Qui est Arne Quinze, invité d'honneur de la Brafa, la foire internationale du design ?

Invité de l’édition 2022 de la Brafa, l’artiste belge, connu pour ses œuvres urbaines monumentales, nous a reçus dans sa spectaculaire maison atelier. L’occasion de mieux cerner la personnalité de ce peintre et sculpteur, dont les projets s’affichent dans les plus grandes villes du monde, de Dubaï à Sao Paulo.

Par Marie Honnay. Photos Ateliers Laethem, Dave Bruel. |

Arne Quinze porte un sweater en Fleece rose. Rose comme la couverture de son livre, paru récemment chez Lannoo. Rose comme certaines des fleurs peintes sur la grande table en bois autour de laquelle il s’installe avec nous. Au plafond, un grand miroir nous renvoie le reflet d’un homme visiblement heureux du regard émerveillé des visiteurs qui débarquent chez lui. A côté de la table, un immense sapin de Noël rappelle qu’ici, on « fait tout le temps la fête ». Même dans les derniers jours de janvier, un peu avant l’heure du dîner. Dans cette ancienne grange de Laethem-Saint-Martin reconvertie en atelier et habitation privée (l’artiste en parle comme d’une « maison de vacances »), la couleur est partout : sur les immenses toiles qui décorent les murs, sur les chaises peintes à la main, sur les larges banquettes pouvant accueillir de grandes tribus d’amis…

Pour l’artiste, une vie en noir, blanc ou beige n’a visiblement aucun sens. Incapable de se laisser enfermer dans une case, ce tout jeune quinqua à l’allure juvénile, père de plusieurs enfants, dont une mini-artiste de 7 ans, nous confie s’être tout récemment fait tatouer plusieurs dessins de la petite sur le flanc gauche. « J’ai eu cette idée quelques minutes avant d’arriver chez le tatoueur. J’agis toujours à l’instinct » nous confie-t-il. Dans la cuisine d’Arne, les enfants s’affairent en tribu. Posées sur le sol, des études de fleurs inspirées de celles de son jardin dessinent les contours d’une prochaine œuvre monumentale peinte sur toile ou réalisée en métal déformé. Des livres d’art côtoient des objets insolites et joyeux. Arne Quinze remplit notre verre d’eau. La cruche en céramique portugaise est décorée de jolis oiseaux en équilibre sur le bord du récipient. Un clin d’œil poétique qui contraste avec les grandes mâchoires d’animaux posées à côté du canapé. En fond sonore, un mélange de sons balkaniques et de musique sud-américaine donne envie de danser.  Arne Quinze sourit. L’interview peut commencer…

Cette maison vous ressemble tellement. Mais ce dont vous êtes le plus fier, c’est votre jardin. Pourquoi ?
Les collectionneurs qui passent ici pour discuter ou acquérir une œuvre, je leur fais toujours visiter le jardin : ma principale source d’inspiration. Je les invite à mettre les mains dans la terre, à découvrir ce qui s’y passe. Par la suite, nombreux sont ceux qui reviennent me voir, déçus que leur jardin soit encore trop structuré ou organisé. Alors, aujourd’hui, je dispose d’une équipe qui m’aide à aménager les jardins des autres…

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Votre réflexion sur la nature n’est pas neuve. Or, a fortiori depuis la pandémie, elle est centrale dans nos vies. Le rôle de l’artiste serait-il d’anticiper les besoins des gens et de répondre à leurs angoisses au travers de ses œuvres ?
« Vous savez, il suffit de se replonger dans l’Histoire pour se rendre compte qu’avant l’intervention de l’Homme, la nature était en parfaite harmonie. Puis, l’homme est arrivé avec son envie de tout maitriser. Aujourd’hui, je vous défie de trouver un endroit du monde resté intact, non manipulé. Pendant 15 ans, j’ai parcouru le monde pour tenter de comprendre pourquoi nous avions fait preuve de tant d’égoïsme. J’ai photographié des centaines d’immeubles, de Shanghai à New York en passant par Sao Paulo. Aujourd’hui, je vous défie de savoir quelle image se rapporte à quelle ville. Ils se ressemblent tous. Nous passons notre vie entre quatre murs : ceux blancs et stériles d’une chambre de maternité, ceux en briques d’une école et ensuite ceux en béton d’un bureau… Je me demande quand les gens vont se décider à rendre les villes à nouveau plus humaines. »

