Rencontre avec Eric Giroud, la référence dans le design de montres

Éric Giroud a ouvert son bureau de design en 1998. Depuis, il met son talent au service de marques et de manufactures horlogères diverses et variées.

Magali Eylenbosch |

Il a du talent ! D’ailleurs, on le récompense souvent pour l’une ou l’autre de ses créations. Parmi ceux qui lui ont déjà fait confiance, nous pouvons citer Tissot, MB&F, Harry Winston ou Van Cleef & Arpels. Né en Suisse, originaire du canton du Valais, il garde de ses racines un profond attachement à la nature, une capacité de travail hors-norme et un respect profond de l’authenticité Ce qui le caractérise ? Un goût certain pour la liberté et les échanges humains. C’est peut-être son secret !

Quel a été votre parcours jusqu’à devenir une référence dans le design de montres ?
J’ai étudié la musique jusqu’à 18 ans. Il s’est avéré que je n’étais pas assez bon musicien pour en faire une carrière. J’ai donc étudié l’architecture. C’est un domaine qui m’intéressait énormément et peu de temps après mes études, j’ai ouvert un petit bureau. En 1991, la guerre du Golfe a provoqué une crise qui m’a obligé à fermer. J’ai dès lors suivi quelques stages dans divers secteurs, notamment la photographie, la mode et le design. C’est ce dernier domaine qui m’a d’avantage intrigué. En tant qu’architecte j’aimais déjà dessiner des objets pour la maison. J’ai fait mes armes dans un bureau et par un concours de circonstances, un projet d’horlogerie est arrivé. J’ai travaillé dessus et ce que j’ai proposé a été apprécié. Je me suis dit : « Pourquoi pas ! » J’ai monté mon petit bureau et j’ai eu la chance de commencer ma carrière par le dessin de cadrans pour Mido. La marque se trouvait sur le même plateau que Tissot. Pour moi, Tissot, c’était le Graal. J’espérais pouvoir, un jour, passer la porte et je l’ai passée ! J’ai dessiné un cadran, puis un deuxième et finalement j’ai travaillé sur mon premier modèle complet pour lequel j’ai imaginé la boîte, le cadran et le bracelet.

J’ai lu que vous teniez à votre indépendance…
Oui, pourtant j’ai eu beaucoup de propositions pour intégrer les bureaux en interne mais je rêvais de vivre correctement tout en gardant ma liberté.  J’ai pris goût à travailler seul, même si je passe beaucoup de temps avec les responsables des différentes marques. Ça me permet de me pencher sur des projets très différents. Parfois pour des marques prestigieuses, pour certaines qui n’existent pas encore ou celles qui proposent des produits très bon marché. Il arrive qu’il s’agisse de projets très complets, ou de retravailler simplement un bout de cadran. C’est très enthousiasmant ! 

Lorsqu’on n’est pas attaché à une seule Maison, n’est-ce pas plus difficile de créer un produit juste ?
Souvent on me demande comment je fais. C’est peut-être une qualité que j’ai acquise en tant qu’architecte. C’est un métier dans lequel on passe de la conception d’une maison familiale à celle d’un lieu de culte, d’un restaurant ou d’un kiosque. Et puis, les marques m’appellent aussi parce que ça ronronne en interne. Je suis là pour donner un autre point de vue. Poser et répondre aux questions différemment. 

Qu’est-ce qui vous fait sortir de votre zone de confort ? 
Mes bureaux sont à la maison et ça c’est une zone très confortable. Ça peut vite devenir un handicap. Je profite souvent de moments où je suis en transit, lorsque je voyage, pour faire des croquis. C’est un excellent moment pour me mettre en abîme. Travailler pour des marques auxquelles je ne m’attends pas, ça peut aussi être déstabilisant. Parfois, je me demande pourquoi elles ont pensé à moi alors qu’elles me semblent aux antipodes de ce que je suis. J’ai un background culturel qui fait que, dès mon enfance, tout est très pragmatique. On m’a toujours dit de lire le livre ou d’écouter la musique dont je n’avais pas envie. Il fallait que je fasse cet effort. Donc je n’ai pas peur d’aller sur des terrains qui ne me sont pas familiers. Il faut garder une grande ouverture d’esprit. Finalement, on revient à la liberté…

