David Bruce : le destin fou d'un graffeur devenu artiste à part entière pour Nike

Sa récente collaboration avec Nike n’est pas montée à la tête de cet artiste français David Bruce, tombé dans l’univers du graffiti quand il était adolescent. Nous l’avons rencontré à Liège, où il est installé depuis quatre ans. L’occasion de parler avec lui de basket, de train et aussi, un peu de mode.

Par Marie Honnay |

Pendant ses années au collège, David Bruce était basketteur. Quand il prenait le train, à une vingtaine de kilomètres de Paris, pour aller jouer dans des villes voisines, il fantasmait sur les trains et les quais de gare couverts de graffiti. Une révélation. C’était les années 90. Ma bande de copains et moi, on portait les mêmes vêtements et les mêmes baskets Nike et Jordan. Mon univers artistique est ancré dans ces codes-là. J’aime dire que mes sujets sont volontairement simplistes : des ballons de basket, des logos Nike dessinés à la hâte, un requin (celui des Dents de la mer), des fruits surdimensionnés... Quand j’ai commencé à bomber, je me suis tout de suite intéressé aux trains, une discipline à part entière dans l’univers du graffiti. Notre manière de travailler est centrée sur le mouvement, mais aussi sur l’attente. Pour trouver les accès vers les trains et les tunnels, il faut se déplacer, bouger sans cesse...

D’un autre côté, quand l’œuvre est finie, on peut passer des heures à attendre que le train sorte du tunnel. Juste pour l’entrevoir. Ce moment-là fait partie du jeu. L’excitation du graffeur, explique l’artiste de 45 ans qui, en 2008, est passé un peu par hasard du graffiti à la peinture en atelier. J’ai participé à un projet de peinture sur toile qui s’est vendu aux enchères pour une œuvre de charité. Elle est partie à 9 000 €. J’imagine que ça m’a donné confiance. Entre les tribus de graffeurs solidaires et la solitude d’un atelier, le contraste est frappant. J’ai eu la chance de ne pas attendre de reconnaissance immédiate de ma peinture. J’ai peint parce que j’en avais envie. Quand je travaille dans mon atelier, je ne demande l’avis de personne.

Autour de lui, on aperçoit des œuvres à moitié finies, mais aussi de petits morceaux d’enfance : Les robots et les petites voitures que vous voyez sur les étagères sont ceux qu’on retrouve dans mes peintures. L’artiste nous montre ensuite une bombe. Une simple bombe de peinture, à son nom : Dans l’univers du graffiti, on ne bénéficie d’aucune reconnaissance. Quand Montana Black, la marque de peinture allemande culte des graffeurs, m’a proposé de customiser une bombe, j’ai pris ça comme un vrai cadeau. Dans ce milieu, tout est direct et surtout accessible. Cette bombe ne s’est pas vendue plus chère qu’une autre. Certains l’ont achetée en tant que collector. D’autres pour peindre avec, tout simplement.

Après Berlin, Liège 

Doux, nonchalant en apparence, mais ultra-déterminé, l’artiste est arrivé à Liège après avoir vécu six ans à Berlin : J’y étais au bon moment, quand les ateliers étaient encore abordables par rapport à Paris et qu’on y sentait une vraie émulation. Quand on faisait une expo, on ne vendait pas beaucoup, mais plein d’artistes venaient au vernissage. Liège, j’y suis arrivé par hasard, en discutant avec un ami. Il m’a parlé de cette ville, que j’avais déjà visitée, mais en coup de vent. Un artiste m’a proposé son appart’. J’ai mis mon clignotant à droite et je suis sorti de l’autoroute à Liège. Voilà !

La Belgique, David Bruce la voit comme un point de départ : C’est un pays très central. On est près de tout. Je peux faire l’aller-retour sur une journée pour voir une expo à Paris. Les Belges sont très attachés à leurs villes. Ils bougent peu. Les Liégeois se déplacent rarement à Bruxelles et vice versa, s’amuse-t-il.

Dans l’atelier de David Bruce, de grandes toiles trahissent ses inspirations actuelles. À côté des fruits XL aux couleurs pop, on découvre quelques grands vases, clins d’œil à sa nouvelle passion pour la céramique. J’aime représenter sur toile les vases en terre que je décore de ballons de basket. La 2D répond à la 3D. Ce dialogue m’amuse. Il me faut très longtemps avant de me décider à intégrer de nouveaux éléments dans mes peintures. Depuis que je suis en Belgique, je dessine des gouttes de pluie (il rit). Là encore, de grosses gouttes très enfantines, en phase avec mon besoin de simplicité. Quant au choix de l’artiste d’utiliser des couleurs vibrantes et... très instagrammables, il ne l’explique pas vraiment. Ma palette est tout aussi restreinte que mes sujets : dix couleurs maximum. Une poignée de couleurs franches que j’emploie pour tout. Quand on démarre dans la rue, tout doit aller vite. Cette notion d’urgence m’est restée.

Le swoosh revisité

L’inspiration ? Elle est partout. Dans la rue, mais aussi dans les magazines de mode. J’adore observer : les gens que je croise quand je suis sur mon vélo, mais aussi les shootings mode et les images de défilés que je découvre dans les magazines, précise-t-il. Il y a environ deux ans, David Bruce est réveillé à 4 heures et demi du matin par l’annonce d’un message sur son téléphone : un mail de Portland, dans l’Oregon, le berceau de Nike. Je vois l’adresse @nike.com, mais je ne prends pas le truc très au sérieux. Du moins, au début. Le gars m’explique qu’il bosse pour Nike et qu’il suit mon travail avec attention sur Instagram depuis plusieurs mois. D’emblée, il me parle d’une collaboration portant sur trois T-shirts. J’ai à peine dit “OK” qu’il m’a envoyé un deuxième mail avec un moodboard complet. Le tableau d’inspiration reprend à la fois des détails de mes peintures, mais aussi le descriptif des T-shirts que je devais créer. Tout devait aller très vite. Au bout de quatre semaines, après avoir rendu mes premiers projets, j’ai réalisé que la marque me donnait carte blanche. Le plus drôle, c’est que sur mes croquis initiaux, j’avais dessiné le Swoosh, l’iconique logo de Nike, en respectant ses proportions. Tout le contraire de ce que je faisais sur mes peintures. Jusqu’à ce que mon interlocuteur m’explique que ce qu’il attendait de moi, c’était justement que je reste fidèle à mon identité d’artiste. J’ai donc continué à représenter le Swoosh de manière très enfantine.

Quand David Bruce découvre ses T-shirts sur des inconnus dans les rues à New York ou à Séoul, mais aussi sur des photos de stars du foot postées sur Instagram et sur des sites comme Asos ou Zalando, il ressent une vraie fierté. Une fierté qui lui donne envie de remettre ça : Oui, la mode m’intéresse. Je ne serais pas contre le fait de réitérer cette expérience avec Nike.

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