Une journée dans la peau d'un chocolatier

Rares sont les artisans qui peuvent se targuer de fabriquer leur propre chocolat. C’est le cas de Benoît Nihant, un ingénieur liégeois qui doit sa reconversion à sa passion dévorante pour la fève de cacao. Nous nous sommes glissés dans son QG : un atelier/boutique installé sur les hauteurs de la Cité ardente.

PAR MARIE HONNAY. PHOTOS CAMILLE BERNA ET D.R. |

La chocolaterie Benoît Nihant,c’est d’abord l’histoire d’une passion : celle d’un ingénieur qui, à l’aube de ses trente ans, a décidé de tout plaquer pour se lancer dans le chocolat. À l’issue d’un stage de cinq mois chez le pâtissier Wittamer, le Liégeois façonne, dans le garage de ses grands-parents, ses premières créations qu’il soumet, non sans une pointe d’audace, aux chefs de la Villa Lorraine et du Comme chez Soi. L’enthousiasme des cuisiniers étoilés l’encourage alors à passer à la vitesse supérieure. Jusque-là, Benoît Nihant se fournissait en chocolat chez des artisans français. Dès ses premiers voyages, il réalise quelques tablettes sur base de fèves qu’il achète au sein de plantations au Brésil ou au Pérou. Aujourd’hui, l’ensemble de sa gamme est issu de sa propre fabrication de cacao. Issu de fèves achetées dans de toutes petites plantations, non pas en fonction des prix de la bourse ou des tarifs imposés par les labels fairtrade, mais bien de la réalité du terroir local, ce chocolat est porteur d’une histoire : celle des planteurs, fidèles partenaires de l’artisan.

Il y a quatre ans et demi, Benoît Nihant et son épouse Anne ont investi un vaste hall industriel situé à Awans, sur les hauteurs de Liège. À l’avant, une boutique ouverte qui offre une vue sur l’atelier de production. Dans le QG des Nihant, déjà trop petit, quarante collaborateurs œuvrent à la construction de ce rêve chocolaté. Pendant une journée, j’ai tenu le rôle du 41e. L’occasion de comprendre certains secrets de fabrication de ce produit grand cru, mais aussi d’un métier, celui d’artisan chocolatier.

10H : J'enfile mon tablier

J’enfile, non sans une certaine fierté, mon tablier brodé. Benoît Nihant m’invite à me désinfecter les mains, passage obligé avant d’accéder à l’atelier. Quand on exporte ses produits au Japon, on ne plaisante pas avec l’hygiène. " Les normes imposées sont absolument drastiques ", commente le chocolatier en précisant qu’il y adhère de bonne grâce. L’atelier est divisé en deux parties: la première est dédiée à la fabrication du cacao. Première étape : l’inspection des fèves qui arrivent tout droit des plantations. Ma mission : vérifier que la qualité est identique à celle qui a séduit Benoît Nihant quand il les a goûtées. Ici, l’artisan aime le préciser, " on ne travaille pas avec une calculette, mais avec le cœur ". Pourtant, la rigueur de l’ex-ingénieur continue de guider son travail. Je place un échantillon de fèves dans une guillotine, un outil un peu étrange, sorte de gaufrier pour fèves de cacao. Une fois qu’elles sont brisées en deux, j’observe leur couleur. Enfin, j’essaye. Si c’est rosé et que les alvéoles sont bien creusées, c’est bon signe. Signe que la fermentation et le séchage se sont déroulés dans les règles de l’art. " Dans le cas contraire, le chocolat n’aurait aucun goût ", précise Benoît Nihant en procédant à la seconde phase du test : le mesurage du degré d’humidité des fèves. Et moi qui pensais me goinfrer de ganache. Mais non, décidément, on n’est pas ici pour rigoler ! 