C’est un métier qui est en perpétuelle évolution, notamment grâce aux imprimantes 3D ? 
Ça a évolué dans la mesure où, aujourd’hui, on peut avoir une imprimante 3D à la maison, mais je travaille avec des professionnels qui utilisent ce genre de machines depuis 25 ans, notamment dans le domaine médical. C’est devenu plus rapide. Je ne suis plus obligé d’attendre trois semaines. J’envoie le projet et je le reçois imprimé en 3D dès le lendemain, par la poste. Par contre, le numérique et toutes ses évolutions ont réellement révolutionné le monde de la production.

Même si on est sensible à  la mécanique horlogère, c’est souvent le design qui fait d’une montre une icône ?
Oui, mais si on réfléchit un peu plus loin, on se rend compte que ça prend des années. On parle de 50 ans en moyenne avant qu’une montre ne devienne mythique. 

L’univers horloger évolue…
Depuis l’ère d’Instagram, le visuel est devenu fondamental. Il y a dix ans, lorsque je faisais une présentation de produit, il fallait expliquer le concept, c’était souvent très long. Maintenant dès que je montre un dessin ou des images, ça va très vite. C’est oui ou non ! La nouvelle génération ne tergiverse pas. Un coup d’œil et c’est réglé. Et puis, aujourd’hui, il y a aussi des femmes CEO de grandes marques et ça c’est génial. J’ai connu l’époque où l’on parlait de montres pour dames et il n’y en avait aucune autour de la table ! 

Y a-t-il une ou plusieurs créations dont vous êtes particulièrement fier ?
Pas forcément ! C’est ce que je fais maintenant qui me motive et qui nourrit mes jours. Après, il y a de belles aventures. Par exemple, celle avec MB&F avec qui je travaille toujours puisque je participe à toutes leurs créations horlogères. Lorsque la première montre que nous avons faite ensemble est sortie, je me souviens avoir été très fier, très heureux. Idem pour l’Opus 9 d’Harry Winston. Aujourd’hui, je suis très touché lorsqu’on m’appelle pour la création d’une nouvelle marque. J’ai l’impression que ça remet mon travail en perspective. 

Du dessin au prototype et au produit fini, quel sont pour vous les moments qui génèrent une émotion ? 
Le premier moment est lié à une chose toute simple, c’est quand on me confie le projet. Lorsque je présente les dessins et qu’une proposition est choisie, c’est l’instant où je le perds et il devient celui de la marque. Mais j’aime le voir évoluer, me rendre compte que parfois une idée surgit, à laquelle  je n’aurais pas forcément pensé, et que je la trouve intéressante. Bien évidemment, quand la montre existe, il y a une émotion partagée qui est intense. 

Vous êtes ému lorsque vous voyez l’une de vos créations au poignet d’un inconnu ?
C’est la cerise sur le gâteau ! Vous êtes au restaurant avec Madame et vous voyez qu’à la table d’à côté, Monsieur porte l’une de vos créations et qu’il en est fier. 

Quelle est selon vous l’époque qui est la plus inspirante en matière d’horlogerie ?
Il n’y en a pas vraiment. Je ne suis pas attaché à l’époque mais plutôt à la belle horlogerie classique. Les pièces simples et efficaces conçues par les bons horlogers. Je suis très admiratif du travail de F.P. Journe. J’ai d’ailleurs cassé ma tirelire pour m’en offrir une. Je trouve que c’est d’une simplicité et d’une qualité mécanique incroyables. 

Votre démarche créative dépend-elle aussi de l’esthétique du mouvement ?
Ça dépend du projet. Parfois le mouvement est imposé et il y a ceux pour lesquels j’interviens dès le début. Alors je fais équipe avec les horlogers. 

Y a-t-il une montre que vous aimeriez avoir créée ?   
Non, je ne pense pas. Par contre il y a des montres compliquées auxquelles j’aurais bien aimé participer et être autour de la table avec l’horloger. On croise tellement de gens qui ont du talent dans cet univers que ça me fait toujours rêver. 

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