Au Maroc avec les cueilleuses de néroli

C’est à Dar Bel Amri, au Maroc, que Kenzo est allé chercher le néroli bigarade qui donne son âme à sa nouvelle Flower Eau de Vie. Balade au cœur de la récolte des fleurs avec Marie Salamagne, parfumeuse.

PAR INGRID VAN LANGHENDONCK, PHOTOS FOUAD MAAZOUZ. |

Certains parfumeurs qualifient le néroli de “petite robe noire de la parfumerie”. C’est une senteur universelle, sensuelle et une expression florale qui exprime fraîcheur et douceur. On trouve le néroli dans des eaux qui lui sont entièrement dévouées comme le Neroli Portofino de Tom Ford, L’Eau de Néroli Doré d’Hermès, ou récemment, l’Atlas Garden d’Yves Saint Laurent, mais il est également présent en parfumerie dès qu’on veut imprimer une touche hespéridée à la fois florale, riche et suave avec cette petite pétillance zestée, orangée...

Parmi les dernières créations en date, la Flower Eau de Vie de Kenzo, une création à six mains du maître parfumeur Alberto Morillas et des parfumeurs Marie Salamagne et Fabrice Pellegrin. C’est Marie Salamagne, connue pour avoir créé l’Aqua Allegoria Mandarine Basilic de Guerlain, qui nous a emmenés au Maroc afin de nous montrer le travail des cueilleuses de néroli, ingrédient clé de ce parfum.

Marie Salamagne : " Au-delà des fragrances et de leur technicité, il y a des souvenirs derrière une odeur, et des émotions... Quand je suis venue visiter cette exploitation pour préparer ma contribution à ce parfum, j’ai été frappée par ces femmes dans les champs, les couleurs vives de leurs tenues, leurs rires et leur complicité. Pour traduire cela dans le parfum, j’ai proposé à Alberto d’intégrer ensuite du gingembre pour la pétillance et de la fève Tonka pour le côté épicé. C’est la note de joie ramenée de ces champs que j’ai voulu traduire dans ce parfum."

    Marie Salamagne, parfumeuse, a collaboré avec Kenzo Parfums pour ce nouveau jus.

    Le chouchou des parfumeurs

    Le bigaradier est un arbre aux mille richesses : on retrouve la saveur douce-amère de son fruit dans les marmelades anglaises ; son zeste donne l’essence de bigaradier, qui parfume par exemple le Grand Marnier ; ses feuilles produisent l’huile essentielle appelée essence de petit grain. Quant à la fleur, elle nous apporte le précieux néroli et l’eau de fleur d’oranger.

    La fleur d’oranger, un parfum reconnaissable par tous, est omniprésente dans l’histoire de la parfumerie. Aujourd’hui cultivée au Maroc ou en Égypte, la variété d’oranger dont elle est issue est pourtant originaire des vallées sud de l’Himalaya. On retrouve des traces de la présence de cet arbre en Chine depuis plus de 2000 ans. Il y était très apprécié comme arbre d’ornement et pour la finesse du parfum qu’il libérait au moment de la floraison. On sait qu’il a été apporté sur les rives de la Méditerranée par les Arabes, qui l’ont emmené de l’Espagne à l’Afrique au gré de leurs conquêtes. On en trouve d’ailleurs dans les jardins de Séville.

    Les premiers parfums élaborés avec de la fleur d’oranger apparaissent dès le XIVe siècle et se répandent en Europe, jusque la Cour de Versailles, quand Louis XV fait aménager une orangerie rien que pour profiter de ce parfum envoûtant, lors des quelques semaines de floraison. Quant à son nom, il lui vient de Marie-Anne de La Trémoille, une princesse française née en 1642, épouse du prince romain Flavio Orsini, Prince de Nerola, qui a donné son nom à l’essence de néroli en l’honneur de cette muse influente.

    À la fin du XVIIIe siècle, le néroli est pour la première fois associé à l’essence de petit grain et à la bergamote, un mélange qui donne naissance à la première eau de Cologne, la célèbre Eau de Cologne 4711, dont on connaît le succès. Les premières plantations d’orangers destinés à fournir les parfumeurs se sont alors développées dans le sud-est de la France, autour de Grasse, jusqu’au milieu du XXe siècle. Mais aujourd’hui, l’oranger bigaradier est cultivé principalement en Afrique du Nord, en Tunisie, au Maroc et en Égypte.

    Le Maroc, terre de Bigaradiers

      Les cueilleuses au travail récoltent les fleurs ouvertes sur de grandes bâches, avant de les transporter à l’usine pour distillation.

      Depuis leur arrivée au Maroc, la culture des bigaradiers est ancrée dans la tradition et chaque famille se doit de posséder quelques arbres. Sous l’égide du géant de la parfumerie Firmenich, fournisseur de toutes les grandes maisons de parfumerie de luxe, les producteurs locaux Les Arômes du Maroc exploitent à Dar Bel Amri, au nord du pays, entre Fès et Rabat, suffisamment d’arbres que pour assurer une production de qualité, dont ils maîtrisent chaque étape.

      Tous les printemps, 1 500 femmes viennent ainsi, durant trois semaines, récolter les fleurs d’oranger, qui donneront la précieuse essence de néroli. Soucieuse de ne pas laisser ces femmes sans revenus le restant de l’année, l’entreprise a développé un programme de partenariat sous forme de coopérative, qui leur permet de vendre les matières premières et d’assurer une pérennité de leurs revenus.

        Seules les fleurs ouvertes sont cueillies, les boutons seront récoltés une fois éclos, lors d’un autre passage.

        En période de floraison, les cueilleuses passeront donc quatre à cinq fois dans chaque arbre pour n’y cueillir que les fleurs écloses et laisser celles encore en boutons pour un prochain passage. De grandes bâches étalées sous les feuillages recueillent les fleurs fraîches. Là, feuilles et fleurs seront triées avec soin car on veut éviter que l’essence de petit grain, issue des feuilles, ne soit mélangée aux fleurs à l’usine et que les parfums soient gâchés. En fin de journée, les bâches chargées de fleurs rejoignent directement l’usine pour y être distillées. Elles sont alors mélangées à de l’eau, en grande quantité – il faut une tonne et demie d’eau pour une tonne de fleurs ! Le mélange est alors chauffé.

        C’est ici que se produit la distillation : la vapeur d’eau traverse les plantes, emportant les huiles parfumées que renferment les fleurs. Cette vapeur quitte la cuve par la cheminée, en entraînant les molécules de parfum avec elle, puis elle est ensuite refroidie, et redevient donc liquide. Ce liquide récolté est un mélange d’eau et d’huile parfumée. L’huile essentielle flotte en surface, ce qui permet de les séparer pour obtenir l’essence de néroli d’une part et l’eau d’oranger d’autre part. À la fin de la distillation, chaque tonne de fleurs coupées aura produit approximativement un kilo d’essence. On comprend que chaque fleur compte...

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