contrôles dans le secteur de la grande distribution, mais aussi dans l’horeca. En 2022, seuls 55,8 % des contrôles menés par l’AFSCA dans ce secteur (restaurants, friteries, pita houses...) étaient favorables.  Parmi les erreurs les plus fréquentes, on retrouve l’absence d’informations claires sur les allergènes. Or, selon une directive européenne, les restaurateurs ont pour obligation de fournir des informations relatives aux 14 allergènes principaux.

Allergie ou aversion ?

Depuis trois décennies, le nombre d’allergies et d’intolérances alimentaires est en augmentation dans les pays dits développés. Plusieurs hypothèses sont avancées comme l’évolution de notre alimentation, de notre environnement ou encore de notre mode de vie. Ainsi, les partisans de la théorie hygiéniste estiment que l’absence de confrontation avec des bactéries et autres agents infectieux modifie notre système immunitaire qui est moins exposé, ce qui favoriserait les réponses de type allergique. Depuis vingt ans, il y a une augmentation des allergies de manière générale et des allergies alimentaires notamment, confirme Maud Deschampheleire, pneumologue et allergologue à l’hôpital de la Citadelle, à Liège. Ces allergies peuvent varier d’un patient à l‘autre, les listes d’allergènes les plus fréquemment impliqués diffèrent notamment en fonction de l’âge du patient. Par exemple, selon les statistiques disponibles, l’enfant est plus souvent allergique au blanc d’œuf, au lait de vache et aux arachides alors que les adultes sont plus souvent allergiques aux fruits secs et aux crustacés. Nous constatons chez l’adulte une augmentation des allergies croisées avec les pollens. Les patients atteints d’une allergie au bouleau vont, par exemple, reconnaître les protéines PR10 qui sont également présentes dans les fruits et développer une réaction allergique, poursuit la docteure.

Cependant, si les allergies alimentaires et intolérances sont en augmentation, il faut aussi signaler que les clients utilisent parfois ce prétexte pour zapper certains aliments de leurs assiettes. Je constate qu’il y a une peur de certains aliments. Les clients utilisent parfois l’excuse de l’allergie afin d’éviter un ingrédient qu’ils appréhendent comme le pigeon ou le ris de veau. Certains se disent intolérants au lactose, sauf quand il s’agit de crème glacée maison, confie Marie Trignon. Les gens ont tendance de manière générale à surestimer les allergies alimentaires.

Si on reprend les statistiques européennes (EAACI) 6 % de la population penserait être allergique, or quand on effectue des tests spécifiques, les chiffres tournent plutôt autour des 2 % de vraies allergies alimentaires. Le problème, c’est que le restaurateur ne peut pas deviner qui est réellement allergique ou non et doit tenir compte des consignes données par le client... Il est d’ailleurs essentiel que le patient soit bilanté afin d’identifier les risques, de connaître les aliments auxquels il est allergique et à quel dosage. Il faut éduquer le patient à reconnaître ses allergènes, mais aussi à avoir une trousse de secours et à savoir s’en servir. Des protocoles d’induction de tolérance sont en outre développés en centres spécialisés chez l’enfant pour certains allergènes, mais il est primordial que ceux-ci soient pris en charge au plus tôt, complète la docteure Maud Deschampheleire.

Allergie ou intolérance ?

On parle d’allergie alimentaire quand le système immunitaire développe une réaction allergique suite à l’ingestion d’un allergène. Cela se traduit par des mécanismes immunologiques qui vont donner différents types de symptômes comme des angio-œdèmes, de l’urticaire, de l’asthme, des douleurs abdominales... L’intolérance alimentaire n’implique pas une réaction allergique du système immunitaire. Pour digérer le lactose, le corps dispose d’enzymes particulières. Mais certaines personnes ont une insuffisance de ces enzymes, ce qui peut perturber la digestion.

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