Pourquoi ne le faisons-nous pas à votre avis ?
« Les gens ont peur de la beauté qui émane de la nature. Elle est si forte qu’elle les tétanise. Quand j’étais adolescent, après avoir vécu à la compagne, j’ai débarqué à Bruxelles avec mes parents, convaincu que j’allais vivre la grande vie. C’est à cette époque que j’ai commencé à peindre dans la rue. Mon désir de couleurs était déjà omniprésent, mais contrairement à ce que j’avais imaginé, j’étais perdu, malheureux d’avoir été, d’un coup, déconnecté de la nature. C’est ce qui arrive à trop de jeunes aujourd’hui. Ils vivent une vie monotone, loin des fleurs, des papillons, des oiseaux… Pendant la pandémie, on a vu à quel point les gens avaient besoin de nature. Quand je suis arrivé dans cette maison, j’ai commencé par enlever la haie. Convaincus que j’allais me faire cambrioler, les voisins ne comprenaient pas ma démarche. Puis, j’ai planté 35 000 plantes vivaces et 25 000 bulbes de fleurs. Tout à coup, les gens ont découvert une autre manière d’envisager le jardin, aux antipodes de leur parcelle parfaitement tondue et organisée. Aujourd’hui, nous organisons de grandes fêtes entre voisins. Dans un sens, je pense que les fleurs nous ont réunis. Le bonheur, pour moi, consiste à partager toute cette beauté. Récemment, je me suis mis en tête de fleurir la berme centrale de la chaussée de Courtrai dans l’espoir que les gens qui y passent réalisent que cette berme qu’ils ont toujours trouvée immonde est en fait plus belle que leur jardin. Ce qui m’anime, c’est de planter des graines dans la tête des gens. »

Et quand vous ne fleurissez pas les bermes centrales, vous fleurissez les villes de vos immenses sculptures en métal coloré…
« Pendant les 50 premières années de ma vie, j’ai appris. Maintenant, je veux réagir. L’éducation, quelle qu’elle soit, passe par la culture. Or, les lieux de culture, prenez l’exemple d’un opéra ou d’un musée, sont souvent cachés derrière 4 murs.  Pour certaines personnes, il n’est pas évident d’y avoir accès. Mon but n’est pas de plaire à tout le monde, mais d’inspirer. Mon seul grand maitre, c’est la nature. »

Vos œuvres monumentales sont visibles à Singapour, Sao Paulo ou, plus près de chez nous, Paris. Des villes qui, malgré la présence de vos œuvres romantiques et engagées, restent assez paradoxales en termes d’aménagement. Prenons Dubaï, par exemple…
« Toutes les villes le sont à leur façon, paradoxales. A Singapour, chaque construction s’inscrit dans une réflexion autour de la nature. Le problème, c’est qu’au final, tout est tellement vert qu’il n’y a plus beaucoup de place pour la subculture. Ce qui m’effraie, c’est de voir ce qui se passe à Bruxelles. A côté des mégalopoles qu’on vient de citer, notre capitale est un village. On pourrait en faire le plus beau parc du monde. Au lieu de ça, on continue à l’enlaidir. »

Votre discours rappelle celui de certains chefs et cuisiniers qui nous invitent à nous reconnecter avec la nature…
« J’en invite souvent à venir cuisiner ici. Vous saviez qu’on pouvait manger les pétales de tulipe ? Farcis, c’est délicieux. Cette maison est une maison de vacances, un lieu d’échanges autour de l’art, mais pas uniquement… En Belgique, on ne fait que se plaindre, alors qu’en termes de qualité de vie, de richesse culturelle, de gastronomie, on est ultra gâtés. A l’instar des Parisiens, des Londoniens ou des New Yorkais, on ne perdrait rien à être un peu plus chauvins. J’ai l’impression qu’on oublie un peu vite le sens réel du mot Bonheur. »

Riche de plus de 500 photos, la première et récente monographie d’Arne Quinze est publiée chez Lannoo, 49, 99 €.

La Brafa 2022 aura lieu à Brussels Expo, du 19 au 29 juin, toutes les infos ici