12H : Je trie les fèves

Cette opération terminée, je m’approche de Renaud, l’artisan chargé de trier les fèves. Je me porte volontaire pour prendre le relais. Ma mission consiste à ne conserver que les fèves de calibre identique. Pourquoi ? Pour s’assurer que, lors de la phase de torréfaction, elles réagissent toutes de manière uniforme à la cuisson. Renaud travaille pour la chocolaterie depuis le début de l’aventure. Ce métier, il l’a appris en le pratiquant. « Les formations en chocolaterie enseignent la mise en forme des tablettes et des pralines, mais pas la fabrication du chocolat », précise Benoît Nihant dont l’atelier produit entre 50 et 60 tonnes de chocolat par an. Je m’applique tout en zieutant la grosse machine rouge installée juste devant moi : un vieux bolide des années 50, que le chocolatier a récupéré en pièces détachées. " En région liégeoise, compte tenu de notre passé sidérurgique, nous avons la chance de disposer d’ateliers capables de les réparer. Cette machine fonctionne plus lentement que les modèles dernier cri, mais permet d’obtenir une torréfaction naturelle qui conserve intactes les nuances aromatiques des fèves." Renaud m’aide à les verser dans la cuve. Je peux faire une pause ? Non, pas vraiment, comme me le fait comprendre Renaud qui ne quitte pas la machine des yeux. La torréfaction dure en moyenne quinze minutes, mais pour savoir si les fèves sont à point, il faut les goûter. Le seul critère : mon palais. En bouche, je perçois des notes très vertes, presque végétales. " Normal ", sourit Benoît Nihant. " Nous sommes en présence de fèves d’exception."

14H : Je broie le grué

J’ai envie d’aller voir dans la deuxième partie de l’atelier ce qui s’y passe. Mais avant, Benoît Nihant me plante devant son autre bébé : un petit bijou du XIXe siècle qui permet de broyer le grué, c’est-à-dire les fèves de cacao mondées et concassées. Ce dispositif plutôt impressionnant – 5,5 tonnes de granit tout de même – broie les fèves pour obtenir une pâte liquide, la pâte de cacao. Une fois filtrée, c’est cette pâte qui donne le fameux beurre de cacao. Ouf, on y arrive. Je peux aller faire des pralines, maintenant ? Pas encore ! Benoît Nihant souhaite me montrer sa machine top secrète : celle qui permet de lisser la pâte et d’obtenir des bonbons (ou pralines) bien texturés. OK, compris ! On peut aller faire des pralines, maintenant ? Visiblement, quand on officie, comme le chocolatier liégeois, dans le registre de la Haute Couture (le nom de sa collection la plus emblématique), rien ne peut être laissé au hasard. Ma patience (certes, peu légendaire) est enfin récompensée. Il est temps de m’essayer à la création des fameux palets couture de Benoît Nihant. Dans la salle de mise en forme, il fait plutôt froid : 18 degrés en moyenne. C’est là que d’autres artisans se chargent de mélanger le beurre de cacao, la crème fraîche et le sucre. Les grandes plaques de chocolat sont mises à refroidir sur une table en marbre. Il ne me reste plus qu’à les couper en palets.

16H : Des pralines, enfin ! 

Plus vite dit que fait. Face à la machine de découpe, je fais moins la maligne. Manipuler les plaques sans les casser n’a rien d’une évidence. L’appareil utilisé pour cette étape ressemble au fil à couper le beurre, mais on appelle ça... une guitare. Moi, ce que je sais, c’est qu’il me démange de goûter un chocolat. Pas de chance : il faut nettoyer les lames et recommencer l’opération plusieurs fois. Des gestes simples qui ne s’improvisent pas. L’enrobage, autre technique secrète du chocolatier, est prévue juste après. L’idée : recouvrir le palet d’une fine couche de chocolat et, le cas échéant, le garnir d’un joli décor, comme ceux qui nous font saliver dans les comptoirs vitrés des magasins. Tiens, justement, Benoît Nihant me propose de jouer à la vendeuse. " Avant de servir les clients en boutique, nos collaborateurs passent par l’atelier. Ces dernières années, les amoureux de chocolat sont de mieux en mieux informés sur notre métier. Pour répondre à leurs questions très pointues, il faut à la fois maîtriser les techniques de production, mais aussi pouvoir raconter l’histoire du cacao." Des dizaines de palets de 6,5 grammes aux jolis décors graphiques me font de l’œil : piment de la Jamaïque, figue et framboise, rose, Earl Grey, thé citron, thym orange... sans oublier le petit dernier, le bonbon chocolat et thé matcha. Pour tenter de décrocher un contrat de vendeuse dans le bar à cacao du chocolatier, je tente de convaincre le boss que je maîtrise l’art de confectionner un coffret plus-que-parfait. Raté : j’ai placé les palets l’un à côté de l’autre, mais pas tous dans le même sens. J’avoue, le rendu est moche. Pas grave, je ferai mieux la prochaine fois !

Infos pratiques :

Atelier et boutique Benoît Nihant, 6 rue de l’Estampage, 4340 Awans.
Bar à cacao et magasins sur benoitnihant.be

Suivez So Soir sur Facebook et Instagram pour ne rien rater des dernières tendances en matière de mode, beauté, food et bien plus encore.

Lire aussi :