Trois boutiques où acheter des pièces de luxe et durables à prix accessible

Dans un contexte sociétal qui pousse les marques de mode à réduire leur empreinte carbone, les tissus non utilisés par les maisons de luxe constituent une aubaine pour les jeunes labels qui décident de leur donner une nouvelle vie. De quoi s’interroger : ces tissus dormants sont-ils une solution miracle ou juste un effet de mode ? On decrypte en compagnie de créateurs qui ont choisi cette voie plus durable.

 

Par Marie Honnay. Photos D.R. |

On les appelle « dead stocks » en anglais, « tissus dormants » en français. Commandés par les grandes marques en vue de réaliser leurs prototypes, les rouleaux de soie, de denim, de coton, de popeline ou de cuir sont le plus souvent à peine utilisés. Une maison de luxe peut en effet décider, après un seul essai, que l’aspect n’est pas celui recherché ou que le prix n’est pas adapté à une fabrication en série. Comme les fabricants de ces merveilles rechignent à dessiner, tisser ou encore à teinter de petits métrages, les rouleaux « tests » sont alors stockés pendant de longues années dans des hangars géants, qu’il faut éclairer et chauffer. Selon des chiffres relayés par le magazine Business of Fashion, on parle d’un coût de 120 millions de dollars par an pour toute l’industrie du vêtement : une perte d’argent colossale pour les marques qui, lassées de dépenser des sommes folles en espace de stockage, décident le plus souvent de bruler leurs encombrantes archives. Une aberration qui a fini par mener à ce que soit votée (en France pour commencer) la loi AGEC, qui interdit la destruction des invendus pour les produits non-alimentaires.

En vidéo, cette tendance qui affole le monde du travail :

Cette décision en passe d’être votée à l'échelle européenne dès 2024 a permis à de jeunes créateurs d’avoir accès à ces trésors oubliés. Comme la Parisienne Juliette Legay Arnoux, fondatrice de L.A. Jazz. Après un début de carrière dans le secteur du luxe, cette jeune femme au profil plutôt marketing a choisi de se lancer dans un projet mode en phase avec ses valeurs. Parmi les pièces de sa première collection, lancée ce printemps, 30 % sont réalisées sur base de tissus dormants. « En marge des matières écoresponsables qu’on connait déjà, celles issues de l’upcycling permettent de donner une seconde vie à des merveilles auxquelles seuls les clients du luxe ont généralement accès », précise Juliette Legay Arnoux.

Sa principale source d’approvisionnement : Nona Source, une plateforme de vente créée par le groupe LVMH, propriétaire de griffes comme Dior ou Stella McCartney. « Quand on est une jeune marque, ce mode d’approvisionnement offre une grande liberté de création. Il m’arrive parfois d’imaginer un modèle sur base d’un tissu ‘coup de cœur'. Cette approche me donne aussi une sorte de légitimité. Les femmes que j’habille aime savoir que mes vêtements sont fabriqués à Paris, en toutes petites séries (entre 10 et 70 pièces maximum par modèle) sur base de tissus d’exception. La petite robe orange de ma première collection est coupée dans un tissu agnès b. Quand on déniche une perle, il faut aller très vite. Certains tissus dormants, comme le tulle dans lequel j’ai fabriqué mes jupons, partent en moins d’un jour », ajoute-t-elle en rappelant que l’engouement pour les tissus dormants conduit déjà à certaines dérives. « Tous les fournisseurs ne proposent pas des rouleaux de qualité. Cette approche demande donc d’avoir un œil affûté et une très bonne connaissance des matières. »    

Premier séduit, premier servi !

Quand elle a planché sur le concept de FATAL, la marque qu’elle a fondée en 2021, la styliste belge Anne Marie Delvenne a, elle aussi, souhaité marier démarche éthique et haute-désirabilité. 100% des pièces qui sortent de l’atelier de production sont réalisées sur base de tissus dormants : une approche sans compromis à laquelle elle tient plus que tout. Comme Juliette Legay Arnoux, elle sélectionne avec passion les tissus d’exception dans lesquels elle fait fabriquer localement les vestes, manteaux, pantalons, robes et chemises de son vestiaire. « Face à un coupon de quelques mètres de velours ou de soie, on ressent une incroyable montée d’adrénaline. », précise-t-elle.

Pour FATAL, elle a choisi de sélectionner des quantités de tissu qui lui permettent de faire fabriquer un ou deux exemplaires par modèle : « La coupe du manteau est un classique de la marque que je répète de saison en saison, mais la laine, la doublure en soie et les boutons vintage en font une pièce unique. »  Si ce concept a évidemment séduit une clientèle avertie, adepte des beaux tissus couture, cette approche reste, d’un point de vue stratégique, un défi : « de par notre approche singulière, nous ne nous inscrivons dans aucun schéma classique : ni dans l’ultra-luxe, même si nos tissus sont dormants, ni dans la mode en grandes séries puisque chaque pièce est unique. Certains clients ont encore du mal à comprendre qu’un vêtement qu’ils n’achètent pas tout de suite sera peut-être vendu l’heure d’après. Et quand un manteau ou un ensemble sort vraiment du lot, il nous est impossible d’en faire un bestseller puisque nous ne pouvons pas en produire d’autres totalement semblables. »

Compromis à la belge

Fondatrice du label Mardi Éditions, la Belge Marie Smits est une jeune femme engagée qui, malgré le caractère éthique de la marque qu’elle orchestre depuis 2019, garde les pieds sur terre. Cette ingénieure de gestion, qui a fait ses armes chez Clio Goldbrenner, sait que lorsqu’on veut faire grandir un projet mode, les tissus dormants peuvent être limitants : « Quand j’ai lancé Mardi Éditions, je pensais naïvement pouvoir me fournir chez les producteurs européens de tissus bios ou organiques, mais face aux métrages minimums imposés aux marques (le plus souvent 1 000 mètres d’un seul et même tissu), j’ai d’abord déchanté avant de voir dans leur refus de collaborer avec un petit label comme le mien, une opportunité de travailler autrement. Certains ont en effet accepté de me céder leurs échantillons et invendus. Dans la foulée, j’ai croisé la route de la fondatrice de Nona Source dont j’ai été la première ‘testeuse’ lors du lancement de sa plateforme. Cette saison, ma collection est constituée à 60% de tissus dormants. Le reste, ce sont des pièces permanentes réalisées en plus grandes quantités sur base de tissus classiques. Quand on vise une distribution en boutiques ou qu’on cherche à grandir, cette double approche est un passage obligé. »

Pour Marie Smits, la durabilité est une évidence, plutôt qu’un argument marketing. Dans sa boutique d’Ixelles décorée comme son propre appartement, elle reçoit des clientes belges, mais aussi allemandes, hollandaises ou scandinaves, sensibilisées aux questions d’éthique. « Cet été, je propose notamment un gilet réversible sans-manche en cachemire et laine, mix de tissus classiques et de dead stock ou encore un tailleur en laine rose de chez Nona Source. Quand je mise sur des couleurs ou des tissus plus extravagants, les tissus dormants se justifient totalement. Ces pièces produites en 30 ou 40 exemplaires dans de petits ateliers au Portugal donnent à mes clientes l’impression d’acheter un vêtement original qu’elles ne retrouveront pas sur des centaines d’autres femmes à Bruxelles. »  Cette quête du zéro déchet » est une préoccupation commune à toutes les marques de mode, mais si certains jeunes projets l’ont partiellement ou totalement intégrée à leur concept, les maisons plus établies doivent jongler avec d’autres impératifs. Du côté de la Maison Natan, on nous a ainsi expliqué « valoriser tous les tissus dans une approche circulaire » qui, on l’imagine, repose sur une réorganisation de certains processus. Bref, on l’aura compris : le chemin vers la « clean fashion » est en marche, mais demande aussi pas mal de sacrifices et d’ajustements.

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